12 nov 2025

Olivia Dean, la nouvelle voix entêtante de la soul nommée aux Grammy Awards

La jeune musicienne britannique dévoile The Art of Loving, son deuxième album studio. Un opus intimiste et délicat, entre soul et pop, venant confirmer toutes les promesses de Messy, sorti en 2023 sous les acclamations de la critique. Elle vient de recevoir sa première nomination aux Grammy Awards 2026, dans la catégorie Révélation de l’année (Best New Artist).

  • par Alexis Thibault.

  • Publié le 6 octobre 2025. Modifié le 12 novembre 2025.

    Le grand retour de la chanteuse Olivia Dean

    Comment donner un souffle neuf à la musique old school sans la figer dans le formol, sans verser dans le pastiche, et parvenir à ce fragile décalage ? Il s’agit d’une manière d’être à la fois à la bonne place et légèrement à côté. Tout porte à croire qu’une jeune chanteuse anglaise a percé ce secret d’équilibriste. Olivia Dean se tient avec une grâce sans apprêt, une élégance qui ne cherche pas à séduire mais s’impose presque par évidence. Sa silhouette élancée refuse la pose.

    Ses yeux, larges et attentifs, semblent peser chaque silence avant qu’elle n’ose s’abandonner aux confidences tant attendues de l’interview. Et lorsqu’elle sourit, une lueur éclaire les traits fins de son visage. En fait, il y a chez elle une dissonance désarmante : quelque chose d’espiègle qui ne correspond pas tout à fait à la profondeur qu’elle distille dans ses chansons.

    Olivia Dean – Man I Need (2025).

    The Art of Loving, un deuxième album studio encore plus riche

    Dans The Art of Loving, son deuxième album studio disponible depuis le 26 septembre 2025, la jeune femme de 26 ans semble avoir trouvé ce fragile décalage — cette fine lisière entre tradition soul et exultation pop, empreinte de manières et de tremblements. Elle y développe, avec une délicatesse assumée, une exploration de l’amour dans toutes ses dimensions — romantique, amicale et terriblement intime. Elle est à la bonne place… et légèrement à côté. Le disque ne cherche pas à réinventer les codes de la soul britannique : aux ritournelles attendues, la jeune Anglaise préfère un entrelacs harmonique subtil, tel un jeu de superpositions qui révèle un tissu musical plus riche que la mélodie seule.

    Ici, le rythme respire aussi — parfois syncopé à la manière d’une bossa-nova, parfois d’une effarante simplicité. Mais a-t-on besoin de plus ? Avec le morceau Nice to Each Other (2025), elle fait le pari de la légèreté contrôlée : le groove est délicat, la structure accessible, la voix claire et enveloppante, et les silences calculés portent subtilement le poids des non-dits. Elle vient d’être nommée aux Grammy Awards 2026 dans la catégorie “Révélation de l’année”.

    Olivia Dean – Dive (Live From KOKO) (2023).

    Dans la lignée des grandes voix de la soul

    Ce soin apporté à la composition et à l’écriture n’apparaît pas par hasard. Olivia Dean explique avoir construit cet album dans un lieu unique : un studio aménagé dans une maison à l’est de Londres. “Aucune musique n’y avait encore été composée. On a trouvé une maison et j’y ai vécu pendant huit semaines… Il fallait que je me concentre pour imaginer des récits honnêtes et chaleureux.” Sa musique est désormais plus précise, plus joueuse, plus spontanée.

    Rejetant la fiction, elle construit des chansons ancrées dans le réel, qui résonnent comme des petites tranches de vie. “J’ai parfois l’impression que l’on m’a dérobé ma candeur. J’essaie donc de retrouver mon innocence à travers de nouvelles formes d’art. Le dessin, par exemple. Ma musique parle… de moi. Mon identité et mes histoires personnelles restent le fil conducteur de ce disque.

    Née en 1999 dans l’arrondissement londonien de Haringey, sur fond de métissage culturel — mère jamaïco-guyanaise, père britannique —, Olivia Dean a grandi à Walthamstow, nourrie par le gospel, une certaine solitude douce et les influences de Lauryn Hill, Amy Winehouse, Carole King ou des Supremes. “Je vivais près d’une forêt et d’un grand lac, je pouvais faire du vélo et me balader un peu partout. Disons que j’ai eu une enfance heureuse, même si j’ai longtemps été la seule fille métisse de ma classe… Ce n’est que bien plus tard que je me suis rendu compte que je ne l’avais pas si bien vécu que ça.

    Olivia Dean – So Easy (To Fall in Love) (2025).

