Rencontre avec Michel, le rappeur-clubbeur qui met l’égo trip au placard
Il s’appelle Michel, il vient d’un coin paumé du nord de la France, et il s’est fait un nom dans le rap en mêlant autotune et autodérision sur des productions deep house. Le 4 juin, il sort un nouvel EP intitulé (presque) Nekete, dans lequel il explore de nouvelles pistes tout en conservant son ADN rétro futuriste. Le jeune chanteur se prépare à revenir en force sur le devant de la scène, et entraîne Numéro dans les coulisses de son nouvel EP.
Par Alix Leridon.
Pour assurer la promotion de son nouvel EP, (presque) Nekete, qui sortira le 4 juin, Michel dévoile les coulisses de sa production dans une vidéo en deux parties postée sur YouTube. On le suit sur le tournage du clip Nekete, où on le voit réprimander son équipe pour une histoire de mauvais sandwich, et jusque dans les bureaux de son label où l’un de ses managers lui reproche de ne pas assez savoir se réinventer. L’idée : recréer l’ambiance malaisante de Strip Tease, émission documentaire culte de la fin des années 80, à la promesse faussement sexy : ”Strip Tease : l’émission qui vous déshabille”. Fan du programme qui s’intéresse au quotidien du tout-venant sans jamais omettre le moindre détail gênant, le jeune homme se met ainsi en scène à travers deux vidéos sans filtre ni autotune, dans un naturel qui semble constamment flirter avec le second degré, sans que l’on ne puisse jamais vraiment les dissocier. Pour rendre hommage à l’émission et au goût du jeune rappeur, poussons le bouchon et déshabillons Michel.
Il est 16h quand nous retrouvons Michel, qui commence à peine sa journée. Vers 15h, après une bonne nuit de sommeil, le jeune rappeur s’est concocté un petit jus de fruits frais grâce à son tout nouvel extracteur de jus – de quoi faire le plein de vitamines, tout en nourrissant son côté influenceur. Cette nuit, le jeune natif de Condé-sur-l’Escaut, petite commune des Hauts-de France, a dû passer quatre ou cinq heures sur sa “terrible” chaise de gameur à jouer en ligne avec des amis sans jamais regarder l’heure, car pour Michel “quand on aime, on ne compte pas”. Du haut de son 30 mètres carrés parisien, le jeune clubbeur dans l’âme regarde les rues de Pigalle avec du vague à l’âme. Depuis le confinement, il a dû se résoudre à remplacer ses bars-club préférés, du Bourbon à Orphée, par le tapotement frénétique de la barre espace de son ordinateur. Car pour Michel, le baisser de rideau sur la vie nocturne parisienne a laissé un grand vide. Fêtard incorrigible, dehors tous les soirs, le musicien à la coupe de moine et aux survêt’ d’athlète avait pour habitude d’enchaîner les ”grosses khapta” (soirées alcoolisées) au point de ne plus supporter rester chez soi : “ça me rendait fou”. Aujourd’hui, il partage sa vie entre jus détox et Call of Duty. Quand il n’est pas en studio à composer ses morceaux avec ses potes, il passe parfois le temps en faisant “un peu de ménage“. La vie d’artiste.
Michel a la voix douce, posée, le regard mélancolique et rieur, l’allure tranquille de ceux qui ont une grande capacité à savoir tout dédramatiser. Il dit avoir “tendance à ne pas prendre grand chose au sérieux, et surtout pas la musique”. Alors il s’amuse ; il tente des choses, prend des risques, fait des choix artistiques osés et produit des titres qui peuvent parfois s’apparenter à des pastilles humoristiques, à l’image de La bête du rivage, en featuring avec Roméo Elvis. Dans ce nouveau morceau, troisième piste de l’EP, les deux rappeurs se déguisent en conteurs, et racontent une histoire à la manière d’un Pierre Bellemare – l’animateur-conteur culte du PAF – en plein AVC. Michel explique : “Au départ, Roméo [Elvis] a commencé à délirer sur une instru, en racontant une histoire qui n’avait aucun sens avec un vocabulaire absurde. Je pensais que c’était juste pour rigoler et finalement… on va sortir le titre. L’idée c’était de sortir tous les mots qu’on déteste dans la chanson française, comme chimère, crustacé… ou croûte, pour en faire un genre de conte qui ne veut rien dire. C’est spécial, hein.” Spécial, oui ; drôle, aussi. Et finalement assez entraînant. Bref, du génie. Évoluant dans le milieu du comédie-club, dans lequel il dit avoir bon nombre d’amis, et habitué du Paname Art Café (bar du 11e arrondissement programmant les nouveaux noms du stand-up parisien), Michel ne fait pas de la musique pour faire rire, mais aime déclencher chez son auditeur des petits sursauts d’allégresse.
