Rencontre avec Lala &ce, la relève du rap au féminin
Sur ses morceaux à l’ambiance planante, la jeune Lyonnaise de 26 ans trace un chemin bien à elle sur la scène musicale française, posant les jalons d’un nouveau rap féminin. Une ode à la sensualité qui touche sa cible en plein cœur et lui vaut une reconnaissance immédiate auprès du grand public comme auprès des critiques, qui saluent en elle l’émergence d’un talent des plus prometteurs.
Lala &ce occupe une place à part sur la scène rap française. À l’inverse de ses homologues Shay ou Aya Nakamura, qui se sont bâti, à travers leurs clips ou leurs apparitions médiatiques, l’image de princesses trash croqueuses d’hommes, la jeune femme originaire de Lyon a imposé son style, sobre et discret, aux antipodes des codes du rap féminin. Exit les faux ongles aux allures de griffes, les robes ultra moulantes, les petits hauts décolletés et le maquillage criard… l’apparence de Lala &ce dénote. Souvent enveloppée dans son sweat à capuche marron signé du label masculin parisien AMI – défilé auquel elle a participé pour la collection printemps-été 2021 –, la rappeuse se déplace avec une démarche nonchalante et préfère attacher ses dreadlocks peroxydées sur le sommet du crâne – dévoilant sa nuque rasée – que porter des perruques fantaisistes.
Titre après titre, elle a continué à clamer haut et fort son amour pour le sexe féminin – ce qui lui vaut, aujourd’hui, de recevoir des dizaines de messages de couples d’adolescentes sur Instagram.
Lala &ce se plaît à ne rien faire comme les autres, surtout en matière de musique. Elle déclare volontiers avoir conscience que la sienne est unique et n’existe pas forcément ailleurs. Depuis la sortie de sa première mixtape Le Son d’après, en juin 2019, tous les amateurs de rap s’accordent d’ailleurs sur une chose : la rappeuse est un électron libre. Éloignée du phrasé “qui découpe” (selon ses propres termes) très récurrent chez les artistes hip-hop en France, la chanteuse a développé un univers particulier fait de mélodies et de paroles ralenties, une musique de “niche” dont elle aimerait qu’elle devienne “standard”. Ce type de son, Lala &ce ne l’a pas vraiment inventé. C’est ce que les spécialistes qualifient de “cloud rap”, un sous-genre popularisé par l’Américain Lil B au début des années 2010 et qu’il décrivait comme des mélodies “à l’image d’un château flottant parmi les nuages”. Chez la Française, il se traduit par une ambiance planante, des boucles vaporeuses et des paroles mâchées – pas très éloignées, d’ailleurs, de la façon dont elle s’exprime dans la vie. De la douceur, un phrasé sensuel et un hymne à l’amour et à la sensualité… une recette qui lui vaut d’être encensée dans l’Hexagone, et propulsée autant sur des plateaux télé très populaires que dans des émissions très sérieuses diffusées sur France Culture ou des programmes spécialisés centrés sur le hip-hop.
Mais si la chanteuse de 26 ans a fait émerger une nouveau genre de rap féminin, ses textes et sa façon de défendre ses projets rappellent pour beaucoup ce qui caractérise les rappeurs français depuis des dizaines d’années : ils sont fascinés par les substances illicites, le sexe et… eux-mêmes. Avant de connaître le succès, elle a appartenu au collectif 667, groupe réunissant une vingtaine de rappeurs très portés sur le symbolisme, qui, à la fin des années 2010, inondaient de morceaux la plateforme SoundCloud. Si, à l’époque, elle se cherchait encore musicalement, elle évoque cette période en affirmant, sûre d’elle : “J’ai mis du temps à sortir mes premiers sons, mais j’ai toujours été fière de ce que je faisais. Même les titres que je n’ai jamais dévoilés me plaisaient !”
Composé “un peu n’importe où” – parfois même dans des chambres d’hôtel grâce à du matériel portable –, cet opus représente l’accomplissement artistique et le fruit de la “quête personnelle” d’une jeune femme qui n’était pas prédestinée à vivre dans la lumière.
