7 avr 2022

Rencontre avec November Ultra, nouvelle figure envoûtante de la bedroom pop

Après une série de singles envoûtants, la chanteuse française d’origine espagnole November Ultra dévoile ce vendredi 8 avril son premier album, Bedroom Walls. L’occasion de rencontrer cette artiste onirique qui possède le don de nous consoler de la morosité ambiante avec ses ballades puissamment émotionnelles.

Si la douceur était une personne, elle s’appellerait sûrement November Ultra. Depuis la sortie de son premier titre en novembre 2020, la chanteuse de 33 ans hispano-française a fait une percée fulgurante sur la scène musicale avec sa bedroom pop, désormais transportée bien loin de l’intimité de sa chambre. Si elle fait ses armes avec le trio rock Agua Roja, c’est toute seule, libre et audacieuse qu’elle révèle toute sa puissance lorsqu’elle décide de se consacrer à sa carrière solo en 2018.


Alliée à des mélodies enveloppantes et des rythmes hypnotiques, sa voix cristalline et vertigineuse fait des merveilles sur des singles et reprises au piano qui ont rencontré un grand succès sur TikTok. En plein dans l’inquiétude générale du premier confinement, son apaisante berceuse aux accents célestes intitulée Soft and Tender, sur le thème de l’amour, plongeait dans son sanctuaire aussi lumineux que mélancolique. Sur son premier album, Bedroom Walls, qui sort ce vendredi 8 avril, sa pop emporte encore une fois l’auditeur, séduisant par son mélange réussi de folk, de copla espagnole – qui est une musique populaire issue du folklore espagnol –, de R’n’B et de musique de comédies musicales. Rencontre avec la nouvelle étoile de la pop de chambre, adoubée par Clara Luciani, Pomme, Barbara Pravi et Feu! Chatterton.

 

Numéro : Votre pseudo November Ultra vient de votre mois de naissance et du nom de la première mixtape, Nostalgia, Ultra de Franck Ocean. Pourquoi cet artiste compte-t-il autant pour vous, au point de lui rendre cet hommage ?

November Ultra : Cette mixtape, Nostalgia, Ultra, a représenté, pour moi, quelque chose de fort. Dans le fond comme dans la forme, je trouve cette mixtape géniale. Frank Ocean l’a enregistrée avec ses potes, en auto-édition, sans le soutien d’un label… Il y a une forme d’une la libération dans ce geste. D’un coup, tout le monde la télécharge, et l’aime. Ça lui offre une liberté et une indépendance énorme. Je trouve ça très intelligent ce genre de prise de liberté via la musique. C’est quelque chose qui m’a vraiment imprégnée. C’est le même effet que me fait Rosalía avec le récent Motomami. Tous deux sont des artistes très libres dans leurs choix créatifs et qui n’ont pas froid aux yeux. J’espère réussir à faire de la musique avec autant d’indépendance.

De 2013 à 2018, vous étiez chanteuse au sein du groupe indé Agua RojaAprès cette séparation, qu’est-ce qui vous a motivée à continuer en solo ? 

J’étais chanteuse, musicienne, et compositrice… Je n’allais pas arrêter la musique après la fin du groupe. D’ailleurs, aucun de nous trois n’a arrêté la musique. Je pense que nous étions tous les trois à une croisée des chemins. Benjamin [Porraz] est guitariste pour Clara Luciani. Clément [Roussel] est producteur et très heureux en studio, c’est un ingé son incroyable. C’est d’ailleurs lui qui a mixé tout mon album. On est resté tous les trois en très bons termes. Mais j’avais envie de sortir de ce confort qu’était notre groupe parce que, pendant mes cinq ans avec eux, j’étais entourée. Ce trio a représenté toutes mes premières fois : première fois en studio, premier concert…C’est moins effrayant quand tu es accompagné, mais à un moment tu te dis “ tu sais quoi ? Il faut que j’arrive à faire ça seule.” À nouveau, il y a quelque chose de libérateur dans ce choix. Je crois que c’est David Bowie qui disait : “quand tu es dans la mer, il faut vraiment que tu ailles à l’endroit où tu n’as quasiment plus pied, parce que c’est là que les plus belles choses arrivent.” C’est lorsque qu’on fait les choses qui nous terrifient qu’on en apprend le plus sur nous. 

 

 

“C’est lorsque qu’on fait les choses qui nous terrifient qu’on en apprend le plus sur nous.”

 

 

Quelles sont vos influences majeures ? 

Toutes les personnes que tu croises t’influencent. Dès que tu entends, lis, écoutes des paroles, ça a un impact… Mon grand-père m’a beaucoup influencée. Il m’emmenait souvent voir des comédies musicales en Espagne, d’où il vient. Il m’a appris ma première chanson dès que j’ai su parler et j’ai su chanter grâce à lui. C’est quelqu’un qui est aussi obsessionnel que moi. Nous nous sommes beaucoup reconnus à ce niveau-là. Sinon, il y a beaucoup d’artistes qui n’ont pas froid aux yeux qui m’inspirent. Quand tu vois des gens accomplir un acte de courage, ça donne envie toi aussi de le faire. Je trouve notamment Bonnie Banane incroyable. À chaque fois que je l’écoute ou que je vois un de ses clips, je suis bluffée. C’est pour ça qu’on fait de la musique. Parfois, on vit dans la peur et il suffit d’une personne qui nous ouvre la voie… et la voix. 

Le visuel de votre pochette a quelque chose de christique, on vous y voit telle une madone avec un voile sur le visage. Votre merchandising est lui aussi très étudié : vous avez édité des affiches, une carte vinyle ou encore des cartes de tarot illustrées à votre image. Pourquoi la direction visuelle de votre projet est-elle aussi importante ?

