Rencontre avec Bilal Hassani : « Je m’identifie beaucoup à Jeanne d’Arc »
Après deux albums qui lorgnaient vers la pop et l’électro mainstream, des combats importants (contre le harcèlement scolaire notamment) et un déluge de perruques colorées, l’auteur-compositeur-interprète français de 22 ans Bilal Hassani opère une mue pointue. Épaulé par le producteur GrandMarnier du duo électro-pop Yelle qui a travaillé avec la regrettée SOPHIE, il sort un nouveau single, Il ou Elle, à la fois dansant, sentimental et politique, qui déconstruit avec panache les normes du genre. À l’occasion de la sortie de ce nouveau single, et de son clip qui ressuscite Jeanne d’Arc dans une fête barcelonaise queer d’aujourd’hui, on a discuté avec Bilal Hassani d’identité de genre, de connexion avec Dalida et de mini-robe Margiela.
Par Violaine Schütz.
Numéro : Comment est née cette nouvelle chanson, Il ou Elle?
Bilal Hassani : Jean-François Perrier (alias Grand Marnier de Yelle) avec qui j’ai travaillé sur mon prochain album – qui devrait sortir avant la fin de l’année 2022 – avec le producteur Tepr (Yelle) et le beatmaker Sutus (Joanna, Vicky R, Lujipeka, Kalika), m’a envoyé à la fin de l’année dernière la maquette d’un morceau intitulé Il ou Elle. Au départ, au niveau du son, je trouvais ça super, même si on a beaucoup travaillé dessus pour en faire ce qu’il est devenu. Par contre, le titre et les paroles me faisaient peur. Je les trouvais trop personnels. Je n’avais jamais, dans une chanson, affronter aussi frontalement la question du genre. J’y allais donc à reculons. Mais finalement, je me suis dit que c’était peut-être le bon moment. Je venais en effet, toute l’année 2021 de beaucoup me questionner sur mon identité de genre. J’avais discuté longuement avec d’autres amis queer qui ont comme moi, la vingtaine, de la complexité de la construction de nos identités. Longtemps, je me suis dit, les choses sont simples : « Je suis un homme qui se maquille et porte des perruques » et je criais haut et fort : « Un homme a le droit de se maquiller et de porter des perruques. » J’étais très têtu dans ma réflexion. Et puis je me suis rendu compte que c’est normal de perpétuellement se poser des questions sur ces sujets, surtout à mon âge. Ce morceau tombe donc à pic.
Dans ce morceau vous chantez : « Ce soir c’est il ou bien c’est elle / t’façon c’est du pareil au même / des bas résille ou des poèmes / J’ai mille façons de dire je t’aime. » Est-ce une ode à la liberté, la revendication d’une identité multiple, une chanson d’amour ou un hymne à la fête ?
Ce que j’aime, c’est qu’au départ, en voyant juste le titre de la chanson, beaucoup de gens vont se dire qu’ils ne vont pas être touchés ou s’identifier à ce morceau. Ils penseront sans doute : « C’est une dualité propre à Bilal Hassani qui va nous parler de son identité de genre. » Et puis en fait, ceux qui ont écouté le morceau m’ont confié qu’ils avaient été émus parce que ça leur évoquait leur rapport à la fête ou un autre sentiment qui leur était familier. Ils y ont vu quelque chose de plus universel : l’envie de se sentir bien dans sa peau, reçu et accepté. Ceux qui se sentent vulnérables, fragiles mais qui n’ont pas envie de le montrer peuvent se reconnaître dans les paroles. Et j’ai sorti ce single en premier car il résume tous les thèmes de mon prochain album qui sont ceux que vous avez cités dans votre question.
On entend aussi dans ce titre : « Je fais couler l’encre sur les cons / Sans jamais demander pardon. » Est-ce une allusion aux haters auxquels vous faites souvent face sur les réseaux sociaux ?
