11 mai 2023

Qui est Riopy, le pianiste prodige adoubé par Lana Del Rey, en concert aux Folies Bergère

Adulé par Lana Del Rey et Chris Martin, le pianiste français Riopy détonne dans l’univers de la musique instrumentale. Autodidacte et anticlassique, il compose ses morceaux pour “la partie gauche de notre cerveau”, celle réservée à l’émotion. Après avoir grandi dans une secte près de Nantes, Riopy est parti dès sa majorité pour Londres, où sa bonne étoile l’a mis sur la route des bonnes personnes. Alors en pleine tournée entre la France et la Belgique, le musicien se confie à Numéro sur son histoire folle.

Portrait de Riopy © Pierre-Emmanuel Rastoin

Jean-Philippe Rio-Py, pianiste prodige échappé d’une secte

 

Son parcours ne ressemble à aucun autre. Ni formé dans un prestigieux conservatoire ni issu d’une famille de musiciens, Jean-Philippe Rio-Py (alias Riopy) est un véritable autodidacte. Et, plus qu’un simple instrument, son piano est devenu sa thérapie, son kit de survie depuis qu’il a, pour la première fois, posé ses mains dessus alors qu’il n’était pas plus haut que trois pommes. “Je ne me souviens pas visuellement de la première fois que j’ai touché à un piano, mais j’ai encore aujourd’hui le souvenir de cette émotion très forte ; c’était comme une goutte d’eau qui éclabousse tout, absolument tout,” nous confie t-il.

 

Si la métaphore peut paraître abstraite, il n’en est rien de sa pratique, qui touche justement plus à l’émotionnel qu’à l’intellectuel. Car, pour apprendre à jouer, il a toujours suivi son instinct et ses affects : enfermé dans une secte des Deux-Sèvres avec ses parents et ses frères et sœurs jusqu’à sa majorité, le musicien a grandi presque coupé du monde. Là, se trouvait un piano, comme abandonné, sur lequel Riopy s’est lui-même abandonné, à corps perdu. 

Riopy, un pianiste adoubé par le chanteur de Coldplay

 

Lorsqu’il n’a que 15 ans, la secte lui retire son piano, prétextant que l’adolescent en jouait trop souvent. Alors, dès sa majorité, Riopy prend son envol et se rend à Los Angeles puis à Reading, en Angleterre, où il trouve un emploi dans une boutique de piano. “Je n’ai jamais douté. J’ai toujours voulu être pianiste, depuis tout petit, sans jamais me demander comment j’allais gagner ma vie. Je m’en fichais complètement, tout ce que je voulais, c’était jouer,” explique-t-il, convaincu de sa destinée. Et toutes ses étoiles se sont enfin alignées : il fait la rencontre d’un certain Michael Freeman qui, transporté par son talent, décide de lui financer des études de musique contemporaine à Oxford. Puis direction Londres, où il débute une carrière dans le cinéma et la publicité et compose des morceaux pour les films oscarisés tels que Danish Girl (2015) et La Forme de l’eau (2017). Reconnu par ses pairs, son talent captive également Chris Martin, le leader du groupe Coldplay, qui va jusqu’à lui offrir un piano. Aujourd’hui, celui qui s’est formé sur un ancien piano abandonné en possède de nombreux, répartis dans son studio, son salon et ailleurs. “Ils racontent tous une histoire et forment tous un petit univers. Évidemment, j’ai toujours celui de Chris Martin mais j’en ai aussi un pour jouer avec mes enfants, qu’ils ont décoré, puis un pour jouer seul…

 

« Je me compare souvent à Indiana Jones. Parce que je conçois ma musique comme une quête permanente, pour moi-même et pour les autres. » Riopy

 

