Qui est Bergmann, nouvelle diva française de la pop ?
À l’occasion de la sortie de son premier album, No Curfew – disponible depuis le 7 mai –, Numéro a rencontré Bergmann, une artiste polymorphe se plaisant à mettre en scène sa pop baroque à travers des clips kitsch, rendant hommage à une féminité puissante.
Par Alice Pouhier.
Depuis le début de la pandémie, Zoom est souvent devenu un prétexte pour ne pas s’apprêter : mais Bergmann ne l’entend pas de cette oreille. Vêtue d’un élégant pull vert oversize, ses boucles rousses encadrent son visage parfaitement maquillé ; et s’il n’était pas 14h, elle aurait volontiers tenu un immense verre ballon rempli de Chardonnay entre ses doigts graciles… Si Bergmann ressemble tant à une vedette de cabaret des années 50, ce n’est pas un hasard. Parisienne, elle grandit dans une famille passionnée de théâtre, et sa mère, comédienne, lui transmet le goût de la mise en scène. “Au théâtre, il y a un côté too much. On parle plus fort, nos gestes et nos expressions sont exagérés. Je suis sûre qu’avoir grandi dans cet environnement m’a influencé”, explique-t-elle. Petite, elle a même caressé l’envie de devenir comédienne à son tour, avant de comprendre que le métier portait en lui une sorte de cruauté. “Être actrice, c’est évoluer dans un monde où il fallait attendre qu’on nous donne du travail. Moi, je ne voulais pas attendre quoi que ce soit. Et en même temps, cette frustration de ne pas avoir accompli ce rêve-là, je l’assouvis dans mes clips où je me donne le premier rôle.” Alors, Emma est devenue Bergmann, en hommage à l’actrice (Ingrid Bergman), mais aussi au cinéaste suédois (Ingmar Bergman). “En devenant Bergmann, cela m’était naturel de me présenter comme un personnage de cinéma. J’ai passé des nuits blanches à regarder les films de David Lynch et de Brian de Palma. Tout ce qui est kitsch et étrange, un peu dystopique, j’adore.” Alors, dans ses clips psychédéliques, elle prend l’allure d’une héroïne vamp de David Lynch et devient tour à tour une dealeuse de philtre d’amour dans Love Potion ou une amante assoiffée de sang dans Pay Attention… autant de clips colorés et délicieusement kitsch qu’il lui arrive de réaliser elle-même. “J’ai écrit et réalisé le dernier, Love Potion. Au début, je ne me sentais pas légitime, car je n’ai pas fait d’école de cinéma. Mais aujourd’hui, il faut savoir être débrouillarde, alors je me suis lancée”, confie-t-elle.
Si les clips de Bergmann ressemblent à des court-métrages underground tous droits sortis de l’époque de Las Vegas Parano, son assurance décomplexée n’est pas un trait inné. “Quand j’étais petite, je chantais vraiment faux, je suis contente de ne pas avoir fait subir ça à mes parents trop précocement”, rit-elle. Déscolarisée à quinze ans, Emma a eu le temps de se perfectionner. Pour occuper de longs après-midis solitaires, l’adolescente se met à chanter par-dessus les morceaux enregistrés sur son iPod. “J’écoutais beaucoup Aretha Franklin et Lauryn Hill. Des icônes musicales inatteignables, mais qui m’ont poussé à travailler énormément”, précise-t-elle. Puis, ce sont ces amis qui, peu à peu, baissent le son de la chaîne hi-fi lorsqu’elle chante par-dessus ses idoles, et l’encouragent à poursuivre son rêve… jusqu’à l’exercice incontournable des soirées open mic parisiennes, où ses airs de diva jazzy font mouche. “J’aimais cette expérience, mais je me suis lassée de chanter les chansons des autres.”, se souvient-elle. Cette année, la chanteuse de 28 ans livre ainsi son premier album, No Curfew, dont le titre épouse étrangement les circonstances : “Cela peut paraître fou, mais il m’arrive d’écrire des chansons prémonitoires. J’écris une chanson de rupture et je romps le lendemain. Je ne pense pas être un oracle, disons que mon inconscient me met en garde. J’ai trouvé le nom de No Curfew deux ans avant la pandémie. Alors maintenant, il revêt un double sens.” Dans cet album aux quatorze titres acidulés, Bergmann a voulu signifier une quête de liberté, qui prend d’abord la forme d’un refus de se limiter à genre musical : “Je sais que l’industrie aime bien te mettre une étiquette, mais je préfère chanter en anglais, en français, et me laisser aller aux rythmes qui m’inspirent.” Alors dans No Curfew, la chanteuse de 28 ans verse dans le reggaeton, l’indie rock et le R’n’B : un savant mélange qui finit par réunir la pop baroque de Lana Del Rey avec les morceaux nébuleux de Melanie Martinez, créant un recueil caressant en forme d’hommage à une féminité assumée… et théâtrale.
No Curfew (2021) de Bergmann, disponible.