À cette époque (mai 2019), Mélanie Berthinier (de son vrai nom) a aussi dévoilé un single, le titre Wet (Drippin’), afin d’annoncer la sortie prochaine de sa mixtape Le Son d’après. Le clip, qu’elle a d’ailleurs réalisé elle-même, condense à lui seul l’esthétique de la rappeuse. Elle se promène, un gobelet Starbucks XXL dans une main, un blunt [longue cigarette de cannabis roulée dans une feuille de tabac aromatisée ou non] dans l’autre, reluque les fesses d’une brune pulpeuse et susurre qu’elle se “sent malade aux drogues” et qu’elle “fait des sons pour en avoir”… Titre après titre, elle a continué à clamer haut et fort son amour pour le sexe féminin – ce qui lui vaut, aujourd’hui, de recevoir des dizaines de messages de couples d’adolescentes sur Instagram – et pour la lean [concoction à base de sirop codéiné très populaire aux États-Unis]. Des évocations dont Everything Tasteful, son premier album sorti le 29 janvier dernier, est truffé.
Composé “un peu n’importe où” – parfois même dans des chambres d’hôtel grâce à du matériel portable – mais surtout chez les amis de la chanteuse, qui vivent en colocation dans un grand appartement à La Courneuve, cet opus représente l’accomplissement artistique et le fruit de la “quête personnelle” d’une jeune femme qui n’était pas prédestinée à vivre dans la lumière. Élevée dans la banlieue lyonnaise au sein d’une famille nombreuse franco-ivoirienne, Lala – diminutif du prénom de sa grand-mère, Lahoré – perd brutalement son père d’une crise cardiaque et décide de partir à Londres pour terminer sa licence de finance et devenir gestionnaire de patrimoine : “Je me suis vite rendu compte que ce n’était pas sexy, donc j’ai arrêté avant mon master et j’ai fait de la musique. Mon père n’a jamais pu voir ce côté de moi et, depuis que le succès est là, je me dis que plus je rayonne, plus il va le voir de là-haut. J’y crois fort. Je ne suis pas religieuse mais l’amour est un sentiment très fort, il dépasse les choses tangibles.” Sa mère, qui préférait que sa fille poursuive des études “sérieuses” plutôt que de la voir faire du rap, change d’avis ensuite : “Bien qu’elle n’ait pas été très favorable à ce choix au début, aujourd’hui, au contraire, elle me soutient énormément. Elle me donne même des idées de clips ! Elle a compris que ça me rendait heureuse.”
De sa famille, Lala &ce a hérité d’une passion : le tennis. Enfant, elle se love dans le canapé du salon de la maison de ses parents, entourée de tous ses frères et sœurs plus âgés, et ne rate pas une seconde des matchs de Roland-Garros : “Ma mère nous a mis dedans. C’est marrant d’ailleurs parce qu’elle a vécu la majeure partie de sa vie en Côte d’Ivoire, et là-bas, ils ne connaissent pas le tennis ! Regarder un match de Grand Chelem, c’est devenu un rendez-vous familial, comme la Coupe du monde de football pour certains !” commente-t-elle, amusée. Mais ce qui lui plaît, surtout, c’est le côté sport individuel, où l’athlète est seul avec lui-même, comme peut l’être un musicien.
Même si Lala &ce fait de la musique en solo, ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est traîner, faire la fête et créer avec ses potes… Pourtant, à la sortie de sa mixtape Le Son d’après, elle annonce qu’elle quitte le collectif 667 et s’éloigne alors de ses membres – dont certains se sont d’ailleurs retrouvés, tout récemment, au cœur de diverses polémiques (accusations de “provocation à la haine raciale” pour Freeze Corleone, ou encore d’agressions sexuelles pour Retro X, qui a été remercié par son label Because Music). À Paris, elle noue des liens avec une nouvelle bande d’amis. Ils s’appellent Bamao Yendé, Le Diouck ou Rad Cartier et sont tous musiciens, mannequins ou DJ. La chanteuse collabore avec certains d’entre eux – comme sur VT ZOOK II de Rad Cartier, sorti le 30 juillet 2020 –, fait des concerts privés (pas toujours très satisfaisants, puisque la police s’y invite parfois inopinément) et va même fonder un groupe, un boys band ! Pour ces amis, elle a même eu l’idée de créer un label pendant le premier confinement, &ce Recless, sur lequel elle a déjà signé un artiste et a coproduit – avec la maison de disques Believe – Everything Tasteful, son premier album.
Everything Tasteful (&ce Recless/Believe) de Lala &ce, disponible.