Shay, the new rap princess
À seulement 27 ans, la chanteuse belge Shay a déjà tout d’une reine dans l’univers du rap. Après un premier album sorti en 2016, “Jolie Garce”, unanimement salué par la critique et désormais disque d’or, elle est revenue sur le devant de la scène, en mai dernier, avec un deuxième opus, “Antidote”. Forte de ces deux albums très remarqués, elle poursuit son ascension magistrale et fait son entrée en beauté dans le monde de la mode sous l’égide de Riccardo Tisci, directeur artistique de Burberry, qui l’a choisie comme égérie de sa campagne de fin d’année 2019 “What is love ?”. Rencontre.
Par Chloé Sarraméa.
Portraits par Urivaldo Lopes.
Réalisation Edem Dossou.
By Chloé Sarraméa.
Portraits by Urivaldo Lopes.
Direction by Edem Dossou.
La rappeuse Shay ne s’engage jamais à moitié dans un projet. Elle n’est pas du genre à reculer, par exemple, devant des conditions difficiles lorsqu’elle doit enregistrer des clips ou shooter ses pochettes d’album. Pour celle de son deuxième opus, Antidote, dévoilé en mai dernier, elle n’a donc pas hésité un seul instant à “rester plongée dans de l’eau glacée pendant des heures”. Camille, sa manucure, l’aide à peaufiner son personnage de poupée trash jusqu’au moindre détail. Celle qui, avec une infinie patience, pose sur ses doigts des griffes vert fluo, des faux ongles zébrés, ou colle des strass argentés sur l’intégralité de ses mains.
Vernis ultra colorés, crème sur le corps, maquillage, perruque… la préparation de Shay exige des heures. Toute son équipe est aux petits soins. Certains lui présentent des fruits épluchés, tandis que d’autres lui apportent une orange pressée, lui tendent une cigarette préalablement allumée ou ajustent avec précision la ceinture sur sa robe Burberry en dentelle blanche. Voilà donc à quoi ressemble la vie d’une chanteuse aux milliers d’albums vendus… à celle d’une véritable princesse. Tout son entourage a appris à composer avec la passion de ses fans : “C’est des malades, mais je les aime, confie affectueusement la rappeuse belge. En France, tous les artistes ont des fans hyper polis, et moi, ils m’agressent ! Quand je mentionne Edem [son styliste] ou Camille sur mon compte Instagram, ils les harcèlent de messages : ‘Shay bosse sur quoi en ce moment ? Envoie des projets !’ ‘La prochaine fois que tu la vois, dis-lui que je l’aime, donne-lui mon numéro, s’il te plaît.’ C’est particulier, c’est sûr… je crois que c’est ce qu’on appelle l’amour passionnel.”
À leurs débuts, peu d’artistes connaissent la chance insolente d’une Shay. Alors qu’elle n’avait même pas choisi de faire de la musique, à 19 ans elle se retrouve d’emblée propulsée dans l’arène de Bercy, debout devant 17 000 personnes, donnant la réplique au célébrissime Duc de Boulogne, alias Booba, le parrain du rap français. Shay se souvient de cette incroyable trajectoire : “À cette époque, la musique était un hobby pour moi. J’étais jeune, j’écrivais un peu, j’enregistrais des chansons sur un magnétophone. Un jour, mon frère a eu l’idée de me filmer [son frère est compositeur. Lui-même produit des titres de rap sous la signature de Le Motif] et m’a écrit un morceau pour l’occasion. Ce dernier n’est jamais sorti officiellement, mais il a quand même un peu circulé en privé, et Booba l’a écouté. J’étais lamentable, je portais un haut hyper moulant et une montre G-Shock par-dessus mon tee-shirt… Bref, Booba a vu cette vidéo et il m’a appelée direct. J’en ai alors profité pour lui faire écouter Cruella, un autre morceau que j’avais écrit. Il a accepté de venir poser sa voix dessus à Bruxelles, et c’est devenu un titre de sa mixtape Autopsie 4. Voilà comment tout est parti”, confie-t-elle.
