Qui est Rachel Chinouriri, la chanteuse indie-pop adoubée par Sabrina Carpenter et Florence Pugh ?
Dans le cadre de sa tournée Short n’ Sweet Tour, la pop star Sabrina Carpenter mise sur l’artiste Rachel Chinouriri pour assurer sa première partie. Révélation de la musique anglaise doublement nommée aux BRIT Awards, elle révélait, en avril 2024, un premier album intitulé What a Devastating Turn of Events. Une pépite indie-pop que la chanteuse conçoit une véritable expérience thérapeutique. Alors qu’elle a embrasé la scène de l’Accor Arena ces 16 et 17 mars 2025, Numéro s’est entretenu avec la chanteuse au sujet de son amitié avec l’actrice Florence Pugh, de la montée des pop stars noires dans l’industrie de la musique et de sa passion pour les vêtements des années 2000.
propos recueillis par Jordan Bako.
C’est une tendance TikTok qui nous a initiés à son univers. Dans la version acoustique du morceau So My Darling, qui cumule aujourd’hui près que 100 000 utilisations sur la plateforme, Rachel Chinouriri murmure au micro. Elle psalmodie des mots tendres, presque à la manière d’une berceuse, pansant les plaies d’un amour inavoué.
Depuis, l’auteure-compositrice-interprète de 26 ans a connu mille et unes aventures. Née de parents zimbabwéens, elle grandit à Londres, publiant discrètement certains morceaux sur la plateforme Soundcloud. Elle rejoint ensuite les bancs de la BRIT School, école anglaise spécialisée dans l’art qui compte parmi ses alumnis Adele, FKA twigs ainsi qu’une certaine Amy Winehouse.
What a Devastating Turn of Events, l’excellent premier album de Rachel Chinouriri
En mai 2024, Rachel Chinouriri dévoile enfin un premier album intitulé What a Devastating Turn of Events. Un opus aux influences indie, pop et rock, dans lequel elle convoque ses espoirs déçus (Never Need Me), ses expériences traumatisantes telles que le décès de l’une de ses cousines ainsi que des références hilarantes à des memes (Dumb Bitch Juice).
C’est le boom : elle se voit nimbée de deux nominations aux BRIT Awards (cérémonie britannique récompensant le meilleur de la musique du Royaume-Uni) avant d’être invitée par Sabrina Carpenter à se produire en première partie de sa tournée Short n’ Sweet Tour.
Performant en live à l’occasion de deux dates parisiennes ces 16 et 17 mars derniers, Rachel Chinouriri a enflammé la scène de l’Accor Arena. Souriante, elle adresse baisers et éclats de rire à une foule conquise et secoue sa chevelure sur le rythme d’une guitare électrique endiablée. En amont de son deuxième concert dans la capitale, Numéro a rencontré cette artiste, qui pourrait être le meilleur espoir de l’indie-pop anglaise. Entretien.
L’interview de Rachel Chinouriri, l’artiste indie-pop qui a assuré les premières parties de Sabrina Carpenter
Numéro : Vous avez assuré les premières parties de Sabrina Carpenter à Paris. Comment est née cette collaboration ?
Rachel Chinouriri : Le manager de Sabrina Carpenter me connaissait parce que l’un de ses amis aimait ma musique. Mais quelque temps après, Sabrina m’a dit que c’étaient surtout ses amis qui lui ont montré mes morceaux ! L’univers était définitivement avec moi parce que c’est tombé à un moment où ils étaient en train d’organiser la partie européenne de la tournée. Un concours de circonstances assez hasardeuses mais au final, très bénéfiques puisque l’équipe de Sabrina m’a proposé d’ouvrir pour elle par la suite ! Pour être honnête, je lui avais déjà envoyé un message personnel auparavant en lui disant que j’adorerais faire sa première partie… Mais je ne pense pas qu’elle l’ait vu ! [Rires.]
Et comment se sont passés ces concerts à Paris ?
C’était définitivement les meilleurs concerts de la tournée jusqu’à présent. Et je vous promets que je ne vous dis pas cela parce que nous sommes à Paris ! À chaque chanson, la foule était comme en transe. Le public sautait, agitait ses mains en chœur – et ce, tout au long de mon set ! Même lorsque Sabrina est apparue sur scène, je pense que c’étaient les applaudissements les plus forts que j’ai entendus jusqu’à maintenant. Ils étaient tous tellement enthousiastes à l’idée de la voir. C’était juste extraordinaire.