Malgré les blagues et l’autodérision, qu’il préfère à l’égo trip, Michel est plein d’incertitudes : “Je doute tout le temps, en permanence.” Pudique, le rappeur laisse entrevoir cette partie plus intime et délicate de lui-même dans son dernier EP, avouant dans le morceau Khapta ne pas être “qu’un rigolo qui fait des blagues”. Khapta, c’est presque de l’anti ego trip, un auto-clash mélodramatique et mélancolique sur fond de saxophone deep house. Un vrai défi pour le condéen, travaillé entre son besoin d’être sincère et sa difficulté à extérioriser : “C’est dur de se livrer, de dire des choses plus personnelles. Je me demande tout le temps si ça va vraiment intéresser les gens de découvrir mes états d’âme. Alors j’essaye de parler de trucs qui peuvent résonner chez les autres.” Ce glissement vers l’intime ne l’empêche pas de réaffirmer son identité de vétéran de la fête dans des titres définitivement orientés dance, avec Tum Tum et Khaled Babe. Dans tout l’EP, Michel cherche un équilibre entre ces deux pôles, qui peuvent sembler contraires mais trouvent finalement un point de convergence dans l’idée consolatrice que l’on peut parvenir à s’oublier, soi-même et ses doutes, le temps d’une soirée passée à danser.
Depuis ses débuts dans la musique, Michel à un pied dans le passé et la tête dans le futur. Dans tout l’EP, il mêle un esprit vintage à travers l’élaboration de ses mélodies à une production ultra contemporaine habillée de deep house et d’autotune. Dans Nekete, il se lance dans un rap sombre porté par des beats house puissants et conclue le morceau par un clin d’oeil mélodique à la chanson culte de Joe Dassin Et si tu n’existais pas. Avec Nachav et La Sauce, il revient plus frontalement à la chanson avec des refrains french pop qui rappellent son EP Michel chante Michel (2019), dans lequel il reprenait les tubes des Michel tutélaires, de Michel Polnareff à Michel Delpech en modernisant leurs paroles. Dans la géniale Khaled Babe, pépite de l’EP en featuring avec RVHIM, il rend hommage au chanteur de raï et multri-instrumentiste algérien Khaled dans une version club modernisée de ce genre populaire né au Maghreb dans les années 70. Le jeune homme, qui s’est mis à la musique à l’adolescence en apprenant la guitare à travers les répertoires de Jacques Brel et de Georges Brassens, a rapidement commencé à composer pour ne pas avoir à jouer éternellement de la “musique de moustachus des années 60”. S’il réécoute aujourd’hui ces musiciens avec plaisir, il a mis beaucoup de temps avant d’intégrer ces influences vintage à sa musique, et à assumer son envie de rapper : “avant je faisais des trucs plus lisses, plus pop, je chantais… J’assumais pas d’être un babtou [argot pour “blanc”] qui veut rapper. Aujourd’hui c’est l’inverse, je suis beaucoup plus à l’aise quand je dit que je rappe que quand je dis que je chante.”
Après avoir dû annuler et reconduire inlassablement ses dates de concert pendant la crise sanitaire, Michel se prépare à revenir sur scène avec une date à la Gaité Lyrique en février 2022. Un horizon encore lointain pour le rappeur qui a fait ses premiers show peu de temps avant la pandémie, et commençait à peine à se sentir bien sur scène. En attendant, tout passe par le virtuel, et si Michel est prêt à devenir streamer et à faire quelques lives sur Twitch, il a plus de mal avec le rôle d’influenceur que lui imposent ses managers : “Je viens de m’embrouiller avec mes chefs de projet parce qu’ils me demandent de poster continuellement, d’alimenter en permanence les réseaux alors que moi… j’ai rien à dire quoi. J’ai pas de vie là !” S’il est prêt à le faire pour assurer la promotion de l’EP, la motivation à filmer des stories en permanence retombe un peu plus chaque jour : “Pour raconter des choses, faut vivre des choses déjà. Ils voudraient que je me montre moi, mais faut vraiment être égocentrique pour le faire tous les jours… Quand je vois les autres faire ça, ça m’énerve, et je trouve ça très inintéressant la plupart du temps. J’aime pas combler des trous, alimenter du vide…” Ce nouvel EP offre un aperçu de Michel dans tous ses états, et sous son meilleur jour : celui d’un musicien accompli et complexe, qui a su prouver sa sensible singularité.
(presque) Nekete, EP de 7 titres de Michel, sortira le 4 juin.