23 oct 2025

Les confessions de Maureen, la reine du shatta

La jeune artiste martiniquaise Maureen, catapultée par le succès de son incontournable morceau Tic, poursuit son ascension. La chanteuse de 26 ans, qui est l’une des cheffes de file du shatta, publie ce vendredi 24 octobre 2025 son premier album, le bien nommé Queen. Rencontre.

  • par Alexis Thibault

    et Violaine Schütz.

  • Maureen – Tic (prod by JD) (2020)

    Maureen, l’une des reines du shatta

    Quatre ou cinq minutes suffiraient amplement à la jeune Maureen pour illustrer son incontournable tube Tic (2020) à coups de pinceau sur une toile blanche. On découvrirait alors une œuvre abstraite en vert, en orange et en rouge. Des couleurs qui, selon elle, semblent convenir au shatta.

    Certifié disque d’or, c’est bel et bien le single Tic qui a braqué les projecteurs sur Maureen. Le morceau de la chanteuse s’est retrouvé sans que l’on sache vraiment comment chez Mugler, illustrant les improbables acrobaties de la mannequin star Bella Hadid à l’occasion du défilé printemps-été 2021. Ainsi les néophytes découvrirent le shatta. La chanteuse martiniquaire âgée de 26 ans revisite underground sulfureuse du dancehall jamaïcain qui, depuis quelques années, inonde les soirées branchées de la métropole.

    Impossible pour les noctambules de résister au rythme entêtant de ce genre musical électronique, un peu plus lent que le dancehall, dont les paroles assez élémentaires sont chantées… en créole. Car le shatta provient bel et bien de Martinique, île splendide des Caraïbes et région d’outre-mer française.

    Maureen – Bend Your Back (2025).

    Une session live pour la plateforme Colors

    La mélodie a laissé place à un leitmotiv de basses rondes et grésillantes. Quant aux percussions, elles demeurent assez minimalistes. Bref, peu importe la couleur du tableau de Maureen, le shatta combine parfaitement les deux termes que les linguistes lui accolent : “gangsta” en argot jamaïcain et “pur moment de plaisir” dans le jargon martiniquais. Et il n’a pas fallu longtemps aux artistes antillais pour enrichir cette musique volcanique.

    Car c’est avec un plaisir non dissimulé qu’ils blasphèment à grand renfort de textes crus voire franchement grossiers. Ils évoquent à leur façon les stigmates de la colonisation, mentionnent la violence qui dévore leur quotidien ou fanfaronnent en énumérant leurs coïts les plus ardents.

    Désormais, Maureen a accédé au statut defigure majeure de la scène shatta. Elle est aussi devenue la première artiste martiniquaise à se produire dans le prestigieux programme Colors Studios où elle a interprété son titre Bend Your Back (2025).

    Kalash & Maureen – Laptop (2022).

    La folle ascension de l’artiste

    En février 2024, Maureen défendait Bad Queen, son premier EP de quatre titres aussi caniculaires que son genre de prédilection. Porté par le morceau Pum Fat, déjà disponible, Il survient quelques années après les succès de Flex (2019), Joke (2020) et même une collaboration avec le quinquagénaire Mr. Vegas, véritable star de Kingston.

    Maureen a donc rejoint la communauté du shatta par la grande porte et concurrence son homologue Shannon, Krissy que l’on surnomme déjà “queen”, le collectif APK Family ou la Guadeloupéenne Shanika… Primée lors de la cérémonie Les Flammes en 2023 (aux côtés de son mentor Kalash pour le titre Laptop), nommée aux BET Awards américains qui récompensent principalement des artistes afro-américains, Maureen n’aurait jamais imaginé pareille ascension.

    Maureen – Lass Palé (2025).

    Queen, le premier album réussi de Maureen

    Elle a grandi à Dillon, un quartier de la commune de Fort-de France, en Martinique. Très vite, elle se prend de passion pour les artistes jamaïcains et envisage même de rejoindre ce pays insulaire des Caraïbes pour s’adonner justement à la danse dancehall. Car si elle n’était pas devenue musicienne… Maureen aurait évidemment été chorégraphe. Et même une danseuse d’élite spécialiste d’à peu près tout. Car la jeune femme a beaucoup à extérioriser. Une colère qu’elle se trimballe depuis l’enfance et qui la poursuivra certainement dans cette impitoyable industrie musicale encore phallocrate… 

    Et si l’on reproche au shatta ses paroles vulgaires et ses références sexuelles permanentes, Maureen se rêve pourtant en artiste accomplie, femme d’affaires retorse et mère irréprochable comme l’est aujourd’hui son icône indétrônable… une certaine Rihanna. Maureen ne doit son succès qu’à une seule chose : son perfectionnisme et son travail acharné que beaucoup ne soupçonnent pas. Alors que sortira son tout premier album, Queen, ce vendredi 24 octobre 2025, on a rencontré l’artiste qui chante dessus en français et en créole et oscille entre morceaux dansants et chansons plus calmes.

    Maureen – Daddy (2025).

    L’interview de la chanteuse Maureen

    Numéro : Pourquoi avoir choisi d’appeler votre premier album Queen ?

