Rencontre avec Nili Hadida : “Je veux faire des chansons pour faire l’amour”
Pour son premier album solo, Nili Hadida a fait dans la sobriété. Inclassable, son œuvre hybride et ultra sensuelle porte son propre nom. La voix de Lilly Wood and the Prick abandonne son complice de toujours et part seule au front; dans son carquois : des flèches soul et des carreaux pop qui touchent leur cible en plein cœur. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Lorsqu’elle a présenté un extrait de son nouvel album lors d’un concert privé au Petite Amour il y a quelques semaines, Nili Hadida était bien entourée. Pas par la formation de Lilly Wood and the Prick mais par un mur de cuivres, cinq musiciens qui l’accompagnaient et lui offraient le meilleur des shoots d’adrénaline. La musicienne présente Nili Hadida, onze titres au tempo relativement lent, un moderato assumé qui convoque l’esprit de ses artistes favoris : les grands pontes de la soul. Si ce premier album solo s’écoute dans toutes les situations, il conviendra surtout à ceux dont les draps trempés de sueur rendent compte d’une nuit d’amour caniculaire… Rencontre avec Nili Hadida, une chanteuse dans un costume tout neuf.
Numéro : Vous signez ce premier album solo de votre propre nom. Un pari risqué. Comment avez-vous convaincu vos producteurs d’abandonner la “marque” Lilly Wood and the Prick ?
Nili Hadida : Je sais que ce revirement peut prêter à confusion mais Lilly Wood and the Prick, cela n’a jamais vraiment été moi, juste un nom de groupe débile. Si l’on prend l’exemple de Christine and the Queens qui a aussi changé son nom, sa mue en Chris est totalement différente car elle était déjà seule au départ. Pour mon premier album solo, j'ai donc choisi d'utiliser ma véritable identité parce qu’à 30 ans on n’a plus besoin de se cacher derrière un pseudonyme. Et j'estime qu'il aurait été très opportuniste et proprement dégueulasse de présenter un projet “Lilly Wood”. Désormais, je suis passée à autre chose, ma musique a changé de façon radicale. Cet album est un véritable challenge, avec Nili Hadida je me mets en danger.
D’ailleurs, qui est-elle vraiment cette Nili Hadida ?
Je suis originaire de Tel-Aviv. Je suis arrivée en France à l’âge de 3 mois et j’ai été élevée par ma mère et mon beau-père. Mais à 13 ans j’étais tellement insupportable que j’ai quitté le foyer pour rejoindre un internat en Angleterre. Mais ça n’a pas fonctionné. J’ai rejoint mon père biologique en Californie. Ça n’a pas fonctionné non plus. J’ai donc commencé à travailler à 17 ans : je vendais des fringues à mi-temps, j’étais réceptionniste dans un cabinet d’avocats… Puis j’ai rencontré Ben [Benjamin Cotto, ex-membre de Lilly Wood and the Prick] et nous avons monté un groupe. Pour des raisons obscures, cette fois-ci, ça a fonctionné.
“Les trompettes et les saxophones me ramènent à tout ce que j’aime : Otis Redding, Aretha Franklin… Avec un mur de cuivres derrière moi, je me sens invincible.”
Étiez-vous déjà musicienne au moment de cette rencontre ?
Oui, j’ai toujours eu envie de faire de la musique. En Californie, il y avait un piano, j’écrivais des morceaux qui étaient certainement très mauvais, mais, au moins, j’en écrivais. Plus tard, je retrouvais mes amis le dimanche pour assister à des scènes ouvertes. C’est lors d’une de ces soirées que l’on m’a présenté à Benjamin, de la plus simple des manières : “Nili, voici Ben !” Nous avons échangé nos numéros et, quelques jours plus tard, j’étais chez lui en train de composer. Nous étions tous les deux un peu nuls, les problèmes d’ego n’existaient pas, nous avions autant à nous apporter l’un que l’autre. Au bout de six mois, on est venu nous chercher via Myspace puis nous avons été signés dans la foulée. En 2011, nous obtenions une Victoire de la Musique dans la catégorie “Révélation du public”.
Benjamin Cotto est-il crédité sur ce nouveau projet ?
Pas sur la musique non. En revanche, il a réalisé le clip A Lot Too Much. Je suis très loyale et j’avais logiquement envie de l’inclure dans cette histoire. Après dix ans de collaboration, il est difficile de se séparer de quelqu’un comme ça. Je ne sais pas s’il le vit bien d’ailleurs.