Son quatrième album, sorti le 14 avril 2023, Riopy le consacre à son parcours, le considérant comme un projet par et pour lui, loin des bandes-son de cinéma ou de publicité. Le titre, Thrive, est en lui-même très explicite, évoquant une notion de combat et de réalisation de soi : “quand tu ‘thrive’, tu surmontes tous tes problèmes, tes faiblesses, tes peurs.” Le musicien y développe ainsi son approche autodidacte et très personnelle du piano, dont il envisage les notes comme une suite mathématique de chiffres que son cerveau et ses doigts comptent sur les touches, comparant ses compositions à notre rythme cardiaque qui accélère ou décélère selon nos émotions. “Oui je sais, je vais loin pour répondre aux questions” s’amuse Riopy. Ce que je veux dire, c’est que la musique peut affecter notre rythme cardiaque car elle touche à nos émotions. Certaines fréquences nous apaisent, d’autres nous excitent ou nous énervent. Moi, je veux faire une musique qui fait du bien, qui parle à notre corps. Je me compare souvent à Indiana Jones, parce que je conçois ma musique comme une quête permanente, pour moi-même et pour les autres”.

Une chanson reprise par Lana Del Rey

 

Alors, pour jouer, Riopy travaille avec des neuro-scientifiques, lit beaucoup d’études mais aussi, et surtout, écoute ses ressentis et celui de ses enfants, sur lesquels il expérimente ses morceaux. Mais, aussi surprenant soit-il, le pianiste n’écoute peu voire pas du tout de musique et préfère le silence. Parce qu’il en joue tout le temps et en a toujours dans la tête. D’ailleurs, les seuls moments où il en écoute, c’est en voiture, avec ses enfants et notamment sa fille, qui passe en boucle des chansons de Lana Del Rey… tout comme la chanteuse américaine s’est elle-même passionnée pour les compositions de Riopy, jusqu’à poser sa voix langoureuse sur son titre Flow pour son single Grandfather please stand on the shoulders of my father while he’s deep-sea fishing, présent sur son dernier album, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd. “C’était très flatteur mais, au début, j’étais un peu inquiet” avoue Riopy au sujet de cette collaboration, “parce que ma musique est très personnelle, et je ne savais pas comment elle pourrait se l’approprier. Finalement, la chanson était si belle et mélodieuse que j’ai accepté.

 

Malgré la dimension intimiste de sa musique, Riopy la partage avec son public aux quatre coins du globe, au gré de concerts au cours desquels il joue ses morceaux les plus connus tout en laissant une grande part à l’improvisation, inspiré par le moment et les personnes qui se trouvent face à lui. Car Riopy fait la différence par rapport aux représentations “traditionnelles” de la musique classique : des as du piano rejouant des titres incontournables de Satie, Chopin ou Debussy qui sollicitent l’intellectuel. “Pour moi, la musique classique d’aujourd’hui se résume à des compositions de personnes qui n’existent plus. Il faut aller de l’avant, la concevoir autrement” considère-t-il. Ainsi, loin des spectacles conventionnels, celui qui n’a jamais fait de solfège, compare l’énergie de ses concerts à celle des “matchs de foot à domicile”, qui galvanise les joueurs. Hypersensible, il communie avec son audience qui parfois pleure, s’abandonnant complètement à sa musique.

 

Le pianiste se souvient par exemple d’un petit concert dans une église lors d’un festival près de Lyon, il y a une dizaine d’années. À la fin, ce fut le silence complet. Puis il entendit des applaudissements et beaucoup de remerciements… jusqu’à recevoir, il y a quelques semaines, un message d’une femme présente dans l’audience, qui tenait à le féliciter, une décennie plus tard, pour ce concert qui l’avait marquée. Une émotion intense qui sera, probablement, partagée par tous ceux et celles qui découvriront la musique de Riopy à l’occasion de sa tournée de concerts, de Paris à Bruxelles. Un seul en scène, accompagné seulement de son piano, pour s’échapper une petite heure de la réalité : comme lorsqu’il a commencé.

 

En concert ce lundi 27 novembre 2023 aux Folies Bergères de Paris, puis en France et en Belgique jusqu’au 7 décembre 2024. 

Single “Go With The Wind“ de Riopy, disponible.