Art, design et musique : comment Vans repense sa stratégie culturelle ?
Justice, Kaytranada, King Krule, Vegyn ou encore Björk… La marque californienne Vans opère une mutation ambitieuse à grand renfort de concerts pointus et d’installation artistiques spectaculaires. Design immersif, line-up visionnaire, chaussures conceptuelles : à Milan, la marque s’affirme encore une fois comme un acteur culturel transversal. Décryptage.
Par Alexis Thibault.
Publié le 21 avril 2025. Modifié le 23 avril 2025.
À Milan, Willo Perron et Tim Hacker imaginent l’architecture du son pour OTW by Vans
Il est de ceux dont la signature est de ne jamais signer… Willo Perron, designer de l’ombre et metteur en scène des plus grandes icônes contemporaines — des scénographies de Jay-Z à celles de Rihanna — a même décroché un Grammy Award pour son travail sur l’album Masseducation (2017) de la compositrice américaine St. Vincent. Juste ce qu’il faut pour que le résultat soit “iconique”, si l’on reprend ses propres termes.
Pour OTW by Vans, la collection avant-gardistes de la griffe californienne, il a imaginé Checkered Future: Frequency Manifest, une installation immersive présentée à l’occasion du Salone del Mobile 2025. En toile de fond, une partition originale du Canadien Tim Hecker, compositeur reconnu pour son approche expérimentale de la musique électronique, mêlant ambient, noise et drone music. Son travail explore les notions de saturation, de dissonance et de spatialisation du son, souvent à la frontière entre musique contemporaine et art sonore.
À l’intérieur de l’œuvre, l’espace se dilate puis s’écrase. Le plafond de verre descend au niveau du sol, avant de s’évader dans les hauteurs. La lumière émerge d’en bas, de mystérieux faisceaux, jamais en source directe. Et 84 miroirs d’environ un mètre carré redéfinissent les perspectives. L’expérience, à vivre à moitié allongé en plein cœur du monstre de métal, se découvre comme une hallucination — ou un cauchemar : on explore une cathédrale saturée de fréquences, baignée de fumée, entre sublime inquiétude et douceur absurde.
Une installation exceptionnelle qui fait l’unanimité
“Je me suis posé une question simple : à quoi ressemble le son ? En tout cas, à quoi ressemblerait-il pour un architecte ?” confie Willo Perron. Fils de musicien, le designer compose ses espaces comme des partitions émotionnelles. Une dramaturgie de textures, où la lumière devient narration. Cette collaboration avec Tim Hecker ne se limite pas à l’illustration sonore. Elle structure l’espace. Des basses fréquences oppressantes aux ouvertures aériennes et lumineuses, tout fonctionne en va-et-vient : “C’est grotesque, sexy, riche, beau et laid à la fois.”
Après tant d’années passées à collaborer avec les plus grandes célébrités, comment Willo Perron, proche collaborateur de la maison Chanel, en est-il arrivé là et, surtout, comment parvient-il à s’effacer devant chaque demande rocambolesque ? “Il est impossible de travailler de la même façon avec Beyoncé et ses 300 danseurs et avec Florence and the Machine dont les performances versent davantage dans l’émotion, glisse-t-il sourire aux lèvres. Il serait complètement hors de propos d’installer un écran géant sur scène derrière Florence, par exemple. En architecture, on ne construit pas le même bâtiment dans différentes villes… car cela ne fonctionne pas. Le public n’aura pas la même perspective.”
À Milan, OTW by Vans réunit Björk et Vegyn
De l’intérieur contemplatif à l’extérieur cérémoniel, Vans poursuit la démonstration. Le balcon monumental de la Triennale se transforme en autel : au centre, une scène miroitante, quadrillée d’un damier géant, accueille une performance inédite. La reine islandaise Björk, rare et mystique, marque un jalon. On notera près d’une trentaine de pépites inconnues entre rock indé islandais et musique électronique perse. À ses côtés, le producteur britannique Vegyn — collaborateur de Frank Ocean et figure de l’électronica lo-fi — compose un contrepoint plus terrestre, plus tactile. Les beats texturés rencontrent la voix extraterrestre. C’est une union quasi liturgique dans un décor de science-fiction. Plus tard, la jeune musicienne milanaise Evissimax prend à son tour possession l’espace.