Oui mais pas seulement. Je pense à toutes les personnes qui ont essayé de me nuire depuis mon adolescence alors qu’innocemment, j’essayais seulement de réaliser mon rêve de faire de la musique. C’est un clin d’œil que je leur adresse avec cette phrase mais je le fais avec plus de distance et d’humour que sur mon morceau Jaloux qui figurait sur mon album Kingdom sorti en 2019 (Bilal Hassani y chantait : « Et qu’ils me les lancent / Ces mots qui blessent / Jamais je ne baisserai la tête / Je reste fort / Et je me répète / Encaisse les coups / C’est tous des jaloux »). À cette époque, je me disais que c’était horrible ce que je vivais, que tout le monde me détestait et que les gens étaient trop méchants. Là, il s’agit d’un réponse moins violente à ceux qui critiquent. Je dis : « Continuez à débattre. » De toute manière il y a toujours des réactions. J’ai beau faire les choses avant tout parce qu’elles me plaisent et pour m’amuser, sans stratégie, les gens vont parler. C’était le cas au dernier Festival de Cannes par exemple. Je ne suis pas dans un agenda de provocation. Je ne me suis pas dit, en arrivant sur le tapis rouge, en robe Margiela que cela allait provoquer des réactions très vives. Et pourtant, ça a été le cas.
Dans le clip d’Il ou Elle, vous incarnez une version moderne de Jeanne d’Arc, une épée à la main. Mais vous vous retrouvez dans une fête branchée, avec la scène queer de Barcelone à vos côtés. Quel est le concept de cette vidéo ?
En fait, Jeanne d’Arc me fascine depuis longtemps. Je m’identifie beaucoup à ce personnage historique. C’était une figure queer avant l’heure, dans son allure et son comportement. Et même si je ne peux pas comparer ma vie à sa fin tragique, je me reconnais dans ses souffrances et dans son essence. Je sens une proximité avec ses combats. C’était important également d’incorporer la scène queer jeune à côté d’elle, dans cette vidéo. C’est bien de se réapproprier les personnages de l’histoire qui ont beaucoup été récupérés par les mauvaises personnes, surtout en France. Plutôt que de pleurer devant les statues, dans cette vidéo, on célèbre l’icône Jeanne d’Arc dans une ambiance festive façon Studio 54.
Vous affichez une nouvelle image, avec des cheveux courts, une nouvelle DA, et des photos de presse en tenue Anne Demeulemeester et bijoux Alan Crocetti. Après avoir participé à l’émission Danse avec les stars, vous vouliez proposer quelque chose de plus pointu niveau son et image…
Comme je le dis dans Il ou Elle, je veux goûter à tout. J’aime le mainstream et les choses plus expérimentales. J’aime emprunter plusieurs chemins. Alors bien sûr que mon objectif, au début, c’était de devenir la plus grande pop star de la planète (rires). Au départ, je voulais plaire au public ultra mainstream car je voulais qu’une personne queer arrive à s’imposer dans le schéma médiatique traditionnel français. Et cela, sans aucun jugement de ma part envers la télé-réalité, sans que ce soit un personnage de télé-réalité au discours unidimensionnel qui soit dans la lumière. Je voulais montrer l’intelligence et l’humanité qu’on trouve chez les personnes comme moi.
Quand avez-vous songé à quelque chose de plus « niche » ?
Après avoir dansé avec un homme dans Danse avec les stars, j’ai eu l’impression d’avoir atteint un plafond de verre. Je me suis dit : « C’est bon je ne peux pas faire plus populaire. » Je pense avoir fait le tour de ce que je pouvais faire en matière de mainstream. Mais il fallait que je passe par l’Eurovision ou Danse avec les stars pour que mon message soit visible. Si j’étais resté dans quelque chose de plus underground, je n’aurais pas pu avoir l’impact que je voulais avoir. J’aurais eu beaucoup de mal à véhiculer les messages que je voulais transmettre en étant hyper « niche » ou pointu dès le début. Si on reste dans le microcosme parisien, tout semble plus rose, avec des mentalités qui ont nettement évolué. Mais pas ailleurs. J’ai passé mon année 2019 et celles d’après à faire 200 dates de dédicaces ou de concerts. Je disais « oui » à tout, allant dans les petites communes et les villages pour pouvoir rencontrer mes fans français. J’ai une grande proximité avec ma communauté, les Habibies, qui me disaient que leurs parents ne les laissaient pas m’écouter.
