1 juil 2021

Rencontre avec Muddy Monk, le boulanger fanatique des synthétiseurs

Il y a trois mois, Muddy Monk est sorti d’une longue phase d’hibernation. Pour le bien de son prochain album, qui devrait voir le jour en avril 2022, le chanteur a passé cinq mois à bidouiller les nombreuses machines de son home studio, ne s’arrêtant que pour aller travailler à la boulangerie de ses amis, spécialisée dans le pain au levain. Alors qu’un EP de deux titres minimalistes et doux vient de paraître, le musicien suisse nous confie les secrets de fabrication de son prochain disque. 

Muddy Monk n’aime pas se mettre en scène. Le jeune homme qu’on retrouve à la terrasse d’un café, loin de faire dans l’esbroufe, frappe par son naturel et sa simplicité. Exit la panoplie de motard qu’on l’avait vu arborer à la sortie de son premier album, Longue Ride, en 2018 ; le personnage, les déguisements, c’est surtout embarrassant et difficile à assumer quand on est prédisposé à la timidité. La combinaison intégrale, Guillaume Dietrich, de son vrai nom, la laisse bien volontiers à son homonyme, qui – heureuse coïncidence, ou acte manqué – s’avère être un pilote de courses de moto, deux fois champion de France. Notre Guillaume Dietrich, lui, est un compositeur qui ne se sent pas l’âme d’un “zicos”, un chanteur qui ne s’estime pas “interprète”, et… un boulanger qui a encore un peu de mal à le réaliser. C’est que, pour lui, la musique est affaire de création bien plus que de performance, et que la vie d’artiste n’est pas forcément synonyme d’exubérance. Loin de la fast life et de l’easy money prônées par certains, le Fribourgeois mène sa barque en ermite industrieux, ne quittant son home studio que pour retrouver le labo de la boulangerie de ses amis, dans lequel il travaille trois jours par semaine. Pour lui, c’est une question d’équilibre : “Je trouve ça important de faire quelque chose à côté de la musique ; quand je suis à la boulangerie, avec mes potes, y a une super ambiance, ça me fait voir du monde… Et puis, la création, c’est une vraie charge mentale, assez lourde, donc ça me plaît d’avoir un à côté plus physique, plus manuel.” 

 

 

Vers l’âge de 10 ans, il commence à prendre des cours de piano mais préfère s’essayer à chacun des nombreux autres instruments que son professeur possède. Résultat, il n’apprend pas un seul morceau et met rapidement un terme à ses leçons. Ses premiers pas dans la production se feront plus tard, aux côtés de son ami Shady qui lui fait alors découvrir les mille et une possibilités de la musique analogique grâce au logiciel FL Studio. Il commence par sampler, et trouve alors son propre son suite à l’achat de son premier synthétiseur. Dès lors, il développe une passion pour ces machines musicales, qu’il commence à collectionner : “J’ai très vite été attiré par les machines. Je les préfère aux ordinateurs, parce que chaque machine a ses limites. Elles n’ont pas des possibilités infinies alors on se perd moins dessus que sur un ordi ; et en même temps, chacune à sa particularité et permet d’essayer des choses différentes. Ça me permet de me renouveler” Chineur expérimenté ou acheteur compulsif, rien ne semble pouvoir l’arrêter quand il s’agit de se procurer du matériel, même s’il affirme s’être récemment calmé suite à un déménagement. Il confesse tout de même : “L’an dernier, j’en ai quand même fait une belle… J’ai acheté une table de mixage qui ne marchait pas, à Paris, en rentrant de vacances en Bretagne. Ça a été un cauchemar de la ramener avec moi dans les transports, parce qu’elle est vraiment énorme. Le pire, c’est que je ne l’ai jamais faite réparer…

De novembre à mars, Muddy Monk s’est enfermé en studio pour travailler son prochain album, qui devrait paraître en avril 2022. Au départ, le disque devait être exclusivement composé de ballades et suivre une direction très douce, plus minimaliste et épurée que sur ses précédents projets. Finalement, et parce que le musicien n’est pas à une contradiction près, il est arrivé à un son très métallisé dominé par la distorsion, effet de dégradation sonore conduisant à une forme de saturation assumée. Dans Ultra Tape, sorti en 2020, la qualité low-fi (un son volontairement crasseux) et le caractère âpre des pistes instrumentales avaient déjà été poussés à l’extrême. Il faut dire qu’il y a toujours eu, dans la musique de Muddy Monk, ce grésillement, cette forme de vibration texturée et accidentée, qui a le charme du grain photographique propre aux appareils argentiques – que le musicien collectionne. Sur des morceaux comme Mylenium ou Ternevent, les instrumentales foisonnantes – quasi orchestrales – et légèrement saturées contrastent avec la voix claire et pure du chanteur, habillée d’une réverbération de cathédrale. Suivant ce même principe de dissonance délibérée, la montée en puissance crescendo de ses compositions analogiques détonne et dénote face à la mélancolie douce des textes qui s’y nichent. Là encore, tout est question d’équilibre, et le musicien, maniant habilement l’art de l’oxymore, semble avoir le don de trouver le bon accord au sein du désaccord. 

