Rencontre avec La Mverte, le poète torturé de la techno
Le 26 mai dernier, le DJ producteur et musicien français Alexandre Berly, alias La Mverte, jouait dans un décor improbable : la piscine Saint-Nicolas à Laval. Pendant que d’autres faisaient des longueurs, lui avait installé ses synthés. Tout de noir vêtu, bretelles et lunettes de soleil incluses, il faisait danser le public sur une techno organique. Rencontre au festival Les 3 Éléphants, à Laval.
Par Marthe Rousseau.
Numéro : Certains décrivent votre musique comme macabre. Êtes-vous d’accord avec ce qualificatif?
La Mverte : Je n’ai pas l’impression de faire de la musique hyper lugubre. Tout le monde me dit que ce que je fais est très noir, mais je ne partage pas ce sentiment. Ma musique se fonde sur une approche davantage romantique, au sens du XIXe siècle. Elle a un côté “poètes maudits”, comme Baudelaire ou Rimbaud. Ce côté “je me fais du mal pour me faire du bien”.
Votre nom de scène, La Mverte, se prononce à l’espagnole : “La muerte.” Pourquoi avez-vous choisi ce nom ?
De 2010 à 2012, je faisais partie d’un duo de DJ à Paris qui s’appelait Anteros & Thanaton, avec Nicola Delorme. Le concept était fondé autour d’Éros [dieu de l’Amour] et de thanatos [la pulsion de mort], en référence à la mythologie. Fin 2012, j’étais à Berlin un soir dans le studio de Matias Aguayo avec Hugo Capablanca et Philipp Gorbachev. On faisait de la musique à côté d’un cimetière, et Hugo Capablanca me dit : “Tu fais un truc autour d’Éros et de thanatos, t’es à côté d’un cimetière, mais appelle-toi La Muerte.” On n’a pas cherché plus loin. Il y a déjà un groupe belge qui s’appelle La Muerte, j’ai donc décidé de remplacer le “u” par un “v”. J’ai d’ailleurs rencontré le groupe quand je suis allé en Belgique, les mecs sont hyper cool, ils jouent de la musique genre post-punk des années 80. Plutôt qu’un masque, La Mverte est un prolongement de ce que je suis.
Vous avez sorti votre premier EP Through the Circles en 2014 et le second, A Game Called Tarot, l’année suivante chez HMS. The Inner Out (2017) est votre premier album en tant que La Mverte, comment l’avez-vous conçu ?
C’est hyper facile de faire des morceaux pour faire des morceaux et de lancer les machines. Je voulais dresser le bilan de ces trois premières années de La Mverte, comme une sorte de déclaration esthétique de mon univers. Mais, visiblement, cela m’a un peu desservi parce que le public et la presse s’attendaient à quelque chose de nouveau.
Votre label a-t-il également été déçu ?
Mon label m'a toujours soutenu et ne m’a jamais imposé quoi que ce soit, j’ai une grande liberté. De 2012 à 2014, je tournais avec Yan Wagner pour son premier album [Forty Height Hours], et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré David Shaw à Tours, l’un des deux boss du label Her Majesty's Ship (HMS). On s’est parlé et on s’est rendu compte qu’on avait pas mal de copains en commun et qu’on parlait la même langue.
À propos de nouveauté, vous n’aviez jamais chanté avant de fonder La Mverte en 2013, alors que vous semblez avoir une bonne expérience du chant. Comment faites-vous pour la travailler ?
Je ne la travaille pas, et d’ailleurs je ne m’estime pas chanteur. Je suis assez timide, et pour moi chanter est un acte expiatoire, qui me force à sortir des tranchées.
Certains morceaux de l’album font référence à la mythologie grecque…
Oui, j’aime bien explorer au-delà de mes influences musicales. Ma musique s’exprime à travers des souvenirs esthétiques de lectures, comme les mythologies grecque et latine, les chevaliers de la Table ronde… Mais aussi à travers Dante et toute la littérature classique, celle du XIXe et du début du XXe siècle, ou les écrivains américains alternatifs, même si c’est ce qu’on ressent le moins dans mes morceaux. Je trouve assez intéressant de créer des ponts entre ce qu’un souvenir littéraire peut inspirer et la manière dont il se traduit en musique.
On reconnaît notamment votre style à la puissance de vos synthés, jouez-vous aussi d’autres instruments ?
J’essaye de m’emparer de différents instruments un peu comme on découvre une nouvelle langue étrangère. J’ai commencé à faire de la musique parce que je ne savais pas danser, et je me suis rendu compte que je prenais davantage de plaisir à faire danser les autres. J’ai commencé par jouer de la basse tout seul, puis dans des groupes de punk pendant mes études. Ensuite j’ai fait un peu de batterie parce que je voulais améliorer ma connaissance de la rythmique pour mieux travailler ma musique. Et après, j’ai migré vers les synthétiseurs (parce que les sons me plaisaient) et vers la production sur ordinateur (parce que la musique se fait comme ça aujourd’hui). Et là, je suis en train d’apprendre la guitare.
Quels sont les artistes qui vous ont amené à faire de la musique ?
Quand j’étais plus jeune, Vitalic, Ivan Smagghe ou Optimo m’ont donné envie de faire de la musique électronique. J’ai aussi été marqué par Space Museum, de Solid Space, une cassette sortie en 1982. La première réédition officielle a été réalisée l’année dernière sur le label Dark Entries, de San Francisco, un label spécialisé dans la réédition de musique un peu new wave. Ce label ressort tous les trucs un peu cool et cachés, ce qui a fait dire au DJ Ivan Smagghe que cela allait causer la perte de sa collection de disques. Le duo Solid Space est incroyable car il mêle énormément d’influences. Sa musique est à la fois un peu rock, new wave et cold wave. J’écoute également différents styles, aussi bien du krautrock, de la cold wave, de la techno que de la house de Chicago des années 80…
Votre dernier album The Inner Out est sorti en 2017, avez-vous prévu d’en sortir un autre à la rentrée ?
J’ai fait un EP de remix de l’album The Inner Out intitulé The Inner Out (Remixes) [sorti le 8 juin] composé de trois morceaux, dont un remix de Matias Aguayo et un autre d’In Aeternam Vale, groupe né dans les années 80. Sinon je travaille sur de nouveaux morceaux qui devraient sortir fin 2018, début 2019. Pour changer, un de ces morceaux sera chanté en français, et celui-là sortira à la rentrée.