Rencontre avec Jain : « Les déserts, le Congo mais aussi Abu Dhabi et Dubaï ont nourri ce nouvel album »
Le deuxième album de Jain, Souldier, met une fois encore tout le monde d’accord avec sa pop bariolée et festive. Rencontre.
Propos recueillis par Sophie Rosemont.
Portrait par Jules Faure.
C’est avec le tube “Alright” que Jain a introduit ce nouvel album, potion vitaminée du même acabit que celle qu’elle nous proposait déjà avec Zanaka, en 2015. Les autres pistes sont au diapason : d’une énergie franchement revigorante, toujours enregistrées avec Maxim Nucci, convoquant les différents horizons parcourus par la chanteuse. Mélopées orientales, rythmes africains, échos asiatiques, influences dub, références à la pop culture urbaine et occidentale (telles le générique d’Inspecteur Gadget samplé dans “Inspecta” !), Jain nous en fait voir de toutes les couleurs.
Numéro : Comment est né Souldier ?
Jain : J’ai commencé à l’écrire quand j’étais en tournée, j’ai fait beaucoup de maquettes dans le bus, et une fois en studio, Maxim Nucci et moi avons travaillé comme un duo. J’ai besoin d’un regard objectif, qui m’aide à faire le tri, à envisager autrement les arrangements. Et à dire stop quand ça fait trop longtemps que je planche sur une chanson !
Ca arrive souvent ?
Oui ! Quand on arrive dans le milieu de la musique et qu’on est une femme, on met plus de temps à se faire remarquer et à passer pour quelqu’un de sérieux. J’ai eu l’impression de devoir travailler deux fois plus que les autres… Mais avec Souldier, j’avais envie de dire que j’étais bien là où j’étais et qu’il était hors de question que je m’arrête. Ma passion, c’est ce qui compte le plus, au même titre que mon indépendance.
D’où vient le titre de l’album, qui est également celui d’une chanson, Souldier ?
Ce titre, je l’ai écrit juste après avoir regardé les informations. Choquée par la fusillade au club Le Pulse, à Orlando, j’ai eu envie d’écrire l’histoire d’un soldat qui se bat pour l’amour, se promène dans la rue avec des arcs-en-ciel dans les yeux. Il s’agit de lutter, mais pour le bien. L’élection de Donald Trump, les attentats… L’actualité est loin d’être joyeuse, ce qui a nourri plusieurs de mes chansons, où j’essaye de préserver le plus beau.
“Lors du premier album, Agnes. b m’a beaucoup soutenue en me fournissant toutes ces robes à col Claudine. Cette fois, j’avais envie de participer plus directement avec elle à la création d’un nouvel uniforme.”
Peut-on parler de disque de la maturité, aussi galvaudé que ce terme puisse être ?
Mon premier album, je l’avais écrit entre mes 16 et mes 20 ans. Aujourd’hui, à 26 ans, je me considère comme une femme, je veux mettre les mains dans le cambouis, comme, justement, ce soldat qui se bat pour la bonne cause. De faire du hip-hop un peu énervé, de chanter sur des mélodies orientales, de manipuler le reggae autant que je le souhaite…
Comment avez-vous géré le succès de Zanaka ?
J’avais plus peur de faire un burn-out que de prendre la grosse tête. Je suis très introvertie, ce qui surprend pas mal de personnes que je croise… Cependant, le fait d’être bien entourée et de savoir garder de la distance m’a aidée à rester concentrée. L’amour de mon public, dont l’âge varie entre 5 et 50 ans, ça m’a fait tellement de bien ! Aucun de mes fans ne se jette sur moi avec son téléphone, les échanges sont toujours respectueux…
La narratrice de “Star”, cette célébrité qui n’aime pas la lumière, qui ne sait pas qui elle est… c’est vous ?
Pas entièrement, je me moque de moi au même titre que d’autres artistes dont j’ai pu faire connaissance sur ma route. J’ai eu envie de ce petit clash !
Quels paysages ont nourri ces nouvelles chansons ?
Les déserts, mais aussi Abu Dhabi et Dubaï, des villes très riches au milieu du sable, le Congo, encore et toujours. Les sentiments comme les valeurs acquises quand je vivais en Orient ou en Afrique ressortent plus encore aujourd’hui, alors que j’ai mûri et digéré ces séjours. Contrairement à Zanaka où je parlais avant tout du Congo et de la rumba, j’avais envie de passer à une étape de ma vie où j’étais plus affirmée. J’ai adoré vivre dans des pays musulmans. Pour la culture, magnifique, que l’on connaît peu en France, et aussi la musique : j’ai beaucoup appris de ces rythmes si différents. En pensant à Souldier, je revois également les salles de concert où j’ai joué, dans des conditions éprouvantes ou dans un état d’euphorie véritable… L’énergie de la scène se retrouve d’ailleurs dans tous ces nouveaux morceaux.
Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus depuis vos débuts ?
Michael Jackson, Madonna, Lady Gaga, Janis Joplin, Kendrick Lamar. Le hip-hop est une musique que j’adore car elle permet d’exprimer sa colère, dans le flow ou les rythmiques, et d’incarner un personnage qui ne reflète pas ce que l’on est au quotidien.
“Choquée par la fusillade au club Le Pulse, à Orlando, j’ai eu envie d’écrire l’histoire d’un soldat qui se bat pour l’amour, se promène dans la rue avec des arcs-en-ciel dans les yeux.”
Pour Souldier, vous collaborez à nouveau avec Agnès b…
Lors du premier album, elle m’a beaucoup soutenue en me fournissant toutes ces robes à col Claudine. C’était déjà énorme mais cette fois, j’avais envie de participer plus directement avec elle à la création d’un nouvel uniforme. Elle m’a présenté cette combinaison, j’ai suggéré l’alliance du bleu et rouge… Echanger avec une grande dame comme Agnès b., si investie dans l’humain et l’art, qui a supporté tous les street artists de Paris, et dont le bateau, Tara, qui va sauver les mers, c’est une chance.
Pourquoi avoir utilisé un extrait du générique du dessin animé des années 80, Inspecteur Gadget ?
Je cherchais à faire un titre hip-hop, et je voulais un sample fédérateur que tout le monde reconnaisse. Ca a marché : en live, c’est flagrant !
Reste-t-il encore un rêve à réaliser pour Jain ?
Quand j’en aurais assez de la scène, devenir productrice ! J’aimerais créer des chansons pour les autres, savoir les encourager, jouer avec les sons.
Jain, Souldier, [Columbia], disponible le 24 août.