28 mai 2020

Meryem Aboulouafa : le pari inattendu du label de The Blaze

Avec son premier album sobrement intitulé “Meryem”, la chanteuse marocaine Meryem Aboulouafa présente un projet à contre-courant des tendances actuelles. Une œuvre paisible qui évoque l’aurore comme la nuit noire, une œuvre hybride qui convoque lyrisme ancestral et soubresauts électroniques. Le nouveau pari inattendu – risqué, peut-être – du label Animal63 qui produit notamment The Blaze et Myth Syzer.

Meryem Aboulouafa par Paul Rousteau.

Il est difficile d'être objectif lorsque l'on parle de sa ville natale. Meryem Aboulouafa voit en Casablanca une fourmilière sauvage, profondément vraie, brutale pour certains, où l’on croise tous les goûts et toutes les mentalités. Inconsciemment, elle a tout absorbé de cette cité radieuse à l’ouest du Maroc. Ses images, ses couleurs et son bourdonnement. Comme une éponge. À contre courant des productions contemporaines, son premier album est un projet poétique, exalté, à l’orchestration alanguie. Sobrement intitulé Meryem, cet opus lyrique est une œuvre de contexte qui s’écoute à l’aube de préférence, lorsque les bruits de la ville ne polluent pas encore l’atmosphère. Et il frappe par son hybridité musicale et thématique, entre évocation mythologique et morceau algérien populaire.

 

Seule à la guitare, dans sa chambre de Casablanca, Meryem Aboulouafa donne naissance à ses premières chansons. Elle écrit des poèmes en français et en arabe. Aujourd’hui, la jeune femme enseigne l’architecture d’intérieur mais elle a enfin décidé d’accorder davantage de temps à la musique. Diplômée de l’École Supérieure des Beaux Arts de Casablanca, elle aimerait designer des “objets musicaux” et, pourquoi pas, des instruments. Elle a déjà imaginé quelques prototypes. Il faut savoir que la chanteuse n’a jamais démarché les labels, son histoire musicale est en réalité un bel accident : “Une reprise du morceau Ya Qalbi est tombée dans la boite mail de Manu Barron, le patron du label français Animal63 [The Blaze, Myth Sizer], se souvient-elle, j’ai accepté de signer en France. Pourquoi pas au Maroc ? Je pense qu’il y a trop peu d’alternatives là-bas. Une question de moyens mais peut-être de genres musicaux aussi. En Europe et en Occident de façon générale, on se plaît à explorer les genres, à donner une chance à chaque projet. Ce qui n’est pas forcément le cas au Maroc où les producteurs recherchent l’impact direct, immédiat. Moi, je cherchais à conserver la liberté d’un genre musical indéfini.”

 

Puis elle rencontre plusieurs personnes qui vont fluidifier, polir et parfois transformer les compositions de cet album construit en quatre années consécutives : la Française Keren Ann, “une dame pleine de charme” qui a repensé son processus d’écriture et sélectionné ses titres, le producteur Para One, collaborateur de la cinéaste Céline Sciamma ou encore Maxime Daoud, initiateur du projet musical Ojard. Mais le travail d’équipe n’est, évidemment, pas une mince affaire : “J’appréhendais beaucoup le fait de travailler avec d’autres personnes sur mon propre projet, se souvient Meryem. En tant qu’autodidacte, j’ai passé énormément de temps seule dans ma chambre. ll était donc difficile d’accepter les transformations extérieures, de repenser les partitions de piano, d’injecter des sonorités électroniques… Si j’avais atterri au studio d’enregistrement directement après ma chambre, cela aurait été d’une violence inouïe. Je n’ose pas appeler ça un viol.

Ce premier opus spontané convoque l’esprit de Pink Floyd – l’orchestration quasi-grégorienne d’Atom Heart Mother (1970) –, référence absolue du propre père de Meryem Aboulouafa. Les onze titres en rappellent d’autres sans que l’on parvienne à mettre le doigt sur un nom précis. Un bien pour un mal. Meryem ressemble à la bande originale d’un film que l’on aurait pas encore vu.

– À qui cet album s’adresse-t-il, Meryem?

– C’est un projet introspectif. Je n’avais jamais vraiment réfléchi à cette question…

– Ce que je vous demande est idiot. Peut-être que cet album s’adresse à tout le monde et à personne à la fois…

– J’ai passé tellement de temps à le rendre authentique. Mon ambition première était simple : il fallait avant tout que je l’apprécie. Moi.

 

L’atout principal de Meryem Aboulouafa reste sa voix cristalline au vibrato subtil. D’autant qu’elle est sublimée par une orchestration voluptueuse, parfois épique et grandiloquente. Tout en nuance. Ainsi Meryem parvient à concilier classicisme solennel et modernité électronique (Welcome Back to Me ou The Accident). Ce projet convoque aussi un pays qu’on lui a longtemps caché mais dont elle est immédiatement tombée amoureuse : l’Italie. Le titre Breath of Roma rend indirectement hommage à la Botte et aborde sa culture, son histoire et l’intensité vibrante de son art. Sa source d’inspiration première n’est ni une autre œuvre musicale, ni un long-métrage mais une exposition itinérante interdite en France en 2009: Real Bodies est littéralement une vitrine à cadavres aussi forte qu’intense, souffle la chanteuse. Une exposition bouleversante. Elle m’a inspirée parce que cet album évoque l’exploration de soi à travers l’autre et l’exploration de l’autre à travers soi.”

Produit en 2019, Meryem est forcément contemporain. Pourtant l’opus que la chanteuse présente comme un véritable parcours frappe par son aspect intemporel : “J’ai toujours été attirée par les ballades, quelque chose qui peut-être très banal, très conventionnel, très consommé, parfois has been même si le terme est un peu dur. Je ne suis pas encore assez sensible aux sonorités des années 90 et aux sons très électriques, très électroniques. Certaines fréquences sonores me perturbent un peu. Mais l’intemporalité me plaît beaucoup. Elle conclut sobrement à l’image de son premier album:“J’essaie de recréer les choses telles que je les ressens. La production musicale et les sonorités sont contemporaines mais les sentiments, eux, n’ont pas de temporalité.”

 

Meryem, de Meryem Aboulouafa, [Animal 63], disponible.