25 fév 2020

U.S. Girls, fille spirituelle de Blondie et Yoko Ono

Après quatre albums acclamés, une date au très médiatique festival californien de Coachella en avril dernier et une étiquette – bien méritée – de chanteuse engagée, Meg Remy, alias U.S. Girls, revient avec un nouvel opus : “Heavy Light”, sorti sur le label indépendant 4AD (Pixies, Grimes) et rendant parfaitement compte des multiples talents de cette Américaine exilée au Canada. Rencontre avec une chanteuse pop à l'esprit punk.

Propos recueillis par Chloé Sarraméa.

Photos par Fabrice Tayeau.

Dans une petite bourgade perdue dans l'Illinois, tout près de Chicago, deux lycéennes en uniforme partagent une paire d’écouteurs. Sur l’iPhone d’une d’entre elles, un album tourne en boucle et grésille dans leurs oreilles : Heavy Light, le nouvel opus de l’Américaine U.S. Girls. La chanteuse Meg Remy a passé une partie de son enfance dans la même high school que ce tandem d'ados prépupères, elle a aussi traîné, d'un pas lent, dans les couloirs de cette école catholique qui “interdit les jupes au-dessus des genoux, les tee-shirts colorées ou les petits tops, et qui force les pensionnaires à pratiquer un sport d'équipe plusieurs fois par semaine” regrette-t-elle.

 

À l'époque, nous sommes au début des années 2000, Meghan Remy a une quinzaine d'années et arpente les terrains de football américain, parfois nonchalante, parfois envahie par les songes anarchistes ou mélancoliques, regrettrant l'époque révolue du punk tout puissant, celle du règne du rock psychédélique ou l'ère de l'avènement du lo-fi. Sur son Discman bleu marine défilent, tour à tour, des morceaux d'un autre temps : certains titres oubliés des Beach Boys, quelques tubes dansants des Beatles, l'emblématique The Party de Nick Cave (qui enflammait une salle berlinoise dans les Ailes du Désir) et la voix rauque de Bruce Springsteen – la propulsant violemment dans les films les plus noirs de Sean Penn… Bref, le genre de musique qui donne envie de se tatouer les avants-bras alors qu'on n'est même pas encore majeure : “J'étais punk quand j'étais jeune, j'adorais les Bikini Kill [un groupe de quatre femmes formé au début des années 90 et considéré comme précurseur du mouvement riot grrrl, genre musical rock et féministe], je voulais m'insurger contre mes parents Républicains qui voulaient me laver le cerveau… Même divorcés, ils étaient d'accord pour que je ne cotoie pas des gens d'univers différents, c'est probablement le racisme qui les a fait agir ainsi.

 

Amoureuse de poésie, elle cite Anne Carson comme son auteure préférée, Meghan Remy, artiste protéiforme aux cinq opus acclamés – U.S. Grils on Kraak en 2011, Gem en 2012, Half Free en 2015, In a Poem Unlimited en 2018 et Heavy Light en 2020 –, compositrice, chanteuse pop, rock, disco, dub, et même r’n’b ne fait pas qu'entonner des refrains. Elle prend souvent la parole, défendant des causes qui lui sont chères, et remuant les mains en guise de protestation. Comme lorsqu'elle déclare ne pas savoir si elle veut d'enfants, la compositrice aux yeux bleu turquoise laisse entrevoir ses avant-bras, révélant une panoplie de tatouages gracieux – dont le premier a été réalisé homemade à l'âge de 15 ans : “Je collectionnais, et c'est encore le cas, les machines à écrire. Avec elles, je réalisais des fanzines… J'étais obsédée par cet objet, et, depuis tout ce temps, il est gravé à l'encre sur mon poignet ! La machine a écrire est un système qui vous permet de vous auto-publier instantanément… Alors j'écrivais des textes d'emo, genre “À bat le patriarcat !”.

 

“Coachella, c'est l'atmosphère la plus artificielle possible, les gens ne dansent pas et sont tous collés à leurs smartphones”, confie-t-elle, alors qu'elle a détesté s'y produire en 2019. Davantage mue par la danse contemporaine (U.S. Girls invite même Andrea Nann, chorégraphe de la Dreamwalker Dance, une compagnie canadienne, sur son clip Overtime), admiratrice de Micachu – la compositrice de la B.O du somptueux Under The Skin – l'Américaine Meg Remy est désormais exhilée à Toronto, où elle vit avec son mari musicien. Là-bas, elle compose une musique intelligente, qui rend compte de ses marasmes et parle à toutes les générations, de femmes surtout. U.S. Girls travaille en groupe (elle collabore avec une vingtaine de musiciens et amis pour son dernier album), met au point une oeuvre sensible qui ne se contente pas de dire mais se plaît plutôt à dénoncer (dans son titre Mad as Hell sur In a Poem Unlimited, où elle s'indigne des couvertures médiatiques). Douce et paisible, Meg Remy “pleure tout le temps devant les films, en lisant de bons ouvrages ou en écoutant de la bonne musique”. Petite fille spirituelle de Yono Ono et Debbie Harry (Blondie), l'Américaine fait de ses albums des manifestes, comme des reflets de toutes les vies qu'elle a vécues, de la rigidité des bancs de son école catholique, jusqu'à sa programmation dans les plus gros festivals. 

 

Heavy Light (2020) de U.S. Girls (4AD), disponible.