 

 

En perpétuelle recherche acoustique, Muddy Monk reste ancré dans une certitude, immuable et quasi religieuse : en chanson, il a trouvé la parfaite émotion, et peu importe sa forme, sa musique en sera toujours le véhicule. Cette émotion, c’est “une sorte de désespoir résolu, teinté de nostalgie et de quelques lueurs d’espoir”. Depuis Longue Ride, il l’éprouve et la développe à travers des textes courts et poétiques évoquant principalement des drames amoureux ou des envies d’aventures, des routes désertes aux routes d’or (dors, dors). Ses paroles, il les tape à la machine à écrire, parce qu’il trouve le “processus joli” et parce que, de la musique à la photo en passant par l’écriture, il “aime travailler avec de beaux objets, qui s’inscrivent dans le temps et vont tenir sur la durée.” Émotion parfaite ou non, il y a quelque chose de profondément cathartique dans la musique de Muddy Monk ; elle a cette petite qualité, inexplicable et hasardeuse, qui vient serrer le cœur de celui qui l’écoute. Dans le prochain album, les thématiques abordées et l’émotion explorée devraient être sensiblement les mêmes, à peu de choses près. Mais cette fois, le Fribourgeois mettra plus en avant sa voix, comme c’est déjà le cas sur son dernier EP, Athènes / Petit Soldat sorti au mois de mai et composé des deux seules ballades qu’il a finalement réalisées. Il explique : “J’ai toujours été à l’aise avec ma voix, mais c’est vrai que c’est plus simple de s’écouter quand elle est transformée. Mais là, j’ai envie de mettre ma voix en avant, avec plus de volume et moins de réverb. C’est une des nouveautés du prochain album.

Quand on lui demande s’il a hâte de remonter sur scène, sa réponse est immédiate et catégorique : “Non ! Non, pas du tout… (rire) Mon plaisir, il est vraiment en studio. Monter sur scène pou reproduire des morceaux que j’ai déjà créé ça ne m’intéresse pas trop. J’y prends pas vraiment mon pied. Bien sûr, c’est cool parce que ça me fait prendre la route, rencontrer les gens qui écoutent ma musique et vivre de nouvelles expériences… Mais quand j’y pense, ça m’angoisse plus qu’autre chose.” Le trac, pétrifiant sur ses premières dates, a pourtant peu à peu laissé place à une forme d’adrénaline que Muddy Monk ne déteste pas complètement : “À la fin, j’aimais bien la scène, j’avais de bonnes sensations… Mais ça reste quand même vertigineux.” On se souvient pourtant avec émotion de son concert à la Maroquinerie, en avril 2019. Seul sur scène, son clavier autour du cou, il était parvenu à envelopper son public tout entier dans une atmosphère envoûtante et exaltée, et ce dès les premières notes, créant une intimité rare et touchante dans une salle pourtant bondée. Pour lui aussi, le souvenir est heureux : “La Maroquinerie, c’était un des meilleurs concerts. C’était une des premières dates où le public était vraiment là pour mon projet, il y avait mes parents dans la salle… Et puis tout le monde avait chanté la chanson [Si l’on ride, un de ses premiers succès en feat avec le rappeur Ichon] en chœur, j’étais trop fier.” 

 

 

Au programme pour la suite, un travail plus important sur les clips, aspect jusqu’ici peu développé par le chanteur qui trouve qu’il est “assez compliqué de retranscrire de la musique en images”, malgré le caractère très cinématographique de ses morceaux. Selon lui “Si le clip n’apporte aucune plus value à la musique, ça ne sert à rien. J’ai eu des expériences assez négatives, et parfois on se dit que l’investissement n’en valait pas la peine…” Perfectionniste et légèrement control freak, Muddy Monk fait peu de pas de côté et reste très centré sur sa musique. Les collaborations, ça ne l’intéresse pas vraiment non plus, et si refaire de la production pour des rappeurs n’est plus au goût du jour c’est parce qu’il ne s’estime pas assez bon dans le domaine : “Je trouve que c’est rare les collaborations qui ont du sens et qui marchent bien. De toutes façons, je crois que ce n’est pas nécessaire. Après, être seul c’est compliqué, et parfois j’aimerais bien pouvoir déléguer. Mais ça ne fonctionne pas pour moi.” Parfois, la solitude est le prix à payer pour assurer son indépendance et la cohérence de son projet, et ça, on ne risque pas de le lui reprocher. 

 

Muddy Monk, Athènes / Petit Soldat, disponible sur les plateformes d’écoute ; prochain album prévu pour mars-avril 2022.