23 mai 2022

Rencontre avec Uffie, la reine de l’ère Myspace qui a su rester cool

Après une longue pause loin des lumières scintillantes de l’industrie musicale et du clubbing, la chanteuse américaine Uffie, star de l’ère Myspace et icône du label Ed Banger, revient avec un nouvel album électro-pop-rock attachant et dansant, intitulé Sunshine Factory. Rencontre avec une artiste de 34 ans dont l’aura cool n’a pas été entachée par l’arrivée de nouvelles modes.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Dans les années 2000, à l’époque des blogs musicaux, de Myspace et des robes en coton moulantes American Apparel, le summum du cool avait un nom (amusant) et un visage (ravissant), celui d’Uffie. Star de l’écurie Ed Banger et collaboratrice de Justice, Mr. Oizo, SebastiAn, Pharrell Williams et Mirwais, la DJ et chanteuse Anna Catherine Hartley-Poole (de son vrai nom) était de toutes les soirées et événements qui comptent, des Fashion Weeks aux festivals du monde entier. Mais après ce tourbillon de fêtes, d’excès et de médiatisation débuté très tôt dans son l’adolescence, l’Américaine née à Miami (d’un père britannique et d’une mère japonaise), qui vivait alors à Paris, avait décidé, après son premier album, Sex Dreams and Denim Jeans (2010) de faire une pause et de ne pas enchaîner immédiatement d’autre projet.

 

Après un featuring sur un single de Charli XCX en 2017 et un EP mélancolique, Tokyo Love Hotel en 2019, la figure attachante de la scène club post-Y2K annonçait l’an dernier son retour. Mère de deux enfants divorcée de l’artiste André, la chanteuse mène aujourd’hui une existence plus sobre à Los Angeles et signe, avec l’album Sunshine Factory, son retour sur les dance-floors. Désormais signée sur le label fondé par le producteur américain prodige Toro y Moi (collaborateur de Blood Orange, Tyler, The Creator et Travi$ Scott), Company Records, elle a imaginé – en grande partie avec lui – des chansons aux airs de bonbons acidulés.

 

La chanteuse de 34 ans réussit avec Sunshine Factory à construire une boîte de nuit d’apparence austère (semblable au Berghain à Berlin) mais dans laquelle on peut danser sur des morceaux hédonistes croisant l’électro-pop, le rock indépendant, le ska et la bedroom pop. On pense parfois, en écoutant les nouveaux titres entraînants de l’Américaine, à la chanteuse-compositrice anglaise Beabadoobee et à Gwen Stefani. Mais c’est surtout le charme de la Uffie de Pop the Glock que l’on retrouve. La Uffie qui a ouvert la voix à une électronique à la fois sensuelle, nostalgique et innocente, qui s’écoute dans sa chambre autant qu’en after. Rencontre (via WhatsApp) avec une icône dont l’aura cool n’a pas pris une ride.

Numéro : Comment est né cet album ?
Uffie : Durant les confinements, j’ai commencé à travailler sur des chansons avec un ami, le Norvégien Lasse Lokøy, en grande partie au Portugal – parce que c’était le seul endroit où nous pouvions nous rejoindre à cause des restrictions sanitaires. Contrairement à mon premier album qui a été très long à concevoir, tout a été très rapide et simple pour celui-ci. Je n’avais pas la pression  d’un label et me sentais très libre. Au départ, j’avais demandé à Toro y Moi s’il voulait apparaître sur un morceau, et cela s’est finalement terminé avec un album entier, sur lequel il a joué et ajouté l’âme de vrais instruments ! 

 

Le texte qui accompagne l’album décrit celui-ci comme un havre de paix pour les rêveurs, les freaks et les amoureux, mais aussi comme une balade en club comprenant un détour en forêt, qui finit entre les bras d’un amant. Puis il y a le réveil avec un jean imbibé de champagne et le cœur palpitant, au son des basses de la soirée de la veille. Dans quel état d’esprit étiez-vous pour l’écrire ?
Comme j’ai réalisé cet album pendant les confinements, je voulais qu’il reflète ce qui nous manquait. Pour moi, c’était surtout la nature. J’étais entourée de béton et je voudrais créer une échappatoire à cet environnement gris, des paysages imaginaires chatoyants, via la musique. Je voulais que cet album se vive comme une expérience. J’avais envie d’une « safe place » destinée à tous ceux qui ont besoin de s’évader de notre réalité. Le fait d’avoir été prisonniers de nos appartements et d’un quotidien qui pouvait être pesant ainsi que de travailler à la maison pendant la pandémie m’a fait prendre conscience de notre besoin crucial de réalités alternatives. Cet album a été inspiré par mon expérience d’artiste privée de tournée et de femme/mère gardant ses deux enfants à domicile.

 

La thématique de l’espace revient beaucoup dans cet album et dans les photos promotionnelles façon Barbarella…

J’ai un côté « alien » parce que j’ai grandi un peu partout à travers le monde, de la Floride et à Hong Kong, la profession de mon père [qui travaillait pour Lee Cooper, ndr] exigeant alors qu’il voyage beaucoup. Cela m’a souvent fait me sentir une martienne : quelqu’un qui venait d’ailleurs et devait trouver sa place.

