Tout ce qu’il faut savoir sur le grand retour de Stromae
Pour accompagner son troisième album Multitude sorti ce vendredi 4 mars, soit neuf ans après l’immense Racine Carrée, le chanteur partage sur sa chaîne YouTube un documentaire en trois parties. Il revient sur la prodigieuse carrière de l’artiste belge, notamment à travers les témoignages d’autres artistes (Orelsan, Angèle, Madonna) qui louent le talent de l’auteur-compositeur-interprète. Voici ce qu’il faut retenir de son grand retour.
par Marie Solvignon.
et Violaine Schütz.
Multitude, un nouvel album aux influences multiples
Avec ses deux premiers albums, à la fois efficaces et poétiques, Stromae avait réussi à fédérer le public et la critique. Celui qui s’est fait connaître dans le monde entier en 2010 avec le puissant Alors on danse (remixé par Kanye West), extrait de son premier album Cheese avait aussi convaincu, trois ans plus tard, avec son second disque, le jubilatoire Racine Carré. Un deuxième opus aux influences cubaines et congolaises qui s’est écoulé à plus de cinq millions d’exemplaires. Stromae a réussi à marquer la musique francophone grâce à ses textes, sa gestuelle, ses prises de position et son originalité. Pourtant, l’artiste a ressenti le besoin de se retirer du devant de la scène à cause d’une dépression et d’un burn-out. Pendant six ans, le Belge a ainsi consacré son temps à son label (de mode et de musique) Mosaert et collaboré entre autres avec Billie Eilish, Dua Lupa, Orelsan, Coldplay ou encore MHD.
Coup de théâtre, en octobre 2021, Stromae refait surface avec le titre Santé dédié aux personnes invisibilisées par la société. Un nouveau morceau qui annonçait la sortie d’un troisième album, Multitude, publié ce vendredi 4 mars. Inspiré par les sonorités latines, caribéennes, africaines, orientales ainsi que par des sujets d’actualité et de santé mentale, l’artiste interprète un panel de personnages au sein de morceaux aux thématiques fortes. Le compositeur belge traite en effet de sujets profonds ou difficiles comme la bipolarité, la paternité, la solitude, la lassitude au sein d’un couple, les personnes démunies et les mauvaises journées.
Parler du négatif n’est pas un frein pour Stromae. Au contraire c’est ce qui fait sa force. Multitude se révèle – comme ses deux précédents albums – à la fois émouvant et dansant. « J’t’ai donné la vie, toi t’as sauvé la mienne. S’tu savais comme je t’aime. J’ai jamais tant aimé, j’te connais à peine », chante notamment l’artiste dans le titre C’est que du bonheur en parlant de son fils né en 2018.
Un documentaire mettant en scène Orelsan, Madonna et Jean Paul Gaultier
« Ça a été un coup de foudre, je suis fan de sa vision des choses », confie le couturier français Jean-Paul Gaultier dans « Stromae vu par… », le nouveau documentaire retraçant la carrière de Stromae. Le chanteur belge vient de publier sur sa chaine Youtube, un documentaire de 25 minutes divisé en trois parties. Ces vidéos reviennent sur le parcours de Stromae à travers des images d’archives et des témoignages d’artistes l’admirant comme Orelsan, Madonna, Jean-Paul Gaultier, Lorde, Angèle, DJ Snake ou encore Bigflo & Oli.
On se rend alors compte à quel point le parcours du musicien est impressionnant. « Il me rend bavard en fait. Il va chercher une part de créativité en moi pour lesquelles je suis content de lui envoyer des idées », confie Orelsan. Stromae a marqué les esprits et ne laisse personne indifférent. L’interprète de La fête est finie (2017) rajoute que Stromae « est très fort en écriture. Une phrase suffit pour tout comprendre ». Lorde explique même que le concert qu’elle a vu de lui était « le meilleur de toute sa vie ». Grâce à sa prestance singulière, ses costumes de scène colorés et son mélange d’influences musicales diverses, Stromae a touché les gens jusqu’à l’international.
