Rencontre avec Buzzy Lee, chanteuse prodigieuse et fille de Steven Spielberg
Sasha Spielberg alias Buzzy Lee n’est pas que la fille de l’un des plus grands cinéastes au monde (Steven Spielberg). À 33 ans, l’actrice et chanteuse défendra, sur la scène du Point Ephémère à Paris, le 30 octobre 2023, son deuxième album magnifique, Internal Affairs, sorti en avril dernier et qui hante longtemps après écoute. L’occasion de rencontrer l’une des plus belles voix du moment, à classer à côté des ensorceleuses : Lana Del Rey, Kate Bush et Weyes Blood.
propos recueillis par Violaine Schütz.
À l’heure où beaucoup de nepo babies se font un prénom grâce à leur nom, Sasha Spielberg a fait un choix radical. Depuis 2018, la chanteuse, pianiste et actrice (Licorice Pizza, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, Munich, Le Terminal, La Délicatesse) de 33 ans se planque derrière un pseudo, celui de Buzzy Lee. Mais cela n’a pas empêché la fille du réalisateur Steven Spielberg et de la comédienne Kate Capshaw (Indiana Jones et le Temple maudit) d’entrer dans la lumière.
La faute à un talent phénoménal, que ce soit pour imaginer des mélodies mélancoliques jazz, électro et pop accrocheuses ou pour ensorceler les auditeurs avec sa voix, l’une des plus belles du moment, à classer du côté de Lana Del Rey et Weyes Blood. Ce timbre est aussi très proche, par son pouvoir d’envoûtement, de celui de la pythie Kate Bush, l’une de ses influences majeures avec les Strokes, Led Zeppelin et Erik Satie.
En quelques EP cristallins et vaporeux (dont un avec son frère sous le nom de Wardell) et un premier album magnifique, Spoiled Love (2021), la Californienne qui vit à Los Angeles a imposé un univers onirique et un brin rétro bien à elle. Des ritournelles synthétiques intimistes et bouleversantes souvent élaborées avec le producteur Nicolas Jaar. Un ami de longue date avec lequel Sasha Spielberg a fondé le duo électronique Just Friends. Alors qu’elle sera en concert au Point Ephémère, à Paris, le 30 octobre 2023, pour défendre son nouvel album, Internal Affairs, rencontre avec une chanteuse aussi sincère et drôle en dehors de la scène que dans ses chansons.
Interview de Sasha Spielberg Buzzy Lee, chanteuse talentueuse et fille du légendaire Steven Spielberg
Numéro : Pourquoi avoir choisi de nommer votre deuxième album Internal Affairs ?
Buzzy Lee : Il y a des années, j’étais dans ce « partenariat » (une relation amoureuse, ndlr) et pendant ce temps-là, j’enquêtais constamment, j’analysais, comme si je collectais des données. Je me suis fait un devoir de le comprendre, donc au sens littéral, j’étais aux « affaires internes » (« internal affairs »). En même temps, je me présentais comme quelqu’un de différent pour que cette personne « m’aime », donc ce qui se passait en interne était une bataille avec mon moi externe.
Sur la pochette de l’album, vous portez une robe de princesse qui contraste avec le tas de blocs de béton sur lequel vous êtes couchée…
Quelqu’un m’a récemment parlé de « Cinder(ella)block » (une expression qui désigne les châteaux de Disneyland montrés dans des jeux vidéo, ndlr), que j’ai beaucoup aimé. Certaines de mes chansons datent de 2017, et je suis restée assise dessus, comme assise sur des parpaings (« cinderblocks » en anglais), me pesant. Le contraste entre quelque chose de beau et d’éthéré disposé sur quelque chose de dur et d’industrieux colle au thème du disque : ce qui « interne » versus ce qui « externe ». Les sujets principaux de cet album sont la solitude, la performance, le fait de se fuir soi-même et de jouer à faire semblant.
Vous évoquez sur cet album des souvenirs aux quatre coins du monde : Paris, Los Angeles et Mendocino (Californie)…
La chanson Can I Have Your Autograph parle de l’époque où je pleurais ma rupture amoureuse à travers une nouvelle relation, et je me promenais sans but dans Paris pendant des mois, me perdant complètement pour guérir du chagrin de ma précédente relation. Mendocino est l’endroit où je pourrais aller pour prétendre être la personne que mon ex voulait que je sois et expérimenter finalement le chagrin de la réalité de ne pas l’être.