Nili Hadida n’est donc pas qu’une simple parenthèse
Non, j’ai vraiment envie de faire mon truc à moi. Si l’album ne fonctionne pas, je trouverai un autre job. Pour rien au monde je ne reformerai le groupe en revenant la queue entre les jambes. Si l’album cartonne, alors peut-être que l’on se retrouvera…
Comment envisage-t-on la suite de sa carrière après avoir décroché une Victoire de la musique ?
Nous avons travaillé sur un deuxième album dont j’étais très satisfaite et qui a très bien fonctionné d’ailleurs. La tournée était complète partout. Puis nous avons eu envie de changer d’air et de composer un troisième opus à Bamako, au Mali. Mais sur place, nos téléphones n’ont pas arrêté de sonner. Tout le monde nous appelait en hurlant “Le remix d’un de vos titres passe en boucle à la télé et à la radio !” Nous, nous n’étions pas du tout au courant… Nous avons donc contacté nos producteurs qui ont établi un nouveau contrat afin que nous touchions des royalties. De retour en France, nous avons enfin rencontré ce fameux DJ allemand, Robin Schulz. Finalement, ce remix du morceau Prayer in C nous a beaucoup aidé financièrement et nous a permis de renégocier les termes de notre contrat. Un tube international confère un nouveau statut.
Qu’est-il advenu de ce troisième projet débuté à Bamako ?
Malheureusement, il est sorti le 13 novembre 2015, le jour des attentats de Paris. Psychologiquement, c’était très dur. Mais la tournée fut mémorable. À cette époque, nous étions à notre apogée et je pense que nous ne pouvions pas faire mieux. Dans ces cas-là, il faut savoir s’arrêter au bon moment et ne surtout pas attendre la chute. Deux jours après la tournée je me suis barricadée dans une maison, isolée de tout j’ai composé mon premier album solo.
“J’essaye toujours de concevoir le live différemment qu’une simple prise de studio. Sinon il suffit de prendre n’importe quel type au synthé et une boîte à rythmes, chose que je me refuse.”
Nili Hadida est œuvre hybride et inclassable constituée de onze titres qui oscillent entre soul et pop. Les accords de guitare lointains et épurés du titre A Lot Too Much rappellent notamment certains morceaux de The Internet…
La soul est la musique que j’aime mais chanter de la soul nécessite une certaine technique… que je n’ai pas. J’ai une voix de chanteuse pop. En fait, je crois que je suis juste une Blanche qui essaye de faire de la musique de Noirs [rires]. Mais j’assume totalement ! J’ai travaillé avec des gens issus de cette culture musicale et c’est justement ce qu’ils ont tenté d’insuffler à cet album. Lorsque je l’ai composé en piano-voix, j’écoutais essentiellement D’Angelo et Solange Knowles. Avant, je m’accompagnais à la guitare ou à la basse, mais mon niveau laisse à désirer. Je me souviens qu’avec Lili Wood and the Prick je jouais deux titres sur scène avec une guitare mais à mon avis elle n’était même pas branchée… [rires]
Pourquoi avoir dédié une chanson à l’artiste américain Frank Ocean ?
Cet ancien membre du collectif Odd Future est l’un de mes artistes préférés, notamment parce qu’il vient du rap. Frank Ocean traite de sujets existentiels et ne se contente pas de multiplier les “nigger” et les “bitch”. Il se pose des questions avec une douceur monumentale. L’un des titres de cet album s’appelle Frank, c’est une réponse directe à son morceau Pink Matter avec Andre 300 sur l’album Channel Orange.
“Je veux faire des chansons pour faire l’amour, pas sur le tofu.”
En live, vous débarquez sur scène avec un mur de cuivres, cinq musiciens qui donnent une nouvelle couleur à chaque morceau. Comment ces arrangements vous sont-ils venus en tête et pourquoi ne pas les avoir directement intégrés à l’album ?
J’essaye toujours de concevoir le live différemment qu’une simple prise de studio. J’ai fini cet album depuis un an déjà mais pour le défendre sur scène, j’ai besoin d’une nouvelle dynamique, de quitter ma zone de confort. Sinon il suffit de prendre n’importe quel type au synthé et une boîte à rythmes, chose que je me refuse. Au début, je voulais deux cuivres sur scène avec moi, une formation très réduite qui aurait déjà coûté une petite fortune. J’ai contacté Victor Lehmann, un arrangeur de génie qui m’a dit “Nili je t’arrête tout de suite, deux cuivres c’est ridicule. Il t’en faut au moins cinq.” Par chance, mon tourneur, Live Nation, a un bon portefeuille. Aujourd’hui, nous sommes six sur scène, autant que la formation de Lilly Wood and the Prick à son apogée.
Pourquoi avoir voulu inclure cette façade de cuivres précisément ?