    Maureen : Le mot “queen” a une signification très précise pour moi, et surtout très importante. J’ose dire que chaque femme est une queen et doit trouver cette couronne en elle. Aujourd’hui, je l’ai trouvée, et je ne baisserai ma tête devant personne. Je ne laisserai personne me dire que je ne suis pas capable de faire quelque chose, ni me faire douter de moi-même en tant que femme, me rabaisser ou me faire douter. Queen incarne des valeurs : puissance, loyauté, confiance en soi, estime de soi, et bien plus encore. Aujourd’hui, je sais qui je suis, ce que je mérite, ce que je vaux, ce que je veux. Je suis en accord avec mes émotions, quelles qu’elles soient, je les accepte. Enfin, Queen, c’est, je dirais, une nouvelle ère : une Maureen bad queen, une queen qui est ressortie plus grande, plus forte, et qui continuera à travailler d’arrache-pied pour atteindre ses objectifs.

    Quelles sont les différences entre une bad queen (le titre de votre EP) et une queen ?

    Personnellement, je suis les deux. Aujourd’hui, j’ai trouvé un parfait équilibre entre mon côté tigresse sauvage et mon côté doux.  J’avais vraiment, mais vraiment, du mal sur certains points. Je peux prendre l’exemple du Yin et du Yang : c’est le parfait équilibre. Donc, il faut être les deux, à mon sens, c’est-à-dire trouver son juste milieu.

    Aujourd’hui, je suis en paix avec mes blessures passées.” Maureen

    Pourriez-vous nous parler un peu de la pochette sur laquelle vous trônez avec une couronne. Quelle est l’histoire derrière cette image ?

    Derrière cette image, il y a tout a une signification, de la tenue aux couleurs choisies. Il faut savoir que chaque couleur a une signification. Pour ma part, j’ai choisi ces teintes qui représentent la détermination, l’énergie, la renaissance, la vitalité, la puissance féminine, mais aussi la pureté, la guérison et la spiritualité. Cela signifie qu’aujourd’hui, je suis en paix avec mes blessures passées. J’ai grandi, j’ai mûri, j’ai cicatrisé, et je m’élève. Cette couronne symbolise le fait qu’à présent, je garderai la tête haute, coûte que coûte. Je m’affirme et j’ai cette indépendance, cette estime de moi-même et cette confiance en moi. J’ai choisi une tenue qui représente mon émancipation et ma force, tout en gardant ma protection et ma résilience face aux épreuves. Ma façon de voir les choses a radicalement changé. Il y a plus de positivité. Cet album incarne cette femme forte et libre, qui a retrouvé sa puissance et qui accepte ses émotions. Cette guerrière qui ne s’arrêtera devant rien, car comme on dit chez moi : “Sa ki taw la riviè pa ka chayé’y.” Cela signifie : Ce que Dieu a prévu et écrit pour toi, quand Il dit oui, personne ne peut dire non.

    Comment définiriez-vous les thèmes de ce disque ?

    Plusieurs thèmes et plusieurs émotions sont abordés, qui représentent parfaitement mon côté bad queen et mon côté queen. On va retrouver de la colère, de la tristesse, de l’amour, de l’amusement… un peu de tout, en fait.

    Si j’ai un message à faire passer aux femmes, c’est de trouver cette couronne en elles car elles le méritent.” Maureen

    Quels sont les messages que vous souhaitez diffuser aux jeunes femmes avec cet album ?

    Honnêtement, je pense que certaines vont se retrouver dans leur côté badass, leur côté sexy et leur côté queen. Et aujourd’hui, si j’ai un message à faire passer aux femmes, c’est de trouver cette couronne en elles car elles le méritent. Elles sont belles, puissantes et fortes. Elles vont réussir. Ne laissez personne vous convaincre du contraire : Dieu est au contrôle. Et même si on ne se connaît pas forcément, ça fait toujours du bien de l’entendre : je suis fière d’elles, et des femmes qu’elles sont et qu’elles vont devenir.

    Musicalement, on entend du shatta sur cet album, mais pas que. Quelles étaient vos envies sonores ?

    Honnêtement, je n’en avais pas spécialement. Tout a été fait en fonction de mon mood, chaque jour de création… J’avais vraiment beaucoup à évacuer. Je me suis surpassée, challengée, mais mon équipe l’a aussi fait et j’en suis très reconnaissante. Reconnaissante d’avoir ces personnes autour de moi, qui me poussent à dépasser mes limites.

    Les femmes doivent toujours en faire davantage pour défendre leur indépendance.” Maureen

    Comment prenez-vous le fait que votre musique rassemble autant les gens ?

    Je n’avais absolument pas conscience de cela. Puis j’ai vu des spectateurs pleurer dans la fosse de mes concerts… en France. D’ordinaire, je suis plutôt du genre à camoufler mes émotions. Mais là, j’ai vraiment été très émue à mon tour. Qui aurait pu croire que le shatta aurait cet effet ? Un soir, une fille m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : “Ta musique m’a sauvée, grâce à toi je me sens bien plus femme.” Parfois, mes chansons laissent sous-entendre que j’ai un réel problème avec les hommes… Peut-être que c’est le cas… Les femmes doivent toujours en faire davantage pour défendre leur indépendance. La plupart sont épuisées par cette injustice. Moi, je n’ai pas besoin d’un homme pour subvenir à mes besoins.

    Il paraît aussi que vous êtes aussi très exigeante avec vous-même…

    Oui… Je crois qu’il faudrait parfois que je lève le pied pour enfin fêter mes victoires. Mais c’est plus fort que moi. Après une courte célébration, je remercie le Seigneur pour cette bénédiction… puis je me remets au travail. C’est sans doute un traumatisme lié à mon enfance. Je sais bien que je me mets beaucoup trop de pression mais, lorsque je veux quelque chose, je me donne les moyens de l’avoir.

    Queen de Maureen, disponible le 24 octobre 2025.