« Je pense que je suis plus tombée amoureuse de Paris que d’un Français. » Sasha Spielberg alias Buzzy Lee
Est-il vrai que vous avez étudié à La Sorbonne à Paris et que vous êtes tombée amoureuse d’un Français ?
J’ai étudié à La Sorbonne et je suis tombée dans la luxure, pas exactement dans l’amour. En fait, je pense que je suis plus tombée amoureuse de Paris que d’un Français.
Peut-on voir votre chanson Can I Have Your Autograph comme une réflexion sur votre background en tant que fille d’un réalisateur et d’une comédienne ?
C’est drôle, car je suis sortie avec quelqu’un qui était « bigger than life » et j’avais l’impression d’attendre toute la journée d' »avoir son autographe« , en quelque sorte. Cette relation semblait éphémère mais son approbation était permanente. C’est pourquoi j’ai écrit ces paroles : « Rien ne dure, puis-je avoir votre autographe ? ». Il y a bien sûr un double sens avec le fait de grandir dans la famille dans laquelle j’ai grandi.
Comment définiriez-vous votre musique ?
Elle est éthérée, onirique, réflexive. Mes principales influences ? Les relations, certains moments de la journée, le parfum, Flaubert et ma galerie de photos sur iPhone. J’aime les sons de synthés chauds et les voix soyeuses. J’essaie de créer des sortes de journaux intimes, remplis de confessions, en utilisant une imagerie cinématographique et des saillies ironiques. J’aimerais atteindre une certaine crudité mélangée à la clarté d’une perspective distanciée.
Quelles sont, pour vous, les différences majeures entre votre premier album, Spoiled Love (2021) et votre second, Internal Affairs ?
Nicolas Jaar (excellent producteur électronique, ami et collaborateur de longue date de Buzzy Lee, ndlr) m’a donné un conseil quand j’ai enregistré la chanson Strange Town, présente sur Spoiled Love. Je devais la chanter comme si j’avais 80 ans et que je parlais de cette histoire d’amour que j’ai eue autrefois avec recul. Il m’a dit : « Parles-en simplement, pas d’émotion, pas de craquements de voix, chante simplement ce qui s’est passé. » J’ai ensuite enregistré une prise et c’est la prise que nous avons utilisée pour la version finale de Strange Town. Sur Internal Affairs, j’ai utilisé exactement la même façon de restituer les sentiments pour chaque chanson. Je ne m’effondrais pas en chantant et il y avait assez d’espace par rapport à la rupture difficile que j’évoquais que j’ai pu raconter ce que j’avais à raconter comme une grand-mère de 80 ans le ferait.
Vous êtes actrice en plus d’être chanteuse et musicienne…
Je me vois définitivement plus comme une musicienne que comme une actrice. Je ne joue la comédie que quand des amis (ou de la famille) me le demandent.
Vous avez joué dans l’acclamé Licorice Pizza (2021), aux côtés de l’auteure-compositrice-interprète Alana Haim (du groupe Haim)…
J’ai adoré être sur un plateau de tournage avec ma meilleure amie et être dirigée par Paul Thomas Anderson, qui est l’un des mes cinéastes favoris. Avec Alana, on a créé un podcast, Free Period. L’idée est de dire que celui que tu as été à 13 ans est celui que tu es aujourd’hui. Donc on y parle d’histoires horribles et embarrassantes de cette période.
« Le film que je préfère de mon père ? E.T. L’extra-terrestre. » Sasha Spielberg
Quel est le film réalisé par votre père que vous préférez ?
E.T. L’extra-terrestre parce que c’est E.T.
Avez-vous appris quelque chose en voyant son dernier film, très autobiographique, The Fabelmans ?
Je connaissais la majeure partie de l’histoire racontée, mais la voir compactée dans un cadre de deux heures était définitivement une expérience très immersive à tel point que c’est comme si j’apprenais tout pour la première fois.
Dans la vidéo de votre morceau Cinderblock, on vous voit entourée de plusieurs chiens. Si vous n’aviez pas réussi dans la musique, seriez-vous devenue dog sitter ?
J’aime les chiens plus que tout, j’en peins souvent en tant qu’activité secondaire, alors ce serait un travail de rêve ! J’essaie de faire tous les métiers de mes rêves – mais un emploi de rêve inaccessible pour moi serait d’être médecin. Je suis obsédée par tout ce qui est médical et je suis sidérée par les médecins et les infirmières. J’aurais aimé aller à l’école de médecine. Peut-être n’est-il pas trop tard ?
Internal Affairs (2023) de Buzzy Lee, disponible. Buzzy Lee sera en concert au Point Ephémère, à Paris, le 30 octobre 2023.