Oxmo Puccino : “L’oseille a tué le rap”
Sorti en septembre dernier, le septième opus du rappeur Oxmo Puccino, “La nuit du réveil”, a été sacré meilleur album de musique urbaine par la SACEM. Après 20 ans de carrière, le poète est toujours au top. Rencontre avec l’un des pionniers du rap français.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
1. Souvenirs de l’âge d’or du rap français
Au dernier étage de la Brasserie Barbès, les haut-parleurs sont tous éteints. Pourtant, l’élocution d’Oxmo Puccino est inconsciemment musicale. Le rappeur baryton ponctue ses phrases d’un sourire amusé et distribue des assertions d’une voix lourde, comme si un métronome invisible lui indiquait la pulsation à suivre. Il détestera sûrement l’image. Dans le rap, la comparaison est la ressource favorite du paresseux : “C’est Hill G des X-Men qui a inventé ça. Le superlatif. ‘Je fais comme’, ‘je vis comme si’… J’ai banni cela de mon écriture au profit de meilleures formules. Beaucoup de rappeurs s’en contentent. Il n’ont ni thématique, ni construction, ni développement.” Le constat est rude. Mais le quadragénaire sait de quoi il parle. Il a connu l’époque du rap confidentiel qui ne rigolait pas. Un rap de proximité dur, avec une image féroce et un public impitoyable. Un rap qui grave à l’Opinel un statut social sur les fronts : “Aujourd’hui les rappeurs sont des chanteurs de variété ou aspirent à le devenir. C’est la tendance et ça fait vendre davantage. Depuis que tout le monde a le droit d’en faire, les gens se sont détendus et ont accepté l’humour.”
2. Les compositions d’Oxmo, de l’intuition à la conviction
Oxmo est tombé dans le rap par accident. En 1997, il sort Mama Lova avec le DJ Kheops. Le morceau fait l’effet d’une bombe et annonce le chef-d’œuvre Opéra Puccino, un album culte qui lui colle encore à la peau sept disques plus tard : “Opéra Puccino est sorti juste avant une période de disette dans le rap. À deux ans près, on ne m’en aurait jamais parlé. Les gens attendaient des histoires de quartier mais j’ai proposé autre chose. Après 1998, on a plongé peu à peu dans le rap hardcore. C’était l’ère du fantasme, tout était moins fort qu’à l’âge d’or. Les gens ont grandi comme ça, avec beaucoup d’amertume.”
Désormais, Abdoulaye Diarra est une véritable référence. Un comble pour celui qui chantait déjà ses refrains lorsque c’était encore mal vu. On se souvient de Peur Noire [1998] et du titre Le laid [L’amour est mort, 2001], qui ironise sur le pouvoir de l’argent, petite monnaie ridicule devenue série de chiffres absurde sur Western Union : “Avant il y avait des groupes presque bénévoles comme Assassin. Puis les premiers disques d’or sont arrivés et avec eux, un changement dans la façon de rapper. L’oseille qui était en jeu a complètement tué le truc.” Raconter la genèse de chacun de ses morceaux prendrait des semaines, on se contentera d’une seule anecdote : “Je suis descendu dans le Sud pour un concert. Évidemment, j’étais habillé en conséquence : un short et une chemise légère. Mais il faisait froid et gris. J’ai levé la tête et j’ai balancé : ‘Putain mais je suis pas venu ici pour me taper un soleil du nord.’ J’ai écrit le texte sur le chemin du retour.” Le titre Soleil du Nord figure sur l’album L’Arme de Paix [2009].
3. Le règne des haters et le sens du détail
Autrefois, Oxmo pistait les haters avec la ferme intention de leur casser la gueule. Chose qu’il ne fera finalement jamais, il a fini par avoir de la peine pour ces “pauvres types”. Aujourd’hui, ce fan de jeux vidéo n’a pas renié son côté geek et reconnaît que les temps ont changé : “Il est difficile d’affirmer ses goûts. Dire du mal d’un artiste apprécié de tous nous met presque en danger. Et inversement. Comme quand Romain Gavras avait sorti Stress [un clip du duo Justice sorti en 2008] et que tout le monde lui est tombé dessus. J’ai trouvé cela dommage.”
Dans son nouvel album, La nuit du réveil, sacré meilleur album de musique urbaine par la SACEM, l’artiste de 45 ans né à Ségou (Mali) propose des textes plus concis, plus secs, plus faciles à mémoriser. Un moyen de s’adapter à la paresse intellectuelle de l’époque ? Oxmo ne nie pas : “Je me suis adapté au formatage de l’époque. Un processus qui ne mène pas vers l’effort intellectuel. J’utilise moins de mots pour défendre la même chose, avec la même puissance.” Paradoxalement, il n’abandonne pas son sens du détail : “Nietzsche disait que le diable réside dans le détail. Le détail renferme à la fois le charme et les défauts. Dans un immeuble, c’est en scrutant les murs avec attention que vous saurez si les travaux sont terminés. Un morceau n’est pas pensé au hasard, il a une architecture bien précise.” Voilà pour les textes. Il faut s’adapter sans se dénaturer. Les productions musicales, quant à elles, sont plus électronique et suivent la tendance acoustique du moment. Oxmo ne nie pas non plus : son disque n’est qu’un témoin de passage intemporel, un ticket d’or pour la scène, là ou se déroule le vrai spectacle.
La nuit du réveil [Believe Digital], d’Oxmo Puccino, disponible.