6 sept 2020

Who is Brooke Candy, the indomitable trash and neofeminist rapper?

Amazone provocante et futuriste apparue sur les radars en 2012, la rappeuse Brooke Candy emprunte la voie de l’entertainment grand public pour diffuser ses revendications néoféministes. Elle est de retour avec son tonitruant “My Sex”, en collaboration avec les Pussy Riot, Mykki Blanco et MNDR, ainsi que “I Love You”, son film pornographique avant-gardiste.

Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.

Brooke Candy par Nabil pour Numéro. Maquillage : Stephen Dimmick chez Aim Artists. Coiffure : Gregory Russell pour Major Moonshine chez The Wall Group. Production : Félix Mondino chez Iconoclast.

Schizophrénique. Décadent. Opulent.” Il ne faut pas plus de trois mots à Brooke Candy pour nous décrire son style. Trois mots qui, dans sa bouche, résonnent comme une incantation jetée à la figure de son interlocuteur déjà envoûté par cette charmeuse de serpent. Strip-teaseuse, rappeuse, performeuse… la Californienne est tout cela, et pourtant, elle est tout autre chose. C’est une sorcière, de celles qu’on aurait brûlées à Salem. Une femme plus grande que la vie, de celles qui subjuguent tant elles n’ont peur de rien, et surtout pas d’elles-mêmes. Il y a de la Saraghina du Huit et demi de Fellini dans cette femme-là. Et comme les écoliers du film, troublés par cette créature plantureuse, généreuse et sans honte, se déhanchant sur une plage italienne, les spectateurs hésitent, face à Brooke Candy, entre désir ardent et fascination naïve.

 

Dans le clip de Das Me, son premier succès de 2012, la rappeuse apparaît en amazone futuriste, coiffée de longues nattes roses et d’une armure dorée qui n’aurait pas juré dans un épisode des Chevaliers du Zodiaque. Car Brooke Candy est une combattante. Sexy, too much – qui a dit vulgaire ? –, elle entonne un texte programmatique : “It’s time to take the back. ‘Slut’ is now a compliment. A sexy-ass female who running shit and confident.” [Il est temps que les choses changent. “Salope” est désormais un compliment. Une fille sexy et sûre d’elle qui dirige le monde.] C’est le nouveau féminisme. Celui adoubé par des millions de viewers sur YouTube. Sa vidéo Das Me, mais aussi celles de l’irrésistible I Wanna Fuck Right Now [Je veux baiser tout de suite] ou de Everybody Does, dépassent chacune le million de vues.

 

 

“Les freaks que j’ai rencontrés sont tous des êtres authentiques, en accord avec leur moi profond, que j’admire pour leur capacité à avoir surmonté toutes les épreuves que la société leur a fait endurer. Être soi-même, voilà justement le message que je souhaite transmettre.”

Son succès, cette femme puissante le doit, entre autres et avant tout, à une qualité indéniable : son histoire. Crapuleuse à souhait sans jamais tomber dans le glauque, sa vie est déjà digne d’un chapitre du roman L.A. Story de James Frey. Elle n’a que 24 ans. “J’ai été élevée dans la banlieue de Los Angeles”, confie-t-elle. Mon père travaillait pour le magazine Hustler [magazine pornographique de référence fondé par Larry Flint] mais cela ne veut pas dire que j’ai reçu une éducation particulièrement libérale… À 17 ans, j’ai compris que je n’avais rien appris de la vraie vie. J’ai souhaité m’y confronter et j’ai quitté mes parents.” La jeune fille refait alors son éducation, en compagnie des freaks et autres drag-queens qu’elle rencontre à San Francisco, puis à Los Angeles où elle finit par s’installer. Elle fume, beaucoup. Et pas que des cigarettes. “Je suis reconnaissante à ces gens de m’avoir ouvert les yeux”, ajoute-t-elle. “Les freaks que j’ai rencontrés sont tous des êtres authentiques, en accord avec leur moi profond, que j’admire pour leur capacité à avoir surmonté toutes les épreuves que la société leur a fait endurer. Ces gens se sont battus pour se réaliser. Être soi-même, voilà justement le message que je souhaite transmettre.

 

Certains n’hésitent pas à la comparer à Lady Gaga, version West Coast trash. Les messages ne sont, en effet, pas si éloignés. La jeune Californienne n’appelle-t-elle pas ses fans “my fags” [mes tapettes] là où la pop star appelait les siens “my little monsters” [mes petits monstres] ? Le propos de Brooke Candy est certes plus cru. Et symptomatique d’un mouvement qui, à l’instar de celui incarné par les Pussy Riot, s’évertue à renouveler le visage du féminisme. Les insultes combattues hier sont aujourd’hui revendiquées avec fougue, réappropriées pour être neutralisées. “Le féminisme que je revendique n’est pas celui des années 60, je vous l’accorde”, explique la jeune femme. “Mais les enjeux sont différents à présent. D’ailleurs, si je suis féministe, je suis surtout humaniste. C’est peut-être ce qui a évolué chez moi depuis mes premiers pas dans l’industrie musicale. J’aime tout le monde maintenant.” La chanteuse fait sans doute référence à ses sorties d’hier, reprises à l’envi par la presse, comme lorsqu’elle déclarait: “Tous les mecs hétérosexuels que j’ai rencontrés sont des sales porcs.” Il est vrai que la jeune femme connaît son sujet. Son passé de strip-teaseuse lui a en effet donné l’occasion de se confronter à la gent masculine, et elle ne s’en cache nullement. “Les hommes me considéraient comme un objet, confiait-elle il y a quelque temps, mais c’étaient bien eux, les objets, puisque je les considérais, moi, comme des portefeuilles…” Forgé par l’expérience, cet édifiant message de Brooke Candy n’attendait plus qu’à être médiatisé. 