Extrêmement fidèle, le public de Booba attend beaucoup de ses concerts. Alors, quand le pape du rap invite une jeune fille de 19 ans à monter sur scène avec lui, comment encaisse-t-elle la pression qui pèse sur ses épaules ? “À l’époque où cela m’est arrivé, je n’avais pas du tout conscience de ce que Booba représentait. Mais je me suis vite rendu compte de l’ampleur du truc… Du coup, j’ai fait n’importe quoi ! Je n’étais jamais montée sur scène, j’étais une petite folle, je refusais de répéter, je n’arrivais pas à me réveiller à l’heure…” Heureusement pour la jeune insouciante, Booba, référence absolue de la musique urbaine en France, a pour habitude de chapeauter les artistes en devenir qu’il repère, et de lancer la carrière de ceux qu’il estime prometteurs (comme les rappeurs Maes, Niska ou un autre Belge, Damso) avant de les laisser prendre leur envol.
C’est donc en toute logique sur 92i, le label de Booba, que Shay sort son premier album Jolie Garce en 2016. Elle met trois ans à mûrir le suivant, Antidote, qui sort en mai 2019 chez Capitol : “J’étais signée chez 92i, et j’ai finalement décidé de partir. Je me suis séparée de Booba parce qu’on avait des visions différentes au niveau artistique”, déclare celle qui est aussi la petite cousine d’un autre artiste de la scène urbaine, le rappeur à texte Youssoupha. En écoutant ses rimes comme “La jolie garce va tous les catch up [les attraper]” (Catch Up sur l’album Jolie Garce), ou des déclarations comme “J’aimerais qu’il y ait plus de rappeuses, mais aucune n’est à la hauteur. Les seules qui essaient, je n’aime pas”, beaucoup imaginent que la Bruxelloise aux cils télescopiques est présomptueuse. Elle assure pourtant que c’est tout l’inverse : “Je suis très réservée dans la vie, je n’arrive pas à m’ouvrir. Dans Antidote, j’ai essayé de traduire par la musique les émotions que j’ai tant de mal à exprimer. Je me suis libérée, j’étais contente. Et cela m’a inspiré le nom de l’album.”
À 8 ans, Shay organisait des petits concerts devant son grand-père, le chanteur de rumba congolais Tabu Ley Rochereau, “pour l’impressionner”. Désormais armée d’un peu plus d’assurance, elle n’hésite pas à approcher des compositeurs renommés qui partagent sa vision de la musique, à l’instar du rappeur belge Damso, parolier acclamé, qui lui a même écrit la chanson Pleurer. “Je le connais depuis huit ans. Quand on s’est rencontrés, je rappais déjà, et lui, pas encore. Il a toujours voulu écrire pour moi… Un jour, on était en studio, on discutait, et il m’a interrompue : ‘Mais pourquoi tu ne racontes pas tout ça dans un morceau ?’ Comme les mots ne me venaient pas, il a accepté de le faire pour moi, un vrai cadeau.” En résulte un titre déjà plébiscité, où Shay se confie : “Vingt-sept balais, questions-doutes/ J’m’oublie pour des gens qui n’pensent qu’à eux/ J’pourris doucement en manque d’aveux.”
Entre les shootings, la Fashion Week de Londres (où on pouvait l’apercevoir en front row), les campagnes Burberry (dont elle partage l’affiche avec Carla Bruni, notamment) et les dîners avec son ami et styliste favori Riccardo Tisci, Shay ne perd pas une seconde. Elle compose tous les jours : “Je ne me laisse aucun temps mort. Je travaille déjà sur mon prochain projet, chez moi, à Bruxelles. Dans mon studio, j’ai mis des lampes rouges. Dès que j’y entre, je m’immerge tout entière dans mon univers. Plus qu’un endroit où je me sens bien, c’est vital pour moi.”
Antidote de Shay (Capitol) disponible.
Belgian Rap star Shay never does anything by halves. She’s not the sort who would balk, for example, at the prospect of a difficult video shoot or album-cover session. When it came to the artwork for her second album, Antidote, which came out last May, she didn’t hesitate for a second when she was asked to “spend hours in freezing-cold water.”
Shay’s closest confidante is Camille, her makeup artist, who helps her perfect her trash-doll image in all its myriad details, from body cream, face paint and wigs right down to the neon-green claws, zebra-stripe nails and thousands of silver sequins that are glued onto her hands. Getting Shay ready takes hours, mobilizing a whole team that caters to her every need. Some hand her ready-peeled fruit or a pre-lit cigarette, others squeeze her an orange or carefully adjust the belt on her white-lace Burberry dress. Such is the princess-like lifestyle of a rap star who has conquered both her native land and neighbouring France.