Un sens du marketing aiguisé
Depuis ses débuts, Stromae défend une identité visuelle très étudiée et reconnaissable entre toutes. Ses clips sont toujours très travaillés, ses looks excentriques, élaborés, ses chorégraphies, décalées et ses interventions sont pensées minutieusement. Stromae frappe les esprits grâce à ses coupes de cheveux folles, à son ambition et à ses interventions dans les médias. Son passage au JT de 20 heures de TF1 le 9 janvier 2022 a beaucoup fait réagir les téléspectateurs. Coup de génie ou coup marketing exagéré ? Stromae venait parler de son nouvel album dans un exercice promotionnel calibré (l’interview) mais s’est finalement lancé dans l’interprétation de son nouveau morceau L’Enfer en guise de réponse à une question. Cette prestation unique a beaucoup divisé.
Franchir les limites ?
On pense alors à l’ère de l' »infotainment » dépeinte par Bruno Dumont dans l’acerbe France (2021) ainsi que dans une séquence loufoque du film Don’t Look Up (2021) prenant place sur un plateau télé. La critique aussi est divisée. Préparé en amont du 20 heures, durant trois semaines de réflexions, ce grand moment de télévision apparaît à certains confrères comme un coup marketing contraire à l’éthique.
Dans Libération, Olivier Lamm « s’interroge sur les raisons qui ont poussé la rédaction de TF1 à passer cette ligne rouge et à accepter le détournement de son sommaire au profit d’une opération marketing instrumentalisant ouvertement l’émission, altérant par là jusqu’à l’essence éditoriale de son programme. » Plus clémente, Sonia Devillers déclare dans un billet tendre réalisé pour France Inter que « jouer ainsi avec les codes du JT, c’est faire confiance au téléspectateur, à sa culture de l’image, à sa compréhension de l’information, à sa lucidité face à un artiste en promotion. »
Stromae brise les tabous autour de la santé mentale
Une chose est sûre, le chanteur belge aux millions d’albums vendus a su faire naître l’émotion, même s’il a provoqué en même temps un torrent de remises en question. Celui qui s’est absenté de longues années de l’actualité musicale et a traversé un burn-out, avait déjà ébloui avec la sortie, quelque mois auparavant, de son single intitulé Santé, dédié aux travailleurs du quotidien souvent laissés-pour-compte.
Le titre, rythmé, poétique et puissant, annonçait en grande pompe son album, Multitude (2022). L’Enfer bouleverse encore plus. L’auteur-compositeur qui a déjà abordé dans ses textes imagés l’absence du père et les dérives de Twitter met au cœur du débat public un thème qui en est longtemps resté éloigné : la santé mentale. Comme Kanye West, Lady Gaga ou encore Mariah Carey, il fait partie de ces stars qui osent aborder des sujets tels que la bipolarité ou la dépression.
Remercié sur le réseau social à l’oiseau bleu par Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l’OMS, pour avoir abordé avec justesse l’idée difficile du suicide dans sa prestation sur TF1, Stromae frappe fort avec ses paroles sans tabou. « Du coup, j’ai parfois eu des pensées suicidaires. J’en suis peu fier. On croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire. Ces pensées qui me font vivre un enfer« , entend-on dans ce morceau-confession.
Et Paul Van Haver (de son vrai nom) parvient, avec cette mélodie dépouillée, ce texte frontal et sa voix tremblante, à toucher en plein cœur. En avouant qu’il n’est pas fier de ses pensées noires, celui qui s’est produit cette année au festival de Coachella a peut-être empêché à des millions d’auditeurs de culpabiliser à propos de leurs états-d’âme. L’Enfer est pavé de bonnes intentions, dit l’adage, et celui de Stromae, de sublimes sentiments. Quoiqu’on en pense, cette performance a éveillé les consciences en provoquant une augmentation du nombre d’appels au 3114, le numéro national de prévention du suicide. Ce qui constitue déjà un beau défi…
Multitude (2022) de Stromae.