 

 

“Choquer n’est pas un problème pour moi tant que je suis à l’aise et que ce que je fais correspond à ce que je suis. Cela me permet d’attirer l’attention sur mes idées, de susciter des questions chez le public et de repousser ses limites.”

Brooke Candy par Nabil pour Numéro. Maquillage : Stephen Dimmick chez Aim Artists. Coiffure : Gregory Russell pour Major Moonshine chez The Wall Group. Production : Félix Mondino chez Iconoclast.

Je ne m’imaginais pas du tout entamer une carrière musicale, se rappelle-t-elle. Je vivais entre ma voiture et le club de striptease lorsqu’un ami m’a parlé d’un producteur qui cherchait une rappeuse blanche. Je me suis dit que je pouvais faire l’affaire et que ce pouvait être l’opportunité de partager mon message.” Afin de toucher le plus grand nombre, elle se lance dans une musique qu’elle définit elle-même comme “un mélange de hiphop et de pop, les deux genres les plus populaires aujourd’hui.” La jeune femme connaît ses classiques. Elle cite avec passion les légendes comme Notorious B.I.G. ou le Wu-Tang Clan, sans oublier les rappeuses qui ont ouvert la voie dans une industrie marquée par la misogynie. Les critiques aiment, quant à eux, la comparer à Lil’ Kim, qu’elle avoue admirer également. Brooke Candy sait aussi s’entourer. Elle confirme travailler avec les producteurs stars will.i.am (membre fondateur des Black Eyed Peas) et Benny Blanco (Katy Perry, Britney Spears) sur un premier album, toujours en préparation. Il y a loin de sa première apparition remarquée dans la vidéo Genesis du jeune prodige Grimes à ce statut de nouvelle star du hip-hop. Statut qui semble avoir obligé la belle exubérante à délaisser la photographie, qui fut aussi à l’origine de son succès sur Tumblr. En 2015, Brooke Candy signe chez RCA Records, un label qu’elle a alors en commun avec la sulfureuse Miley Cyrus, qui n’hésitait pas à poster sur Twitter, pour célébrer l’événement, une photo d’elle et de Brooke s’embrassant goulûment sur la bouche. Choquer pour le plaisir de choquer ? “Choquer”, se défend Brooke Candy, “n’est pas un problème pour moi tant que je suis à l’aise et que ce que je fais correspond à ce que je suis. Et si choquer me permet d’attirer l’attention sur mes idées, de susciter des questions chez le public et de repousser ses limites, cela me va très bien.

 

 

“Le hip-hop [que les LGBTQ+] défendent n’est pas différent de celui des rappeurs hétérosexuels. Il ne devrait même pas être concevable de parler de sous-genre, de hip-hop gay ou de hip-hop queer. Ce n’est pas un sous-genre. Ils méritent d’être traités comme les autres.

Assumer son corps, défendre sa liberté, appréhender la nature humaine d’une manière plus ouverte, et accepter les différences… le programme défendu par Brooke Candy s’inscrit dans un agenda que l’entertainment américain défend, avec une ardeur inattendue et opportune, depuis quelques années. De l’assumée bisexuelle Angel Haze à la sublime Mykki Blanco derrière laquelle se cache un homme, l’industrie du hip-hop n’hésite plus à parier sur des personnalités moins convenues, ni homophobes ni misogynes. Les médias suivent. Comme le public. Au point de parler d’une scène queer, terme qui a le don d’exaspérer les artistes qui s’y voient réduits. Il y a quelques mois, le New-Yorkais Zebra Katz s’en offusquait dans ces pages. Brooke Candy rejoint totalement son analyse aujourd’hui : “Pensez-vous vraiment qu’une musique puisse s’élaborer à partir des préférences sexuelles de celui qui la compose ? Sérieusement ? Les gens dont vous me parlez sont des artistes incroyables, leur son est incroyable. Le hip-hop qu’ils défendent n’est pas différent de celui des rappeurs hétérosexuels. Il ne devrait même pas être concevable de parler de sous-genre, de hip-hop gay ou de hip-hop queer. Ce n’est pas un sous-genre. Ils méritent d’être traités comme les autres.

 

Phénomène singulier, Brooke Candy propose un univers hybride entre underground et mainstream, entre un hip-hop qu’on pensait misogyne et des revendications queer, entre une fascination sans bornes pour une mode raffinée et, dans le même temps, pour une sexualité pornographique et libérée. Aujourd'hui de nouveau indépendante, elle puise dans des sonorités punk pour polir son attitude contestataire qui lui colle à la peau – sans doute, volontairement – depuis ses débuts. War et My Sex, deux nouveaux titres qui ont signé le grand retour de la diva trash dans les contrées éloignées de cette pop commerciale facile dans laquelle elle s'était aventurée sous l'ère RCA Records jusqu'en 2017 (l'année de son Living Out Loud, en collaboration avec la pop star australienne Sia). Et rajoutant une nouvelle corde à son arc, elle s'essaye au film pornographique avec I Love You, une œuvre de 40 minutes aussi avant-gardiste que baroque, à la gloire de la sexualité queer. Alors de quoi Brooke Candy est-elle donc le nom ? De notre époque, tout simplement.

Brooke Candy par Nabil pour Numéro. Maquillage : Stephen Dimmick chez Aim Artists. Coiffure : Gregory Russell pour Major Moonshine chez The Wall Group. Production : Félix Mondino chez Iconoclast.