Quand Pharrell Williams et Juliette Armanet pleuraient le chat de Sophie Calle
Jusqu’au 7 janvier 2024, Sophie Calle s’installe au musée Picasso, à Paris, pour une exposition fascinante intitulée À toi de faire, ma mignonne. L’occasion de revenir sur un moment phare de la carrière d’une artiste contemporaine connue pour son exploration du thème de l’intime. Le jour où, en 2018, Sophie Calle a réuni des musiciens et chanteurs prestigieux sur une compilation intitulée Souris Calle. Un bel hommage à son chat Souris, décédé en 2014.
par La rédaction.
et Violaine Schütz.
En 2018, l’artiste contemporaine française Sophie Calle, habituée aux audaces, parvenait à surprendre ses fans. Connue pour avoir fait de sa propre personne la matière même de son art, Sophie Calle allait encore plus loin en offrant à son chat une messe de requiem digne d’une véritable star… La spécialiste de l’exploration de l’intime s’aventurait là sur un nouveau terrain plutôt novateur puisqu’elle produisait, pour la première fois, une œuvre sonore de grande ampleur.
La plasticienne fantasque était en effet à l’origine d’une compilation de titres composés par une quarantaine de musiciens et chanteurs intitulé Souris Calle. Un projet fou pensé pour saluer la mémoire de son chat appelé Souris, mort en 2014, tel un éloge funèbre tardif. L’année de la disparition de son compagnon à poils, offert par un amant en 1996, Sophie Calle écrivait, déprimée : « Dix-sept années de nuits tous les deux enlacés, sans jamais fermer la porte de ma chambre pour qu’il puisse me rendre visite quand il le souhaitait, ont pris fin. »
Souris, cet être aimé noir et blanc, avait été reçu dans une cage à oiseau et sa démarche ressemblait à celle de John Wayne selon sa maîtresse. Il a partagé sa vie pendant dix-sept ans et était le seul animal vivant parmi les autres animaux empaillés collectionnés par Sophie Calle.
Un album dédié au chat de Sophie Calle, avec des chansons de Pharrell Williams, Juliette Armanet et Lou Doillon
Autour de la tombe de Souris, Sophie Calle convoquait sur Souris Calle quelques grands noms de la scène musicale, dont certains seraient des amis : Pharrell Williams, Juliette Armanet, Jean-Michel Jarre, Bono, Christophe, Brigitte, Jarvis Cocker (Pulp), Laurie Anderson, The National, Michael Stipe (R.E.M.), Benjamin Biolay et l’actrice Lou Doillon, entre autres. Sur des mélodies électro, pop, rock, rap, ou indie folk, cette pléiade de célébrités livraient des productions originales, courtes et efficaces, souvent teintées d’humour.
Sur l’album (que l’on peut écouter sur Spotify), le compositeur de musique électronique Jean-Michel Jarre, qui peut se prévaloir d’avoir trouvé l’ingénieux titre de l’album, lance quelques « Souris Calle » sur une bande-son mystérieuse et haletante. Bono, le chanteur du groupe U2, ouvre le bal avec Message to Souris, un message poétique de 30 secondes accompagné d’un grondement rock. Sentimental et décalé, le titre Cool Cat (une reprise de Queen) de Juliette Armanet égrène, lui, un « T’étais mon Cool Cat. On s’aimait comme chien et chat », tandis que Lou Doillon fait référence au lien maternel avec le titre Womb (« utérus »). Pharrell Williams, quant-à lui, livre une chanson sobrement intitulée Cat Named Mouse.
Sophie Calle exposée au musée Picasso à Paris
Le projet musical Souris Calle de Sophie Calle, allait de pair avec l’exposition de photos “Parce que”, qui, s’interrogeait sur les rapports entre le texte et l’image à la Galerie Perrotin d’octobre à décembre 2018. Dans une autre salle, en même temps que cette première exposition, le vidéo-clip de Souris Calle était projeté et Sophie Calle y racontait les années de vie commune avec ce “conjoint” à part entière. La compilation musicale était présentée de façon sonore dans l’espace de la galerie, mais aussi par trois disques 33-tours accrochés au mur (le vinyle est d’ailleurs sorti en 2018 en édition limitée à 1000 exemplaires). Ce n’était pas la première fois que l’artiste se livrait à un exercice aussi original lié au deuil de l’être cher. Cette figure emblématique de l’art contemporain avait déjà exorcisé la souffrance de la rupture amoureuse à travers deux œuvres. Dans Douleur exquise, en 1984, elle évoquait sa peine de cœur à travers un ouvrage sous forme de diptyque, puis interrogeait une trentaine de personnes sur le jour où ils ont le plus souffert. Dans Prenez soin de vous, en 2007, elle demandait cette fois-ci à une centaine de femmes (actrices, anthropologue…) de réinterpréter une lettre de rupture dont les derniers mots « Prenez soin de vous » l’avaient profondément marquée.
Et cette mise en scène de l’intime continue d’hanter son univers. Jusqu’au 7 janvier 2024, Sophie Calle s’installe au musée Picasso à Paris pour une exposition fascinante intitulée À toi de faire, ma mignonne. Si l’événement s’inscrit au sein de la célébration du cinquantième anniversaire de la mort de Picasso, il revêt tout de même un aspect intime pour l’artiste française, puisqu’elle investit les lieux de son regard et de ses souvenirs. « Premier rendez-vous et proposition d’investir le musée Picasso en 2023, explique Sophie Calle sur les murs de l’exposition, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de l’artiste. Sans LUI, si je préfère. Les mots de ma mère se frayent un chemin, le syndrome d’imposture dans leur sillage. Lors d’un vernissage au musée d’Art moderne, à New York, découvrant mes œuvres entre celles de Hopper et de Magritte, elle s’était exclamée : « Tu les as bien eus ! » Cette fois, je l’imagine chuchoter : « Pourquoi toi ? ». »
Exposition “À toi de faire, ma mignonne” de Sophie Calle, jusqu’au 7 janvier 2024 au musée Picasso, Paris 3e.