Sur Il ou Elle, vous êtes à la fois dansant et politique…
J’ai essayé de trouver un crossover : ne pas perdre ceux qui me suivent depuis des années mais en même temps, toucher un autre public. Je suis un bébé de la pop et du R’n’B mais des musiques comme l’hyperpop et l’électro expérimentale me nourrissent et m’apprennent beaucoup. J’aime mixer avec des sonorités eurodance kitsch avec d’autres choses plus sérieuses. Et avec Grand Marnier, on s’est compris sur ça. J’ai aussi remarqué que souvent, quand je me lançais dans la chose la plus authentique qui soit, c’est celle-ci qui allait trouver les gens et les toucher de manière organique. Les plus gros résultats que j’ai obtenus jusqu’ici, c’est quand je me suis dit : « Vas-y, suis ton instinct, essaie-ça. » Là j’ai osé.
Pourquoi avoir choisi le producteur GrandMarnier en tant que réalisateur de votre prochain album : pour ses chansons au sein de Yelle, ou parce qu’il a travaillé avec des artistes tels que la regrettée SOPHIE ou la pop star transgenre Kim Petras ?
Pour les deux raisons. Depuis que je suis petit, j’essaie de m’enrichir en musique. J’ai découvert A. G. Cook et SOPHIE quand j’avais 17 ou 18 ans et ça a été un choc. Ce sont des projets qui m’ont vraiment fasciné, tout comme le virage hyperpop de Charli XCX ou les chansons de Kim Petras que je suis depuis son premier titre. Et Yelle est un groupe dont je suis fan, à tel point que lors du premier dîner que j’ai fait avec eux, je tremblais car j’étais impressionné. L’album Complètement fou (2014) de Yelle représente pour moi un accomplissement en termes de pop inventive, accessible et pointue. On sent son influence dans beaucoup d’autres disques d’artistes français qui ont suivi. Dans la maison de GrandMarnier, qui se situe en Bretagne, j’ai été très ému lorsqu’il m’expliquait, en me montrant le grand piano dans le salon, que SOPHIE avait testé des mélodies dessus. Quand SOPHIE est partie, je ne suis pas sortie de chez moi pendant plusieurs jours. Pas seulement à cause de la tristesse causée par la disparition d’une si grande artiste, mais aussi parce qu’égoïstement, je savais que je n’aurais plus jamais la possibilité de la rencontrer juste pour lui dire « merci » pour l’impact qu’elle a eu dans la musique et dans ma vie.
La pochette de votre single fait penser à une sérigraphie d’Andy Warhol…
La référence exacte, c’est un shooting d’Annie Lennox, la chanteuse d’Eurythmics, qui arbore des cheveux roses. Mais mon DA (Ronan Querrec, qui a travaillé avec Woodkid, ndr) est le fan ultime de Warhol, donc il y a sans doute un peu de lui aussi dans l’image. Ce qu’on veut faire avec mon équipe, c’est surprendre et offrir de l’entertainment comme on n’en voit plus trop en France. On parle toujours de show à l’Américaine quand un artiste français tente quelque chose de fou, mais Dalida, avec qui je me sens très connectée spirituellement, changeait plusieurs fois de tenues quand elle se produisait à la télévision française. En francophonie, on a parfois un peu perdu ce sens du glamour. Moi j’ai envie de « bring back iconic pop. » Là, j’ai les cheveux courts, sans perruque, sur cette pochette, mais dans le clip et les visuels à venir, il y aura des cheveux, des robes qui brillent et plus encore.
Il ou Elle (2022) de Bilal Hassani, disponible sur toutes les plateformes. En concert au festival Lollapalooza à Paris le 16 juillet 2022.