“À l’origine, je ne savais pas qui était Florence Pugh. Puis, j’ai regardé Midsommar et je me suis rendu compte à quel point c’était une immense actrice.” Rachel Chinouriri
On croise Florence Pugh dans le clip de Never Need Me, l’un des singles de votre album sorti l’année dernière. Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Il y a à peu près trois ans, Florence Pugh était venue à Cross the Tracks, un festival au Royaume-Uni où je me produisais ! À l’origine, je ne regarde pas vraiment de films, alors quand les gens m’ont dit que Florence était là, je ne savais pas tellement qui elle était. Puis, j’ai regardé Midsommar et je me suis rendu compte que c’était une immense actrice. Deux ans après ce show, elle m’a suivie sur Instagram. Elle m’a envoyé un message très tendre, auquel j’ai répondu. Puis, j’en ai parlé à mon manager et il m’a dit : “Demande-lui de jouer dans ton clip !” En effet, on cherchait quelqu’un pour jouer le rôle de ma meilleure amie pour la vidéo de Never Need Me. Du coup, j’ai sauté le pas et je lui ai proposé. Et elle a accepté !
Votre album What A Devastating Turn of Events est sur le point de souffler sa première bougie…
Avec cet album, je me suis autorisée à tout ressentir. Le bon, comme le mauvais, sans m’inquiéter du résultat final. Ce qui comptait pour moi, c’était de parvenir à produire un album qui était fidèle à mon histoire. Faire quelque chose de sincère était le mot d’ordre de la conception de cet album. Avant même de penser aux ventes, aux billets de spectacles… À certains instants, j’étais tellement stressée que je me suis dit que je ne voulais même plus être chanteuse !
Que s’est-il alors passé ?
J’ai pensé que cet album était précieux parce qu’il me permettait d’explorer qui j’étais. Et lorsque j’ai sorti What a Devastating Turn of Events, je me suis juste dit : “Tu sais quoi ? Advienne que pourra.” J’étais loin de me douter que cet album allait changer ma vie. M’autoriser à ressentir toutes ces émotions contradictoires, était donc l’un des plus beaux cadeaux que je pouvais me faire pendant le processus d’écriture de cet opus.
“Lorsque je ressens une émotion trop forte, je suis obligée de faire une blague ou d’écrire une chanson à ce sujet.” Rachel Chinouriri
Vos paroles comportent beaucoup d’humour…
Avec le recul, What a Devastating Turn of Events était vraiment une expérience cathartique. En général, lorsque je ressens une émotion trop forte, je suis obligée de faire une blague ou d’écrire une chanson à ce sujet pour pouvoir passer à autre chose. Si je ne le fais pas, j’en parle à tue-tête tous les jours jusqu’à finir par écrire une chanson ! [Rires.] Lorsque j’écris, c’est souvent la première étape vers la guérison. Et il y a beaucoup de choses dont je parle dans cet album qui ont fini par guérir avec le temps. J’ai fait une thérapie et j’ai tourné la page. Je pense que le fait de pouvoir maintenant transformer le traumatisme en quelque chose que j’aime chanter et sur quoi j’aime danser, a joué un rôle important dans ce processus de guérison.
Récemment, vous receviez vos premières nominations aux BRIT Awards, pour les prix du meilleur artiste et du meilleur artiste émergent – aux côtés de Charli xcx et de Dua Lipa. Comment avez-vous reçu cette annonce ?
C’est un peu surréaliste. Je me sens très chanceuse et reconnaissante. Je souffrais un peu du syndrome de l’imposteur dans cette sall. Lorsque je me suis rendu compte que j’étais vraiment là, entourée de musiciens extraordinaires. Mais je pense que tout s’est déroulé exactement comme je l’aurais souhaité.
“J’ai la chance de vivre à une époque où un changement semble être en train de se produire pour les femmes noires dans la pop.” Rachel Chinouriri
Beaucoup d’artistes souffrent d’un syndrome de l’imposteur. Qu’en est-il pour vous ?
Je pense qu’il provient du fait que je suis une artiste noire dans les milieux indie et pop – genres assez dominés par des personnes blanches. Cependant, j’ai la chance de vivre à une époque où un changement semble être en train de se produire dans l’industrie. Désormais, il y a beaucoup de femmes artistes noires qui sont des éternelles sources d’inspiration dans ce genre. Je pense à Essence Martins, Alemeda ou Jae Stephens. Ou encore, Doechii qui est tellement unique, étonnante, excentrique et amusante ! J’ai l’impression de voir plus de femmes noires au style alternatif dans la musique.
