De Björk à Neil Young, pourquoi la plateforme Spotify fait-elle polémique ?
De l’artiste islandaise Björk au musicien folk-rock culte Neil Young, bien des voix s’élèvent contre Spotify, la plateforme de streaming musicale la plus utilisée en 2023 avec plus de 200 millions d’utilisateurs. Entre fausses informations sur le Covid-19 et morceaux produits par l’intelligence artificielle, le service de musique numérique continue de faire polémique… Explications.
par Violaine Schütz.
et Jordan Bako.
Spotify, “l’une des pires choses arrivées aux musiciens” selon Björk
Avec plus de 200 millions d’utilisateurs mondiaux en 2023 – soit le double de concurrents tels qu’Apple Music ou YouTube Music – la force de Spotify dans le secteur des plateformes de streaming est incontestable. Si l’application Spotify est adoubée par ses utilisateurs, la relation que le service entretient avec les musiciens est plus houleuse.
Ce 24 janvier 2024, la chanteuse islandaise Björk a dévoilé Cornucopia sur Apple TV+, un film-concert retraçant sa tournée homonyme qui l’a occupée de 2019 à 2023. La veille, la chanteuse s’est entretenue avec une journaliste du média suédois Dagens Nyeheter, dans le cadre de la tournée médiatique autour de ce long-métrage musical.
Elle avoue alors : “Spotify était probablement l’une des pires choses arrivées aux musiciens. La culture du streaming a changé toute une société et toute une génération d’artistes.” Ce n’est pas la première fois que l’artiste manifeste son agacement à l’égard de la plateforme. En 2015, Björk faisait le choix de sortir son album Vulnicura en juillet sur Spotify, soit six mois après sa parution sur les autres plateformes de streaming…
Des playlists composées d’artistes… qui n’existent pas ?
Mais pourquoi est-ce que Spotify est autant critiqué ? Réponse avec la journaliste américaine Liz Pelly, autrice du livre Mood Machine: The Rise of Spotify and the Costs of the Perfect Playlist. Dans une enquête publiée sur le média américain Harper’s Magazine en décembre 2024, elle affirme que certaines des playlists les plus populaires de l’application seraient composées de chansons écrites par l’intelligence artificielle. En effet, de nombreux morceaux d’ambiance – de type “ambiance jazz”, “lo-fi” et “bossa nova” – seraient publiés par des artistes signés sous des alias et des labels de musique nébuleux.
La journaliste explique que bien que la plateforme ait dénié créer elle-même ces morceaux via l’intelligence artificielle, Spotify aurait conscience que ces chansons ont été élaborées par des programmes. Plus encore, l’application aurait même un intérêt à gagner en faisant la promotion de ces chansons plutôt que d’autres imaginées par des artistes bien réels.
Ce mécanisme lui permettrait d’économiser des profits en rémunérant moins ces artistes… L’enquête s’achève sur un constat effarant : bien des auditeurs de ces playlists ne seraient pas en mesure de faire la distinction entre un morceau composé par un être humain et un autre écrit par l’intelligence artificielle…
La guerre entre Spotify et Neil Young
La controverse autour de Spotify n’est cependant pas récente. Le chanteur américano-canadien Neil Young a exigé en 2022, dans une lettre adressée à son manager et à son label, que Spotify retire sa musique de son catalogue. « Ils peuvent avoir Rogan ou Young. Pas les deux », expliquait l’icône du rock. L’auteur du sublime Harvest (1972) reprochait au géant du streaming d’héberger un podcast à succès animé par l’ex-commentateur sportif Joe Rogan. Dans cette émission intitulée The Joe Rogan Experience que la plateforme s’est offerte pour 100 millions de dollars en 2020 et dont chaque épisode est suivi par plus de 11 millions d’auditeurs, Joe Rogan tient souvent des propos que ne renieraient pas les soutiens réactionnaires de l’idéologie Trump.
L’animateur controversé Joe Rogan a aussi souvent donné la parole à des invités opposés au vaccin contre le Covid-19 ou diffusant des fake news sur le virus à tel point qu’en 2022, plus de deux cents professionnels du secteur médical américain qualifiaient The Joe Rogan Experience de « menace contre la santé publique. » Un avis partagé par Neil Young, pour qui Spotify est devenu « un lieu de désinformation potentiellement mortelle sur le Covid-19 » ou encore un espace où « des mensonges sont vendus contre de l’argent. »
Une controverse relayée par Joni Mitchell et Meghan Markle
Dans la foulée de ces propos véhéments, le chanteur retira, il y a deux ans, toute sa discographie de Spotify. Un acte fort qui a été suivi par Joni Mitchell, qui a supprimé son catalogue de la plateforme peu après lui. De son côté, James Blunt a soutenu, dans un tweet plein d’humour, la décision de ces artistes de ne plus figurer parmi ceux proposés par le géant suédois.
Et Meghan Markle et le prince Harry, en contrat avec Spotify pour une série de podcasts, ont eux aussi fait part de leurs inquiétudes quant à la présence de fake news sur la plateforme. Les auditeurs boycottaient alors le leader du streaming en déclarant, toujours sur Twitter (devenu X) et en utilisant les hashtags #SpotifyDeleted et #DeleteSpotify, avoir désinstallé le service.
Face au déferlement de critiques, Spotify a choisi de conserver Joe Rogan sur son antenne. Mais le PDG et fondateur du numéro un du streaming, Daniel Ek, a déclaré en 2022 qu’il allait prendre d’autres mesures. Les podcasts évoquant le Covid devaient être accompagnés de liens vers des informations scientifiquement sourcées. Il admettait en effet, dans un communiqué : « Sur la base des retours que nous avons depuis ces dernières semaines, il est devenu clair pour moi que nous avions une obligation de faire plus pour fournir de l’équilibre et donner accès à une information largement acceptée des communautés médicales et scientifiques. » Sauf que l’épisode est loin d’être clos. Spotify fait partie des plateformes taxées de ne pas rémunérer suffisamment les artistes. Et ce n’est pas la vindicte d’artistes influents qui va aider à calmer les ardeurs.
Le retour de Neil Young sur le service de streaming
En mars 2024, Neil Young annonce sur son site revenir en arrière concernant Spotify. Même s’il déplore la qualité du son sur la plateforme, il a déclaré le 12 mars 2024 : « Ma musique sera de nouveau présente sur Spotify, la première plateforme de streaming de musique en basse résolution au monde, où la qualité n’est pas la priorité. » Ce revirement est motivé par le fait que « des plateformes comme Apple Music ou Amazon Music proposent désormais le même genre de podcasts qui font de la désinformation. »
Toujours en mars 2024, le géant du streaming Spotify s’est attiré les foudres des auditeurs. En effet, la plateforme a annoncé que les abonnés à Spotify Premium en France devraient payer plus cher leurs abonnements en raison de coûts supplémentaires imposés par la taxe streaming mise en place par le gouvernement. Le 13 mars 2024, Spotify annonçait également qu’il diffuserait des vidéos à ses abonnés Premium. Cela suffira-t-il à calmer les ardeurs ?