Cet album navigue entre le disco, la pop, l’électro, le ska et l’indie rock. Quelles en sont les inspirations ?
J’ai toujours écouté de la musique très éclectique, comme des morceaux house qui passaient en rave ou des rappeurs old school, mais aussi des groupes de rock comme les Zombies. Sur ce disque, je me suis dit : « Qu’est-ce que ça pourrait donner si on mélangeait tout ça ? » L’idée était aussi d’apporter sur cet album les différentes facettes de ma personnalité, à la fois mon amour pour le R’n’B, la scène ballroom new-yorkaise – je suis fan de la série Pose – qui permet de devenir qui l’on veut le temps d’une soirée, la musique électronique, mais aussi mon aspect plus punk. Pendant la pandémie, on a tous découvert ou redécouvert des parties de soi qu’on ignorait. Je les ai donc explorées dans des chansons.

 

Vous avez écrit des morceaux en tant que ghostwriter, pour la chanteuse Pink ou le groupe pop-rock Tegan and Sara. Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
Le fait d’écrire des morceaux pour beaucoup d’artistes pop m’a permis d’en apprendre plus sur la structure des chansons mainstream et la manière de rendre des titres plus dansants ou efficaces. Ça a influencé ma façon d’écrire des morceaux, afin qu’ils soient plus fluides, et que les refrains soient plus accrocheurs.

 

La chanteuse canadienne Peaches est présente sur votre album. Que représente-t-elle pour vous ?
Je suis une grande fan de son univers. Je l’ai rencontrée il y a très longtemps dans un festival. Je suis allée la voir pour lui déclarer mon admiration. C’est quelqu’un de génial, puissant, dont l’énergie est communicative. C’était un honneur de l’avoir sur ce disque, car c’est l’une de mes plus grandes influences.

 

Vous avez collaboré avec Justice et Pharrell Williams, parmi bien d’autres pointures musicales. Quel est votre meilleur souvenir de l’ère Ed Banger ?
Je dirais les tournées avec Justice qui en plus d’être des artistes géniaux sont de super êtres humains. Et la fois où j’ai joué à l’orangerie du château de Versailles avec Pharrell Williams pour l’exposition de Takashi Murakami en 2010. On peut difficilement imaginer un lieu plus magique.

Vous vous êtes aussi produite, à vos débuts, devant un Kanye West euphorique (en train de danser sur une table), au Maxim’s, à Paris. Que pensez-vous du rappeur ?
C’est la question piège (rires). Disons que je sais séparer l’artiste de l’homme. J’adore sa musique et je le trouve vraiment génial dans sa façon de toujours innover. Mais je suis moins en phase avec ces récentes prises de paroles sur les réseaux sociaux. En tout cas, à ce concert, il avait été super sympa car il était venu me féliciter et me dire qu’il adorait mon morceau Pop the Glock à la fin de mon live.


Avec la récente tendance « indie sleaze » qui s’est emparée des réseaux sociaux, tout ce qui était typique de l’ère Myspace (des années 2000 et 2010), revient à la mode. Comment vivez-vous le retour de cette esthétique qui vante un lifestyle débridé ?
J’en parlais récemment avec mes amis du groupe Klaxons. Ce comeback nous a fait halluciner. Voir des photos vintage de nous en soirée, allongés dans une baignoire en vêtements colorés, postées sur Instagram me fait beaucoup rire, mais je trouve ça assez chouette. C’était une époque fun, avec un grand sentiment de liberté, une naïveté, même si les looks n’étaient pas toujours super. Les gens sortaient toute la nuit comme s’il n’y avait pas de lendemain. C’est amusant de regarder les anciennes images de cette époque. On adore tous retourner dans le passé et la mode fonctionne par cycles. On a eu le revival nineties, puis celui des années 2000. Alors c’est assez logique qu’on s’intéresse aujourd’hui aux années Myspace. Et puis, je dois l’avouer, je suis la première fan des revivals.

 

Ces dernières années, vous êtes devenue maman, avez divorcé,  avez déménagé dans le désert de Joshua Tree et étudié les sciences (dont la biologie). Mais aussi arrêté à un moment donné la drogue et l’alcool. Étiez-vous lassée du clubbing et de l’industrie musicale ?
J’ai commencé très tôt à faire de la musique (dès l’adolescence) et devoir me produire en live plusieurs fois par semaine, sans faire de pause, m’a épuisée. Quand j’ai eu ma fille, j’ai du sortir mon album juste après et en assurer la promo. J’étais vraiment fatiguée à ce moment-là et les managers te demandent toujours tout un tas de choses. J’ai alors ressenti le besoin d’être un être humain concentré sur sa famille pendant un certain temps plutôt qu’une « party girl ». C’est aussi pour ça que je n’ai pas sorti mon deuxième album, qui était fini en 2012, en 2013 (le disque est resté inédit depuis).

 

Avez-vous des regrets ?
Il y a quinze ans, la culture clubbing était très différente. Je me couchais très tard, je ne dormais presque pas et j’avais le sentiment d’une fête infinie. On parle plus de selfcare maintenant, du fait de prendre soin de soi et de sa santé mentale, notamment pour les femmes. Aujourd’hui, j’arrive à trouver un équilibre, à faire un DJ set à New York puis à m’occuper de mes enfants, à cuisiner et à trouver du temps pour moi. Je ne changerai rien du tout au passé mais si c’était à refaire, je ne pourrais pas autant être partout.


Sunshine Factory (2022) d’Uffie, disponible sur toutes les plateformes.