Everyone involved with Shay has had to learn to deal with the hardcore enthusiasm of her fans. “They’re crazy, but I adore them,” she says affectionately. “In France, all the other artists have super-polite fans, but half of mine harass me! When I mention Edem [her stylist] or Camille on Instagram, they bombard them with messages: ‘What’s Shay working on at the moment? Give us a look!’ ‘Next time you see her, tell her I love her, give her my number please.’ It’s weird, for sure… I think that’s what you call passionate love!”
Few music stars start out with the insolent luck that set Shay on her path. At just 19, before she’d even decided to go into music, she found herself performing in front of 17,000 people at Paris’s Bercy Arena with the mega-famous Duc de Boulogne, alias Booba, the godfather of French rap. “At that point in time, music was a hobby for me,” recalls Shay. “I was young, I wrote a little bit, I recorded songs on a tape player. One day my brother [a composer who produces rap tracks under the alias Le Motif] decided to film me, and wrote a song specially for it. The result was never officially released, but it did the rounds in private, and Booba saw it. To be honest I was ridiculous – I was wearing a super-tight top and a G-Shock watch over my T-shirt… Anyway, Booba saw the video and called me in person. I took the opportunity to play him Cruella, another piece I’d written. He agreed to add his voice to it in Brussels, and it became one of the tracks on his mixtape Autopsie 4. That’s how it all started.”
Booba’s legendarily loyal fans expect a lot from his concerts, so when the king of rap invi ted a 19-year-old girl to join him on stage, how did she deal with the pressure? “At the time I really wasn’t terribly aware of what Booba represented. But the scales soon fell from my eyes, and my reaction was, looking back, totally crazy! Even though I’d never been on stage, I refused to rehearse, I never managed to wake up on time…” Luckily for the young ingénue, Booba is used to grooming the talent he spots and to launching the careers of those he finds promising – such as rappers Maes, Niska and Damso, the lat ter also from Belgium – before falling out with them! So it was that Shay brought out her first album Jolie Garce on Booba’s label 92i in 2016, following it up three years later with 2019’s Antidote, this time released by Capitol. “I was signed by 92i, but in the end I decided to leave. Booba and I had different artistic visions,” she says prudently.
Hearing lines like “The pretty little vixen will catch them all up” (from the track Catch Up on Jolie Garce) or declarations such as “I’d like there to be more female rap stars, but none of them are any good. I don’t like any of those who’ve tried,” you’d be forgiven for finding the girl with telescopic eyelashes rather presumptuous. But actually it’s quite the reverse, says Shay. “I’m extremely reserved in real life – I find it hard to open up. On Antidote, I tried to translate into music the emotions I find so difficult to express. I found freedom, I was happy, and that’s what inspired the album’s title.”
“They’re crazy, but I adore them,” says Shay affectionately of her fans. “In France, all the other artists have super-polite fans, but half of mine harass me! … I think that’s what you call passionate love!”
When she was eight, Shay would put on little concerts for her grandfather, the Congolese rumba singer Tabu Ley Rochereau, “in order to impress him” (she’s also the cousin of the politically engaged rapper Youssoupha). Armed with the same confidence today, she doesn’t hesitate to contact renowned composers who share her artistic vision, such as the Belgian rapper Damso, an acclaimed wordsmith, who wrote the song Pleurer for her. “I’ve known him for eight years. When we met, I was already rapping, but he wasn’t yet. He’s always wanted to write for me… One day, we were talking in the studio, when all of a suddden he interrupted me: ‘Why don’t you put all of that in a track?’ Since the words wouldn’t come, he agreed to do it for me. It was a very generous gift.” A huge success, the song includes lines like: “27 years old, questions-doubts/ I forget myself for people who think only of themselves/ I slowly rot for lack of avowals.”
Between photo shoots, attending the front rows at London Fashion Week, campaigns for Burberry (which also feature Carla Bruni, among others) and dinners with her friend and favourite stylist Riccardo Tisci, Shay has no time to waste, composing every day. “I don’t allow myself any down time. I’m already working on my next project, at home in Brussels. In my studio, I’ve installed red lamps. The minute I go in there, I’m completely immersed in my own world. It’s more than just a place where I feel good, it’s vital for me.”
Shay, Antidote (Capitol), out now.