Les trompettes et les saxophones me ramènent à tout ce que j’aime : Otis Redding, Aretha Franklin, le jazz et la soul en règle générale. Avec un mur de cuivres derrière moi, je me sens invincible. En studio, Victor Lehmann arrange chaque morceau tel un fantôme de l’opéra. Il génère des partitions derrière son ordinateur mais je garde un œil sur lui et supprime les fioritures, je préfère les compositions épurées.
Vous refusez d’écrire des chansons engagées et des titres politiques mais peut-on vous qualifier d’activiste ?
Oui et non. Je me suis engagée auprès de PETA [Pour une Éthique dans le Traitement des Animaux] et j’ai été porte-parole de l’association L214 qui défend la cause végane et le droit des animaux. Lors d’un voyage en Grèce, je me suis retrouvée face à de pauvre bêtes en plein soleil, sans eau, qui me regardaient droit dans les yeux avec leurs plaies béantes. Que l’on mange de la viande ou pas, on ne peut pas être insensible face à cela… J’ai lancé une pétition, ce n’est pas grand chose mais au moins j’ai l’impression d’avoir agi au lieu de chialer dans l’avion en rentrant. J’ai chialé, certes, mais j’ai fait quelque chose.
Le genre musical de votre album ne se prête donc pas à cette forme d’activisme ?
Je veux faire des chansons pour faire l’amour, pas sur le tofu. La musique est capable de rassembler et je tiens plus que tout à ce rassemblement général. En tout cas je ne cherche pas à délivrer des messages, à soutenir une cause ou alimenter un quelconque débat. D’ailleurs, mis à part la cause LGBT et la maltraitance animale, je ne me sens concernée que par très peu de débats. Mais ce n’est pas pour autant que j’écrirai des chansons pro-LGBT alors que je suis hétérosexuelle ou que je chanterai “arrêtez de tuer les petits lapins” parce que je suis végane. Bon, je le confesse, en ce moment je suis plutôt végétarienne parce que j’aime mes chaussures en cuir et que je ne me refuse pas un œuf de temps en temps… Bref, ce n’est pas en prenant la tête aux gens avec ça qu’on les fera changer d’avis. J’ai décidé de manger ma salade dans mon coin pour que les gens se disent “Ah enfin un végé qui fait pas chier !”.
Voici les “artistes similaires” que Spotify et Deezer proposent lorsque l’on tape votre nom dans la barre de recherche. Vous sentez-vous proche d’eux ?
Cat Power ! C’est cool. Clara Luciani à mon avis c’est juste parce que c’est une fille… Flavien Berger ? Mais, aucun rapport. Je l’aime bien mais nous ne faisons pas du tout la même chose… qu’est ce que c’est que cet algorithme ?Je pense que Spotify ne sait pas trop quoi faire avec moi. Tamino ? J’adore ! J’aimerais beaucoup travailler avec lui.
Y en a-t-il dont vous n’appréciez pas du tout le travail ?
Non… [Rires.]
C’est à croire qu’aucun artiste ne peut se permettre de donner son avis…
On ne peut pas dire de mal de la concurrence. Encore moins de quelqu’un qui appartient au même label. Personnellement, quand je n’aime pas c’est parce que je suis jalouse. C’est pareil pour tous les autres, c’est plus de l’envie que de la jalousie, il faut dire que nous sommes tous plus ou moins en compétition et les places sont chères. En ce moment cela me ferait du bien de collaborer avec d’autres artistes. Je travaille en huis clos depuis trop longtemps.
Quitterez-vous à nouveau Paris pour votre prochain projet ?
Obligatoirement. J’ai besoin d’être loin, dans un endroit que je ne connais pas. Un lieu neuf dans lequel personne n’a laissé de traces. Je me suis isolée dans ma petite cabane parce que j’avais besoin d’écrire seule, ce qui ne m’empêchait pas de demander l’avis des autres par moment. D’ailleurs, mon éditrice passait souvent me voir, principalement pour me dire “ça c’est nul !” À la fin, après avoir écrit les onze morceaux, on m’a demandé de continuer parce qu’il n’y avait pas de “tube” sur l’album. Effectivement, il n’y a pas de morceau pour NRJ sur ce projet, malgré tout, je n’ai pas pu me résoudre à intégrer un titre que je n’aimais pas sur l’album. Chose que j’ai déjà acceptée par le passé.
Il est plus simple d’écrire des tubes non ?
Évidemment. C’est trop facile d’écrire de la merde.
Nili Hadida [Believe Digital], de Nili Hadida, déja disponible.
Nili Hadida sera en concert au New Morning (Paris Xe) le 23 janvier 2019.