C’est très aligné avec ce que je suis dans la vraie vie. Je me balade avec un gros manteau rose et un bob avec des cœurs dessus… Ce n’est pas un costume, ce sont des choses que je porte réellement. Je ne vais pas aller faire mes courses chez Carrefour avec du tulle, mais j’adorerais, croyez-moi (rires) ! Il n’y a rien de plus beau que de romancer sa vie. Quand tu es une femme grosse, tu dois être très pointue sur tous les axes de ta création. On a moins le privilège et la possibilité du simple. Je ne passe pas des nuits à me demander comment je vais m’habiller pour mon prochain clip, mais j’apporte une attention particulière à l’esthétique, aux clips, aux photos. Pour les personnes qui sont discriminées en tant que femmes, en tant que personnes grosses, en tant que personne racisées ou en tant que personnes non-binaires, celles et ceux qui ne rentrent pas dans la norme cis hétéro, il faut souvent que leur projet et leur proposition soient très précis.

 

 

“Il n’y a rien de plus beau que de romancer sa vie.”

 

 

Votre musique est souvent catégorisée comme de la bedroom pop. Vous reconnaissez-vous dans ce style de musique ?

Mon album s’appelle Bedroom Walls, donc je ne peux pas dire le contraire ! Et il n’a pas été conçu en studio, mais dans une chambre, donc forcément on parle de bedroom pop. Certains titres ont aussi été réalisés dans une maison en Bretagne. Ce qui correspond à la bedroom pop, c’est surtout l’envie d’intimité dans les paroles et dans ce que la chanson raconte. 

 

Pourquoi chanter vos morceaux le plus souvent en anglais, et par moments en espagnol, plutôt qu’en français ? 

L’anglais, c’est la seule langue que ma mère, espagnole, ne comprenait pas. J’étais très timide, je le suis toujours d’ailleurs, mais comme quand tu écris et chantes, tu fais vivre tes émotions, je ne voulais pas que ma mère les comprenne ! Soit j’inventais une nouvelle langue, soit je choisissais la solution de facilité : l’anglais. J’ai fermé symboliquement la porte de ma chambre à ma mère en tant qu’adolescente pour ne pas qu’elle ne se rende compte de ce que je vivais, mais, symboliquement, l’anglais m’a ouvert une fenêtre. C’est comme si j’avais ouvert la fenêtre à tous les gens de la rue dans un sens. Dans ma tête, je me disais “c’est cool,” ma mère ne comprend pas, mais d’autres personnes comprennent. 

Vous avez déjà collaboré avec Feu! Chatterton, Pomme et avec Clara Luciani. Comment vous sentez-vous intégrée à la scène musicale francophone ? 

Nous avons une relation amicale avec Clara. Je pense que c’est du respect mutuel très fort d’artiste à artiste, comme avec Pomme et Feu! Chatterton. Ce sont des artistes que j’admire beaucoup et des personnes qui m’ont tendu la main. J’aime beaucoup l’idée qu’il y ait des gens qui brillent et qui éclairent les autres. Je dois par exemple à Pomme mon premier concert en solo. Elle avait une carte blanche au printemps de Bourges et m’a envoyé un message pour me le proposer. C’est précieux car c’est comme un chaînon, que j’essaie aussi d’entretenir à ma manière. Pendant quelques années, j’ai tenu un blog musical où je partageais des clips d’artistes que j’adore, d’ailleurs. Donner de la force aux autres artistes, c’est vital. 

 

 

“En tant qu’artiste, on peut créer des fenêtres de respiration et de réflexion sur la vie.”

 

 

Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, où l’un de vos titres a explosé. Quelle relation entretenez-vous avec ces plateformes aujourd’hui ?

J’ai eu très peu de followers pendant un an. C’est une version acoustique du morceau Miel où je disais “I don’t wanna get married, I don’t wanna have a baby” qui a rencontré le succès. De nombreuses femmes anglaises et américaines m’ont envoyé des messages qui disaient : “je me reconnais dans vos paroles.” Je pense que ça a été salvateur car nous étions confinés lorsque mon premier morceau, Soft and Tender (2020), est sorti. À ce moment-là, les gens avaient besoin d’entendre une berceuse, et moi, j’avais besoin d’en sortir. Les réseaux sociaux ont juste permis que le pont entre nous ne soit pas coupé. Cela me relie aux gens.

 

Ces dernières années, la situation sanitaire, politique et climatique mondial est devenue particulièrement violente et pesante. Comment trouver sa place en tant qu’artiste dans ce contexte ?

Je me suis justement beaucoup questionnée avec la pandémie et plus récemment avec la guerre en Ukraine. Quel était l’intérêt de faire ce métier ? Je trouvais ça difficile de continuer à parler de musique alors qu’il y a des choses si graves qui se passent. Je n’ai toujours pas la réponse à ce sujet. Tout ce que je sais, c’est que la musique est la seule chose que je sais faire. Avant, j’étais traductrice pour les sourds et malentendants parce que cela m’importait. Je me disais que ce que je faisais servait à rendre accessible des informations, du divertissement, de la culture… Dans l’absolu aujourd’hui, si quelqu’un tombe sur ma chanson alors qu’il passe une mauvaise journée et qu’il te dit ça l’a apaisé alors je me dis que j’ai servi à quelque chose, ne serait-ce qu’une minute. En tant qu’artiste, ce que l’on peut faire c’est créer des fenêtres de respiration et de réflexion sur la vie. 

 

 

November Ultra, Bedroom Walls (2022), disponible sur toutes les plateformes.