1 avr 2021

Qui est Alewya, la musicienne londonienne aux allures de gourou ?

Alors qu’elle commence à composer par hasard sur Garage Band en 2015, la chanteuse londonienne, à la croisée du grunge et de la soul, séduit par son approche organique de la musique. Après son sensuel titre Sweating (2020), streamé plus de quatre millions de fois, elle révèle une live-session tout aussi envoûtante avec le batteur Moses Boyd, prémices d’un EP dont la sortie est prévue dans l’année. Portrait.

The Code – Behind the scenes / Courtesy Because Music

À 14h02, quand Alewya se connecte sur zoom, elle n’active pas sa caméra. Seule sa voix, doucement rauque, étrangement caressante, s’échappe de l’ordinateur. Très vite, le ton familier et spirituel de la chanteuse rassure, comme si on avait invoqué une vieille âme. Intimement liée à ses ancêtres, la chanteuse de 25 ans place la spiritualité au cœur de sa musique, mais pas seulement. “Quel que soit le sujet dont je parle, cela vient toujours de cet endroit” confie-t-elle. Son père, Egyptien, réveille la famille au son des versets du Coran ; sa mère, Ethiopienne, écoute d’antiques chants religieux de son pays. Si Alewya n’a jamais été quittée par la profondeur mystique de ses premiers contacts avec la musique, elle s’aventure dans ce que l’industrie propose aux enfants londoniens des années 90. Au lycée, son goût ce précise, entre le grunge, le rock alternatif, et groupe Nirvana, dont elle devient une grande admiratrice. “Tout sauf de la pop, sourit-elle. J’ai besoin de ressentir ce que la personne veut dire, savoir qu’elle n’a pas pensé à l’aspect commercial

Logo d’Alewya, une figure inspirée de la déesse égyptienne « Isis ». La chanteuse s’est tatouée le dessin sur la poitrine, et le perçoit comme une ancre spirituelle.

Même si son lien privilégié avec la musique demeure, Alewya n’y vient pas tout de suite. Fascinée par les mathématiques et la philosophie: “Certaines tribus ne comptent que jusqu’à cinq. Après ça, ils considèrent juste que c’est “beaucoup”. Tu imagines comment la perception du monde change ? C’est philosophique”, elle ne va pas à l’université, qui selon elle “extrait l’amour de tout” noyant la beauté de l’algèbre dans des problématiques concrètes, comme la finance, qu’elle abhorre. Alors, pour se faire un peu d’argent, Alewya devient mannequin… puis se fait repérer par Cara Delevingne. Mais elle comprend, en moins d’un an, que ce milieu n’est pas fait pour elle. Alewya est une artiste, une vraie, dépassée par son besoin de créer. Alors elle peint, elle dessine, noircit son cahier de personnages captivants et mystérieux, semblant tout droit sortis du bas-relief d’une pyramide. Un jour, elle décide d’en faire un petit film d’animation, et veut l’accompagner de musique. “J’ai essayé de superposer la musique de quelqu’un d’autre, mais ça ne marchait pas.” Alors, son petit-ami de l’époque lui suggère de créer son propre morceau sur Garage Band. “J’ai commencé par créer des rythmes très simples, puis je suis devenue addict. C’est comme ça que ça a commencé, et maintenant nous sommes là.” sourit-elle.

 

Groove, grunge, ou soul, Alewya ne s’enferme pas dans un genre ; lorsqu’on lui demande à qui sa musique s’adresse, elle répond, comme un sage s’adressant à son disciple : “A qui y est ouvert. Mais plus spécialement, j’aimerais atteindre les gens qui se sont perdus eux-mêmes et qui se cherchent”. Car sa musique ressemble à une prière, ou une incantation. Difficile de la quitter des yeux, elle qui apparait comme un corps accueillant les vibrations de l’instant pour les retranscrire en musique. “Pour tout ce qui va autour [de la musique pure], je dois me forcer. Au fond, je suis juste là pour venir, déverser ma musique et, juste, genre, partir.”, rit-elle.

Pour Alewya, la musique est d’abord une affaire d’instinct. Lorsqu’elle contacte Moses Boyd et lui fait part de son projet de commencer une série de live-sessions improvisées, ils se rendent tout de suite au studio. Ce jour-là, Alewya a ses règles, et n’a aucune envie d’être là… pourtant, “en cinq minutes”, le morceau The Code était né, et alors qu’elle entame les deux accords brisés de l’intro à la guitare, elle se met à chanter, semblant invoquer la déesse de la fertilité : “Womb is heavy i’m bleeding / Womb is heavy i’m bleeding”(Mes entrailles sont lourdes je saigne), accrochée à sa bouillotte. A propos de son premier succès, Sweating, un titre aux airs de rite tribal hypnotique et sensuel, elle raconte “Au moment d’écrire cette chanson, je me sentais pleine d’énergie sexuelle, je me sentais puissante, explique-t-elle.Tu peux être sûre que ce dont je parle dans un morceau, c’est ce que je vivais au moment où je l’ai créé” Aucun sujet, dès lors, ne sera tabou pour la musicienne : “Je suis humaine, donc je pourrais parler de tout ce qu’un humain expérimente, dit-elle, même si j’essaierai de rester loin de la politique, du matérialisme ou de l’argent.

 

Si l’on imagine Alewya transformer n’importe quel ressenti en un morceau envoûtant, les possibilités sont infinies. “L’improvisation est mon terrain de prédilection, confie-t-elle. Je n’aime pas les chansons structurées. Je préfère mettre un beat pendant dix minutes et me laisser porter dans un autre monde” Chaque représentation sur scène pourrait être unique, dépendante de son humeur… Alors que sa notoriété éclot doucement durant la pandémie, Alewya n’a pas encore goûté au plaisir de la scène, et pourtant, elle le sent au plus profond d’elle, c’est là que réside sa vocation : “Je sais que c’est ce que je veux faire, c’est pour ça que je fais de la musique. J’ai trop hâte, on va tous planer ! »