    Une révélation propulsée par la chanson OK Love You Bye

    Derrière son assurance se cache encore une fille timide. Cette dualité entre fragilité assumée et maîtrise technique explique peut-être son rayonnement. Chez elle, il y a cette manière de se tenir dans l’espace : ni star flamboyante ni ombre effacée, mais une présence claire, entière, qui semble dire à la fois “me voici” et “voyez par vous-même”. Cette authenticité a d’ailleurs été la clé de son succès. Ex-chanteuse du groupe de drum and bass Rudimental, elle est propulsée seule sur le devant de la scène en 2021 grâce à son titre OK Love You Bye. Dans la foulée, Amazon Music la consacre artiste révélation de l’année, allant jusqu’à développer un plan mondial, personnalisé et à long terme pour accompagner sa carrière, notamment par une mise en avant sur ses playlists et un soutien pour des concerts diffusés en direct.

    Deux ans plus tard, Olivia Dean est sélectionnée pour le BBC Music Introducing Artist of the Year et nommée pour le Mercury Prize grâce à son premier album Messy, qui trace les contours de sa sensibilité musicale, mêlant soul, jazz, pop et touches narratives héritées de ses racines. Elle refuse pourtant d’être enfermée dans une case : “Lorsqu’elles sont paresseuses, les comparaisons m’agacent. En parlant de moi, on évoque toujours Jorja Smith, Celeste ou Joy Crookes… comme si les gens écoutaient la musique avec leurs yeux.

    Olivia Dean – Let Alone The One You Love (2025).

    Un concert à Paris à l’Accor Arena

    Sur scène, Olivia Dean n’a plus rien de l’ombre timide qu’elle évoque parfois en interview. Aux festivals Glastonbury ou Lollapalooza, elle impose une présence magnétique, une voix qui semble dialoguer directement avec le public sans jamais hausser le ton. Chaque chanson devient un échange, une confidence partagée avec la foule. Elle ne cherche pas l’effet spectaculaire, mais l’équilibre : une musique à la fois précise et poreuse. En dehors de la scène et du studio, son image publique s’affirme également. Désormais amie de la maison Chanel, Olivia Dean incarne une élégance qui n’est jamais artificielle, mais découle d’une cohérence intime.

    C’est aussi un glamour stratégique devenu indispensable dans l’industrie : une artiste qui rayonne sans fard mais dont les déplacements intéressent enfin les paparazzi. Jusque-là épargnée par les remous de la célébrité, elle a récemment vu son nom mêlé à une rumeur sentimentale avec Harry Styles. Loin d’alimenter le vacarme, la chanteuse a calmement démenti, rappelant qu’elle n’a “pas besoin d’être en couple pour exister”. Une réponse désarmante qui confirme ce que l’on savait déjà d’elle. Dans une époque avide de ragots et de scandales, sa lucidité et sa retenue dessinent une autre forme de force : celle d’un art qui ne se nourrit pas du bruit, mais du silence volontaire.

    Et c’est cette femme-là qui revient en France pour présenter The Art of Loving dans le cadre de sa tournée internationale, à l’Accor Arena de Paris, le 17 juin 2026. Passée par les clubs confidentiels de 70 places, elle s’attaque désormais aux plus grandes salles et donne visiblement un souffle neuf à la musique old school.

    Olivia Dean – A Couple Minutes (2025)

    L’interview de la chanteuse Olivia Dean

    Numéro : Lorsque vous étiez adolescente, quelle vue aviez-vous depuis la fenêtre de votre chambre ?
    Olivia Dean : Je ne m’attendais pas à cette question… Je n’ai pas grandi dans le centre de Londres mais dans les environs de l’East London. Je vivais près de la forêt et d’un grand lac, je pouvais faire du vélo et me balader un peu partout. Disons que j’ai eu une enfance heureuse même si j’ai longtemps été la seule fille métisse de ma classe… Ce n’est que bien plus tard que je me suis rendu compte que je ne l’avais pas si bien vécu que ça. En fait, je vais bientôt retourner là-bas. J’ai vécu dans le sud de Londres au cours des cinq ou six dernières années, mais je ressens le besoin de retrouver ma famille.

    Et quels conseils donneriez-vous à l’Olivia Dean de 16 ans ?
    Je lui dirais de ne jamais hésiter à faire les choses qu’elle aime vraiment. De commencer le yoga beaucoup plus tôt. Et d’arrêter de se lisser les cheveux parce qu’elle risque de vraiment les abimer !

    “J’ai parfois l’impression que l’on m’a dérobé ma candeur. J’essaie de retrouver mon innocence à travers de nouvelles formes d’art.” Olivia Dean

    Est-ce que certaines questions de journaliste vous agacent ?
    Ça arrive oui : “Qui est votre artiste favori ?” ou “Quelles sont vos influences ?” par exemple. Je comprends bien que ce sont des questions importantes, mais j’y ai déjà répondu des centaines de fois. On me demande aussi si je souhaite suivre les traces de ma mère qui a eu des responsabilités politiques… Et bien non, je veux juste être chanteuse. [Rires.]

    Olivia Dean – Slowly (2021).

