Rencontre avec le chanteur post-pop Aime Simone sur la tombe de Marcel Proust
Nouvelle signature du label Because, le jeune auteur-compositeur français Aime Simone mêle une esthétique rock à des sonorités trap et électro à la fois viscérales, lumineuses et mélancoliques. Avant la sortie de son nouveau single, Not What You Wanted, prévu ce 22 juin et alors qu’il débute une tournée, rencontre avec cet artiste prometteur aux pieds de la tombe d’un grand écrivain hexagonal.
Par Elliot Mawas.
“Les œuvres, comme dans les puits artésiens, montent d’autant plus haut que la souffrance a creusé le cœur”. Les mots de Marcel Proust résonnent en nous avec une force singulière alors que l’on retrouve Aime Simone devant la tombe de l’écrivain, à l’ombre des vieux frênes en fleurs. La nouvelle signature du label Because (Christine and the Queens, Shygirl) partage avec l’auteur d’À la recherche du temps perdu, découvert au fil de ses correspondances, une sensibilité à fleur de peau, née d’un long combat contre lui-même : “Paradoxalement, explique-t-il, ce qui m’inspire le plus c’est le vide, la page blanche, ce moment, ou la tempête se calme et ou les émotions ressortent”. Mais si on le rencontre dans un cimetière, le premier album d’Aime Simone, Say Yes, Say No, sorti en 2020 et récompensé l’année suivante du prix Chorus, s’avère solaire. Dans un geste introspectif, l’auteur-compositeur français qui ne souhaite pas communiquer son âge, y retrace son long cheminement intérieur avec des titres lumineux, mélancoliques et viscéraux (Shining Light, In This Dark Time).
Lorsqu’on lui demande en trois mots de décrire son esthétique, deux lui suffisent : post-pop. Si ce nom qualifie en règle générale des notes vibrantes de guitares expérimentales influencées par la musique électronique et rock alternative, on sent aussi dans les productions du jeune compositeur d’autres échos tels des accents trap, rap, grunge, indie pop et punk … Au-delà de toute tentative d’étiquetage, l’artiste créer des morceaux humbles, populaires et accessibles qui brisent “les barrières entre les genres et les gens”.
Face au manque de propositions de ce type sur la scène française, le musicien a choisi de s’exiler. Après avoir été fait ses armes auprès de Pete Doherty et une carrière dans l’industrie de la mode aux côtés d’Hedi Slimane en tant que mannequin, Aime Simone a trouvé à Berlin le catalyseur créatif dont il avait besoin. Presque nostalgique, il se souvient de ses nuits, où il sortait et rencontrait des gens dans des endroits alternatifs “… et puis quand tu rentres le lendemain en marchant à travers les rues de Berlin, ses parcs encore gelés avec un magasin ouvert toute la nuit où tu peux t’acheter des clopes et tout le reste … c’est magique. C’est une communauté très inclusive et ça m’a aidé à un moment où j’avais besoin de liberté”.
Là-bas, il se produit en club à 2 ou 3 heures du matin, s’initie à la musique électronique et organise le Night Embassy, un festival brandé par la marque d’alcool Jägermeister qui met à l’honneur, deux semaines durant, les contre-cultures. Cette expérience change radicalement son expérience de la scène. Pourtant, le chanteur qui écrivait ses premières chansons à la guitare à 17 ans, ne renie pas ses origines : “Pendant longtemps, j’ai expérimenté la musique électronique et ‘cross genre’ et puis au bout d’un moment j’ai voulu retourner à quelque chose de plus personnel : la guitare”. Le projet d’Aime Simone est né de ce mélange des genres qui fait dialoguer une écriture pop/song classique inspirée par les Beatles à des textures plus modernes et plus dark des musiques de club. Sourire en coin, il nous confie : “Je me dis que quand les robots et les ordinateurs auront ‘pété un câble’, il y aura peut-être un retour à quelque chose de plus acoustique, de plus organique. Le mélange de guitare et de musique électronique symbolise pour moi ce pont entre le passé et le futur”.
On ressent ce rétro-futurisme à l’écoute de son premier album, intitulé Say Yes, Say No (2020), en hommage à sa fille : “J’ai remarqué qu’une étape de son langage consistait ) de ne répondre que par oui ou par non. Finalement ça résume assez bien nos vies : on traverse nos existences, physiques et métaphysiques avec une série de « oui » ou de « non », de plus et de moins, de 0 et de 1 comme dans un programme informatique … J’ai trouvé que c’était un message assez universel. »
S’arrêter ou continuer, dire simplement « oui » ou « non », comme un retour à l’essentiel, aux choix, simples, qui façonnent nos existences. Car si les titres de cet album sont coruscants, ils sont nés dans un contexte sombre, le passé du chanteur qu’il raconte dans un documentaire, The Long Way to Now, sorti la même année que son premier disque. Un film dans lequel il raconte son adolescence et le long chemin parcouru pour devenir celui qu’il est aujourd’hui : “J’ai eu une adolescence difficile : anorexie, boulimie, drogue, problèmes avec la police … Je sais ce que c’est qu’être piégé, et se battre contre soi-même pour essayer de se frayer un chemin.”
S’il y a de la vulnérabilité chez Aime Simone, sa musique résonne plutôt comme un champ de victoire, une ode à l’amour et au combat. Elle possède la force cathartique de celui qui s’est battu contre son instinct de se recroqueviller sur lui-même pour se jeter dans la gueule du loup. Le mot « reckless » (téméraire) est d’ailleurs tatoué en lettres noires sur sa joue droite.
Aujourd’hui installé à Paris, Aime Simone prépare un second album. S’il reste très mystérieux quant à son contenu, son auteur peut seulement nous promettre deux choses. La première c’est que “si les gens s’attendent à la même chose, ils vont être déçus”. La seconde, c’est que ce nouvel opus sera marqué par l’expérience de devenir parent : “Ma détermination est toujours là mais elle a changé de nature, peut-être qu’avant elle était plus personnelle. Aujourd’hui elle appartient à ma famille, mes amis, mes fans.” L’amour reste par contre toujours la force motrice de la musique d’“Aime” : “J’essaie toujours de prendre … non, de créer le meilleur chez les gens. Je me suis rendu compte qu’il ne ressort qu’en fonction de toi, de ce que tu donnes de toi. C’est de l’ordre de la magie.”
Le rêve d’Aime Simone à présent ? Vivre d’amour, d’eau fraîche et de musique … ou transformer un château en résidence d’artiste. En tout cas, toujours avec cette envie farouche de liberté propre à ceux qui ont dû lutter pour l’obtenir.
Not What You Wanted d’Aime Simone, disponible le 22 juin. En tournée en France actuellement avec notamment une date à Paris le 22 juin prochain au Point Éphémère.