2 juin 2021

Rencontre avec Jorja Smith, la star anglaise en couverture du Numéro 223

Avec son premier album Lost & Found sorti en 2018, la chanteuse anglaise Jorja Smith nous plongeait dans son monde spirituel grâce à sa voix exceptionnelle et envoûtante. Traçant son propre destin loin des conventions de l’industrie musicale, et aujourd’hui plus puissante que jamais, la jeune femme s’impose en couverture de Numéro, et révèle un nouvel EP vibrant de poésie.

Portraits Lusha Alic.

Réalisation Zahra Asmail.

Texte Chloé Sarraméa.

Si Ray Charles avait entendu sa voix ensorcelante, il aurait sans doute rebaptisé sa chanson culte Jorja On My Mind. Muse contemporaine à l’allure sensuelle, au port de tête royal et au visage gracile, Jorja Smith s’affiche comme une sculpture voluptueuse dont la voix est à son image : spirituelle, vibrante et chaude. En 2018, à la sortie de son premier album Lost & Found, elle s’imposait comme la révélation soul de l’année, une jeune auteure-compositrice-interprète qui ira loin. Trois ans plus tard, la jeune femme charmante et timide, presque étonnée de son succès, qui tirait sur sa robe lors de ses concerts, a laissé la place à une star affirmée et fière de son talent. Loin de verser dans le narcissisme futile, cette assurance nouvelle permet à la diva de conter avec plus de profondeur encore toutes les joies, les tristesses et les multiples incompréhensions qui émaillent les relations amoureuses.

 

 

C’est un véritable coup d’éclat, assumé avec un naturel désarmant, qui a révélé en 2017 la voix inoubliable de Jorja au monde. Après s’être laissé courtiser par la superstar Drake, qui l’avait contactée sur ses réseaux sociaux pour lui proposer une collaboration, la belle consentait finalement à poser son timbre bouleversant sur le tube Get It Together. À l’époque déjà, Jorja Smith savait exactement comment elle entendait mener sa carrière. Certainement pas en suppliant les grands noms de l’industrie musicale de bien vouloir lui offrir un tremplin. Mais en développant son propre son, entre jazz, soul et R’n’B, donc assez loin des codes qui dominent le marché. Ce duo avec Drake la propulse donc presque malgré elle sous les feux des projecteurs. Puis son premier album Lost & Found pose les bases d’un univers intime et personnel, entre considérations sur les amours adolescentes (Teenage Fantasy) et réflexions amusées sur l’égoïsme contemporain (Lifeboats).

Sa notoriété se construit vite, et à 20 ans, Jorja Smith entame sa première tournée internationale. Pendant trois ans, la chanteuse ne s’arrêtera pas de parcourir les continents, désormais réclamée en tant que tête d’affiche des plus grands festivals, jusqu’à ce que la pandémie la stoppe et qu’elle puisse enfin “ralentir un peu, cuisiner, regarder des films et, chose inédite, profiter de [sa] maison pendant plus de deux semaines d’affilée”. Comme l’indique sa musique, Jorja Smith ne semble pas détester le calme propice à l’introspection. “Je n’aime pas trop sortir, aller dans les restaurants, je l’avoue, dit-elle en riant. Parce que je ne suis pas toujours heureuse ou de bonne humeur, j’ai le droit d’être un peu déprimée, aussi… Quand je rencontre des fans, j’essaie de sourire et d’être joyeuse, mais je n’ai pas envie de porter un masque tous les jours.” Le succès n’a donc pas entamé l’authenticité de la jeune Anglaise originaire de Walsall, près de Birmingham. Installée aujourd’hui à Londres, elle conserve d’ailleurs un lien avec sa ville d’origine. “C’est une toute petite ville, explique-t-elle. Mais elle est animée, il s’y passe toujours quelque chose. Des gens jouent de la musique dans la rue, par exemple. Et si on prend la voiture pour s’éloigner un peu, on arrive à la campagne. Quand la récession a frappé, la ville a été très impactée, je me souviens d’avoir vu beaucoup de magasins fermer. Walsall, c’est chez moi, j’y reviens toujours.” Dans les souvenirs d’enfance qui l’ancrent dans sa ville, la musique est bien présente, une vocation très tôt affirmée, comme une évidence. Entre son père qui, avant sa naissance, faisait partie d’un groupe de nu-soul, et sa mère qui l’encourageait à jouer du piano, du violon, puis du hautbois, Jorja Smith s’essaie même au chant lyrique. Histoire de se doter d’une technique vocale imparable, qui perce aujourd’hui à travers son aisance stupéfiante.

Le rythme du marché musical est aujourd’hui frénétique, mais Jorja Smith aime prendre son temps, peser les mots sur lesquels vient se poser sa voix de velours. Certains de ces mots ont pris récemment une ampleur tragique : pendant le break imposé par la pandémie, la chanteuse a vu son titre Blue Lights, qui évoque l’anxiété de la jeunesse anglaise racisée face à la police de son pays, devenir brutalement presque trop actuel. Ravivée par les manifestations du mouvement Black Lives Matter dans le monde entier, cette chanson, qui déroule un récit tragique implacable, révélait ses talents de conteuse, et sa capacité à fédérer un public derrière sa parole. En décembre 2020, la diva dévoilait ainsi une nouvelle version de son titre coup-de-poing, enregistrée live avec un orchestre philharmonique pour une chaîne allemande. Puis un single engagé, By Any Means, et enfin le clip Rose Rouge, compilant des images de manifestations de la communauté noire, d’hier et d’aujourd’hui (Angela Davis, Martin Luther King, se mêlant au mouvement Black Lives Matter).

 

 

La pause forcée qui a paralysé toute la planète a donc été productive et prolifique pour Jorja Smith, qui révélait, il y a quelques semaines, un EP de huit titres intitulé Be Right Back. “Ces morceaux datent de 2018-2019, et pendant le confinement je me suis dit que j’avais envie de donner quelque chose à mes fans, confie-t-elle. Ce n’est pas un album. Sur un album, je veux faire passer un message ou aborder certains sujets. Là, ce sont juste des chansons que j’aime et dont on tirera ce qu’on voudra.” Parmi elles, Addicted où la belle se lamente de l’indifférence d’un homme qui devrait pourtant être accro à elle. Dans le clip qui l’accompagne, elle joue librement avec son image et s’invente des looks : “Je voulais juste avoir des tonnes de versions différentes de moi, des tonnes de vêtements, et m’amuser sur le shooting”, déclare-t-elle. À 23 ans, Jorja Smith jongle en effet avec les différentes facettes de sa personnalité avec une facilité déconcertante. Elle était sexy et torride dans les vidéos de ses deux collaborations avec la star de l’afrobeats Burna Boy, Be Honest et Gum Body, qui cumulent ensemble quelque 100 millions de vues – tandis que le morceau compte, lui, quelque 250 millions de streams. En 2017, elle apparaissait dans la peau d’une blonde meurtrière dans le clip de Let Me Down, avec Stormzy, un artiste de grime [genre musical anglais influencé par le UK garage, le drum and bass et le hip-hop]. Avec sa beauté à se damner, et sa voix divine, nul doute que Jorja Smith n’a pas fini de s’élever vers les sommets.

 

 

EP Be Right Back (FAMM Limited/Because Music) de Jorja Smith. Disponible.