Ce n’était pas le cas lorsque vous étiez encore adolescente…
Non, en grandissant, je n’avais eu jamais l’occasion d’en voir autant. Nous avons réussi à bâtir entre nous un réseau de solidarité parce que nous nous battons toutes pour la même chose. Sans même nous connaître de façon intime, juste le fait de ne pas se sentir seule dans ce combat est déjà une avancée.
“Je suis heureuse d’avoir imaginé un univers créatif qui me correspond, plutôt que de tenter de me fondre dans un monde dans lequel je ne me reconnais pas.” Rachel Chinouriri
Dans certaines interviews, vous parlez de certains labels et personnes de l’industrie qui vous ont encouragée à vous tourner vers d’autres genres, comme le R&B et la musique soul. Quel regard portez-vous sur ces exhortations ?
Je me sens sacrément chanceuse d’avoir suivi mon instinct, de ne pas avoir écouté ce qu’ils disaient. J’ai récemment appris un dicton qui dit : “Vos intuitions initiales seront votre futur regret”. Donc aujourd’hui, j’essaie de toujours suivre mon instinct… C’est à soi-même que revient la tâche d’ouvrir ces sentiers qui semblent fermés pour l’avenir. Cela signifie qu’il y a quelque chose qui vaut la peine d’être imaginé. Je suis heureuse d’avoir imaginé un univers créatif qui me correspond, plutôt que de tenter de me fondre dans un monde dans lequel je ne me reconnais pas.
Vous avez également parlé des difficultés financières rencontrées par les artistes musicaux lorsque vous avez été obligée de décliner la proposition d’ouvrir le concert de Remi Wolf par manque d’argent…
c’est une discussion que l’on doit impérativement avoir. En tant qu’artiste, je vivais parfois en me disant que je n’avais pas gagné grand-chose pour l’instant mais que ma chance viendrait un jour. Soudainement, l’opportunité de partir en tournée s’est présentée ! Mais il faut tellement d’argent pour partir en tournée – notamment lorsque vous partez aux États-Unis en tant qu’artiste européen, pour des questions de visa. Alors que la tournée était presque à guichets fermés ! Si j’ai à me battre de cette façon, imaginez ce qu’il en est des autres musiciens qui n’ont pas forcément accès à des labels, à des ressources, à des proches qui peuvent les aider. Il faut absolument trouver un moyen de permettre aux artistes de partager leur musique sans avoir à s’endetter pour le reste de leur vie.
“Avec le recul, je suis capable de voir la beauté dans les traumatismes que j’ai vécus enfant.” Rachel Chinouriri
Quel type d’enfance avez-vous eu ?
Mon enfance a été assez déroutante mais je me sens chanceuse de l’avoir vécue telle quelle. En grandissant, ma mère me disait que je baignais au carrefour de cultures – mais je ne le comprenais pas vraiment. Ça me semble beaucoup plus clair aujourd’hui. Je suis une femme noire, zimbwabéenne, qui a eu le privilège de grandir au Royaume-Uni. Lorsque je sortais de chez moi, je découvrais un tout autre monde : un quartier à majorité blanche, avec des personnes et une culture complètement différentes. C’était à la fois une très belle opportunité. Mais aussi un terreau fertile à l’expression de plein de rapports de domination.
Avez-vous été victime de racisme ?
J’ai vécu beaucoup de racisme, petite. Avec le recul, je suis capable de voir la beauté dans les traumatismes que j’ai vécus enfant parce que j’ai été épaulée par une famille qui riait, chantait et dansait beaucoup. Nous avons réussi à trouver de la joie dans les épreuves de la vie. Et je pense que c’est une bénédiction de pouvoir avoir ce regard-là.
Votre style vestimentaire semble également être très inspiré par votre enfance…
Les années 2000 m’ont beaucoup inspirée en tant que pré-ado pendant cette période-là. J’ai des sœurs plus âgées. Mes sœurs aînées étaient adolescentes lorsque j’avais quatre ou cinq ans. Du coup, en grandissant, mes frères et sœurs aînés étaient habillés à la perfection. Ils s’amusaient avec des vêtements, des coiffures excentriques… Je voyais les photos d’eux qu’ils postaient sur Facebook au détour d’une nuit passée dans les clubs. Et j’entendais leurs histoires. J’avais juste hâte d’être assez grande pour pouvoir m’habiller comme eux.