La scénographie oscillera entre rituel ancestral et futurisme algorithmique. Près de 4000 chanceux assisteront au concert. Vans ne fait pas que sponsoriser un événement : la marque chorégraphie un récit et convoque des artistes qui, à l’instar de Willo Perron, assoient son dessein transdisciplinaire.
King Krule, Justice et Kaytranada donnaient le tempo
Un an plus tôt, à Paris, c’est un duo déjà légendaire — Justice — qui entrait en scène, épaulé par le musicien canado-haïtien Kaytranada. Ce concert organisé par Vans en 2024 sous un coucher de soleil écarlate, à Montmartre, avait alors confirmé la volonté de la marque Vans d’inscrire son action au cœur des cultures musicales. Et lors de la fashion week de Paris, en 2023, c’est un certain King Krule, brillant rockeur écorché, qui avait été invité par la griffe américaine.
Plus qu’un orchestre, il s’agit une déclaration d’intention. Fédérer les contre-cultures tout en leur offrant des scènes à la hauteur de leur radicalité…
Old Skool 36 FM : manifeste en forme de semelle gaufrée
C’est dans ce contexte que Vans dévoile aussi sa nouvelle création : la Old Skool 36 FM, première chaussure de la série Future Make de sa ligne OTW by Vans. Une silhouette rétrofuturiste, directement inspirée de Checkered Future: Frequency Manifest et pensée comme une extension de l’installation de Willo Perron.
Le design s’approprie les langages sonores : semelle cupsole multi-élément, bande latérale en TPU injecté 3D, tige en maille technique. On y retrouve l’obsession du détail, la recherche de sens dans la forme. C’est une chaussure qui s’écoute autant qu’elle se regarde. La semelle intérieure (Sola Foam ADC) garantit une sensation haut de gamme, tandis que la construction EVA Strobel promet confort et stabilité — comme si le pied devenait l’unité de mesure du design sensoriel.
De la rampe à la galerie : analyse d’une ascension culturelle signée Vans
Difficile d’imaginer qu’une chaussure conçue pour ne pas glisser sur une planche à roulettes puisse finir au cœur d’une installation à la Triennale de Milan. Et pourtant. Vans, née dans un atelier familial d’Anaheim en 1966, a proposé une pièce tour à tour adoptée par les skateurs, les punks, les kids de banlieue ou les artistes de downtown LA. La marque s’est imposée sans stratégie marketing apparente — mais avec une intuition aiguë : ne jamais trahir les communautés qui l’ont rendue culte.
Là où d’autres ont fait de leur street credibility un argument de vente, Vans a préféré la discrétion. Pas d’emballages conceptuels. Juste une fidélité sincère à ceux qui transforment le bitume en scène. Le soutien aux skateparks, aux tournées de groupes hardcore, aux collectifs DIY — tout cela n’a rien d’un storytelling calculé. C’est une éthique. Presque une ligne de conduite.
OTW by Vans sur le terrain de la création contemporaine
Mais depuis peu, quelque chose a changé. Sans renier ses origines, Vans s’est engagée sur un autre terrain : celui de la création contemporaine. La ligne OTW by Vans, lancée en 2023, cristallise cette nouvelle ambition. Un laboratoire culturel à ciel ouvert. Un espace où l’on expose, performe, fabrique du sens. Moins une collection qu’un manifeste. Ici, les collaborations ne sont pas des coups de pub mais des dialogues. Avec Willo Perron, Tim Hecker, Björk ou Justice, la marque ne s’invite pas dans les hautes sphères créatives. Elle les provoque.
Ce tournant n’est pas un hasard. Il s’inscrit dans une époque où les marques ne peuvent plus se contenter de vendre des produits. Elles doivent proposer une vision. Une esthétique, un territoire émotionnel. Et ça, Vans l’a bien compris… En se positionnant comme une scène à part entière, elle refuse le simple rôle de sponsor et s’impose comme auteur. Mieux : comme curateur.
La Old Skool 36 FM est disponible sur le site officiel de Vans.