    “Si je n’avais pas été musicienne j’aurais voulu être professeure d’anglais, promeneuse de chiens ou fleuriste.” Olivia Dean

    Êtes-vous inquiète à l’idée que vos compositions finissent un jour par tourner en rond ?
    Pas vraiment. En intitulant cet album Messy [Désordonné], je souhaitais justement explorer différents genres musicaux. Mon prochain disque pourrait tout aussi bien être une suite de morceaux disco que des titres en guitare-voix. En fait, je crois surtout que j’ai peur qu’un jour, je ne m’amuse plus. Que je ne ressente plus rien lorsque je chante… Il arrive parfois que des artistes se perdent un peu et que leur passion pour la composition se désagrège. Comme un rupture amoureuse. Avant de signer dans un label, je me contentais d’écrire des chansons chez moi, par pur plaisir, sans imaginer que des gens seraient susceptibles de les écouter.

    Et aujourd’hui ?
    J’ai toujours cette petite voix au fond de ma tête qui me répète qu’il va être diffusé, partagé et écouté. J’ai parfois l’impression que l’on m’a dérobé ma candeur. J’essaie donc de retrouver mon innocence à travers de nouvelles formes d’art. Le dessin par exemple. Il est très amusant de ne s’intéresser qu’au processus de création plutôt qu’au résultat final. En musique, je ne peux plus vraiment faire ça. Mais rassurez-vous, je ne suis pas du tout en train de me plaindre !

    Pourtant ce n’est pas un dessin mais une photographie qui apparaît sur la pochette de votre premier album. Un portrait de vous.
    Vous me demandez poliment pourquoi j’ai voulu mettre ma grosse tête sur la pochette c’est ça ? [Rires.] Ma musique parle… de moi. Mon identité et mes histoires personnelles restent le fil conducteur de ce premier disque. Peut-être que mes arrière-arrière-petits-enfants sauront ce que je ressentais lorsque je n’avais que 23 ans. Donc une photo de moi, à 23 ans, était suffisante. Rien d’abstrait. Et puis… je crois que j’aime bien cette photo aussi. [Rires.]

    Olivia Dean – Time (2024).

    Quelles images vous viennent en tête lorsque vous composez ?
    J’adore le cinéma et la photographie mais c’est plutôt quelque chose que je relie à la musique a posteriori. Disons que je me raccroche au texte qui m’inspire davantage que les éléments visuels. Peut-être qu’un jour j’écrirai un roman, ou plutôt un recueil de poésie. Figurez-vous que, si je n’avais pas été musicienne j’aurais voulu être professeure d’anglais, promeneuse de chiens ou fleuriste.

    Fleuriste ?
    Souvent la musique peut sembler assez complaisante. Vous êtes derrière un piano à parler de vous et de vos malheurs. C’est un peu moi, ma vie et encore moi. J’aime beaucoup cette profession qui vous permet d’être entourée de belles choses, des fleurs en l’occurrence, et de rencontrer des inconnus pour lesquels vous arrangez des bouquets destinés aux moments les plus importants de leur vie. Et lorsque vous rentrez chez vous le soir, vous n’êtes pas obstinée par vos fleurs. Enfin, je crois. Dans mon esprit, cela ressemble à un travail plutôt paisible.

    Olivia Dean – Nice To Each Other (2025).

    “Je suis une ancienne timide.” Olivia Dean

    Êtes-vous très émotive ?
    Pas vraiment. Disons que je pleure en privé, rarement devant les gens. Je suis une ancienne timide. D’ailleurs, lorsque j’ai annoncé à ma mère que je voulais devenir chanteuse elle m’a rétorqué : “Hein ? Mais tu es ultra timide…” J’ai fini par suivre des cours de chant et j’ai découvert les comédies musicales. Lors de mon premier concert, j’ai dû chanter dos au public parce que je pleurais trop… D’ailleurs, j’ai longtemps préféré chanter les histoires des autres. Rarement les miennes.

    Alors c’est fini, vous n’avez plus peur de rien ?
    Si… Des guêpes et des papillons. [Rires]

    Quelle est la plus belle chanson que vous ayez composée ?
    C’est drôle, je n’y avais jamais vraiment réfléchi. Je crois que c’est Slowly, un morceau que j’ai écrit lorsque je n’avais que 16 ans. Une chanson qui évoque vraiment la vulnérabilité. Quoique, finalement, je crois que je vais changer d’avis : la chanson Carmen est la plus aboutie selon moi. Il n’y a pas si longtemps, je me suis retrouvée dans une drôle de situation…

    Laquelle ?
    J’ai joué avec Raphael Saadiq à Los Angeles. Il avait rendez-vous avec D’Angelo et j’ai eu l’occasion de participer à une petite session musicale en studio, mais j’étais particulièrement nerveuse. Difficile d’être créatif lorsque vous êtes intimidé par un autre artiste. Vous être pétrifié et vous n’osez plus rien dire. Et en studio, sur les dix idées que vous proposerez, neuf seront vraiment mauvaises. Pour autant, il faut bel et bien subir ces petits moments de malaise pour arriver à la très bonne idée qui fera, peut-être, un bon morceau.

    The Art of Loving (2025) d’Olivia Dean, disponible. En concert à l’Accor Arena de Paris le 17 juin 2026.