Ce qui est arrivé…
Lorsque je suis devenue adolescente, on a assisté à l’émergence des téléphones portables – et soudainement, tout le monde s’est mis à s’habiller exactement de la même façon ! Moi, y compris ! Notre génération se trouve dans une situation où nous avons grandi avec la technologie, où nos styles respectifs se sont standardisés. Pour ne pas dire qu’ils se sont conformés aux attentes. Alors avec mon style, j’essaie de revenir à cette ère. Je tente de susciter chez les autres un sentiment de nostalgie.
“Alors avec mon style, j’essaie de susciter chez les autres un sentiment de nostalgie.” Rachel Chinouriri
Quels sont les créateurs de mode avec lesquels vous aimeriez collaborer ?
Je suis amoureuse de Diesel parce qu’ils viennent de sortir une campagne avec Katie Price [mannequin et personnalité de télé-réalité britannique, ndlr], qui, pour moi, est une icône de la culture britannique. Mais j’aime beaucoup Heaven by Marc Jacobs, Miu Miu et Vivienne Westwood.
Vous êtes sur le point de sortir un nouvel album, un EP, intitulé Little House. Pourriez-vous nous parler de l’écriture de ce projet ?
Si vous saviez le nombre de musiciens qui s’auto-sabotent pendant la création de leurs opus, après avoir parlé de choses traumatisantes dans leur premier album… Cela n’a aucun sens parce que nous nous trouvons dans une situation financière et mentale bien plus stable qu’auparavant ! C’est quelque chose qui m’est arrivé au tout début de cet album. Une fois que j’ai fini mon premier opus, tout le monde a compris le type d’histoires que je voulais y raconter : mes traumatismes, mon enfance… Lorsque j’ai commencé à travailler sur Little House, même en baignant dans une atmosphère très saine, mon cerveau s’est automatiquement demandé comment il pouvait saboter tout cela. Mais mon partenaire a été un roc, il a su me rassurer et me faire comprendre qu’il ne voulait que mon bien.
“Je pensais que les chansons d’amour étaient assez ringardes ! Puis je me suis dit que l’amour était un sentiment ringard en lui-même.” Rachel Chinouriri
Little House est un projet très personnel et très romantique…
Avec Little House, je me suis forcée à essayer d’écrire sur l’amour que je porte à mon partenaire, sans me fermer de portes ou m’auto-brider. Même si je lui dis tous les jours que je l’aime, c’est une expérience assez différente de retranscrire l’amour que je lui porte en musique. C’était une chose ardue parce que je pensais que les chansons d’amour étaient assez ringardes ! [Rires.] Je suis passée outre ce blocage en me disant que l’amour était un sentiment ringard en lui-même. Donc, j’ai fini par appeler l’EP Little House parce que j’aimerais habiter dans une petite maison avec lui dans le futur. Et le premier single de l’EP, Can we talk about Isaac ?, comporte son nom !
“Je n’ai pas eu de nouvelles de Beyoncé.” Rachel Chinouriri
Sur X (ex-Twitter), vous avez récemment demandé à Beyoncé de collaborer sur un projet indie-rock. Doit-on se préparer à une future collaboration avec elle ?
Non je n’ai pas eu de nouvelles de Beyoncé ! Mais si elle voit cette interview et qu’elle décide de me passer un coup de fil, ce serait génial ! [Rires.] Elle représente un tel cap, un grade en matière de création artistique. Pour moi, c’est juste un privilège de vivre à la même époque qu’elle. On a tendance à regarder des icônes du passé en se demandant quels sentiments on aurait ressenti si on a avait pu vivre à leur époque. Avec Beyoncé, on ressent ces émotions en temps réel ! Si jamais elle décide de faire un jour de l’indie-pop, je suis disponible. Même s’il ne s’agit que de m’asseoir dans la même salle qu’elle et de la regarder créer… J’adorerais pouvoir regarder, pouvoir apprendre d’artistes qui sont à un si haut niveau. Peut-être que j’atteindrais un jour leur stade…
What a Devastating Turn of Events (2024) de Rachel Chinouriri, disponible. Little House, disponible le 4 avril 2025.