10 oct 2023

Sofia Kourtesis : une techno-house fabuleuse perdue entre Berlin et le Pérou

Fortement inspirée par le cinéma de Pedro Almodóvar et de Guillermo Del Toro, la productrice péruvienne Sofia Kourtesis transforme des courts-métrages qui n’existent que dans son imagination en morceaux électroniques fantastiques. Entre la house et la techno, entre Lima et Berlin, elle s’impose comme la nouvelle héroïne des clubs et des festivals. Son premier album, Madres, sera disponible le 27 octobre.

1. Sofia Kourtesis : des morceaux cinématographiques inspirés par Pedro Almódovar et Wim Wenders

 

Sofia Kourtesis profite d’une courte accalmie. À l’autre bout du fil, elle confie que ses derniers mois ont été éreintants. Et les voyages se poursuivent inlassablement: la rançon de la gloire. Elle verra bientôt les scènes de Ouarzazate, Dublin, Manchester, Londres, Berlin puis de Paris, le 10 novembre, à l’occasion du festival Pitchfork (avant-garde). Basée à Berlin depuis l’adolescence, la productrice péruvienne défend une techno tendre et accessible qui reprend aussi les codes de la house et de l’ambient. Ici, les chants sont espagnols et les samples fusent comme des comètes. On croirait que des robots de science-fiction dialoguent avec une petite chorale de Lima. On croirait que des noctambules berlinois s’autorisent enfin une pause après trois jours de fêtes sans interruption. Avec les titres de Sofia Kourtesis, la pression redescend mais on reste tout de même éveillé.
 

Elle se fait connaître en 2019 avec un premier EP orienté house – sobrement intitulé Sofia Kourtesis – qui ne laissera pas indifférent les amateurs du genre. Deux ans plus tard, c’est l’opus Fresia Magdanela qui assoit son statut d’artiste à suivre. Aujourd’hui, Madres, premier album disponible le 27 octobre, légitime sa tournée internationale et une flopée d’interviews. Résumées par une pochette écarlate vaporeuse, ses compositions électroniques éminemment théâtrales pensées comme des collages la détachent clairement de ses homologues. Elle y mêle la frénésie des clubs et quelques éléments propres au huayno, musique traditionnelle du Pérou qui existait déjà à l’époque précolombienne. Aussi improbable que cela puisse paraitre, elle intègre le 7e art à ses morceaux. On y perçoit les drames de Pedro Almódovar, les contes occultes de Guillermo del Toro et, pour reprendre ses propres termes, “l’effet Waouhdu cinéaste allemand Wim Wenders : “Si je devais expliquer ma musique à un enfant de dix ans, je lui dirais simplement : ‘Ferme les yeux. Danse. Ressens cette liberté qui s’empare de toi’.

2. Du Pérou multicolore à la scène techno berlinoise
 

Sofia Kourtesis est née à Magdalena, un quartier balnéaire de la province de Lima, au Pérou. Elle se souvient du glacier qui apostrophait les badauds en bord de mer, du brouillard qui embrumait le décor avant le lever du soleil et des pétales de fleurs échoués devant les portails bleu marine, à l’ombre des palmiers. Adolescente, elle envisage d’abord une carrière de comédienne, guidée par son oncle metteur en scène. Sans tarder, elle rejoint donc le programme théâtral de l’Université pontificale catholique de Lima, à l’âge de 12 ans. Dans la foulée, elle s’éprend de la poésie… puis de la musique. Comme son nom l’indique, son premier album est dédié à sa propre mère. Quelques mois après le décès de son père – auquel elle avait rendu un vibrant hommage avec le morceau La Perla (2021) – elle apprend que sa génitrice est atteinte d’un cancer. Et son état se détériore de jour en jour. Après avoir consulté plusieurs médecins, la musicienne publie un morceau sur les réseaux sociaux et interpelle au passage l’illustre neurochirurgien allemand Peter Vajkoczy en lui promettant de lui dédier le titre s’il parvenait à lui venir en aide. Le faiseur de miracles lui répond, la rencontre et accepte d’opérer sa mère. Il lui sauvera la vie. Trois mois plus tard, il suivait Sofia Kourtesis dans l’antre  obscure du Berghain, club emblématique de la capitale allemande… La compositrice a tenu sa promesse : le troisième morceau de l’album s’intitule Vajkoczy.

3. Les gangsters de New York et les poèmes militants de Manu Chao

 

En 2021, la compositrice s’inspirait des gangs new-yorkais des vieux films noirs pour son titre By Your Side. Une bande-son fantaisiste ultra efficace qui parachevait sa mue en nouvelle héroïne des clubs chics. Mais aujourd’hui, ce sont deux nouveaux tubes qui font le bonheur des fêtards : Si Te Portas Bonito, évocation de la folie terrifiante du monde moderne puis Estación Esperanza, un hommage à son artiste favori : “Je suis issue d’une famille de militants. En tant que musicienne sud-américaine, j’aimerais que mes morceaux puissent à leur tout devenir des hymnes de protestation. Lorsque j’étais jeune, Manu Chao était déjà l’un de mes héros. Je lui lui ai envoyé un morceau accompagné d’une lettre… et il accepté que j’utilise un sample de Me gustas tú [2001]. J’étais très honorée, d’ordinaire il refuse toute collaboration.” Ce nouveau disque en est une preuve supplémentaire : Sofia Kourtesis aurait adoré tourner des films. La structure principale inspirée par les sonorités péruviennes rencontre des nappes de synthétiseurs et des percussions propres à la techno berlinoise. Telle une cinéaste frustrée, elle transforme des courts-métrages imaginaires en déflagrations électroniques emphatiques. Son conseil restera le même pour tout adulte désireux de la découvrir : “‘Ferme les yeux. Danse. Ressens cette liberté qui s’empare de toi’.

 

 

Madres de Sofia Kourtesis, disponible le 27 octobre.

En concert au festival Pitchfork (avant-garde) le 10 novembre.