Marie-Flore : des mots crus pour une pop tendre
Représentante d’une nouvelle scène musicale parisienne qui affirme sa maîtrise des contrastes forts, la chanteuse Marie-Flore n’a pas fini de faire parler d’elle. La trentenaire chante cru, avec l’élégance d’une Françoise Hardy déniaisée et badass.
Par Thibaut Wychowanok.
Portraits Raphaël Lugassy.
Sur son nouvel album, Braquage, ring musical où s’affrontent des amours désenchantées, Marie- Flore boxe les mecs à coups de punchlines, d’uppercuts d’amertume ou de désir qui riment jusqu’au K.-O. Ça sonne contemporain : “Pour moi t’es qu’un détail, une pipe de plus que je taille” (dans le titre QCC). Ça sent parfois le moite et l’onanisme : “Seule dans le lit, je déclare l’alarme incendie.” (dans le titre Cambre). Marie-Flore chante cru, avec l’élégance d’une Françoise Hardy déniaisée et badass. Chez la trentenaire, l’amour est physique et prend aux tripes : descente en rappel jusqu’au vertige du point G, amours de passage, connards et plans cul avec ou sans lendemain… Marie-Flore émerge en Georges Bataille de la chanson française là où Juliette Armanet prendrait encore la pose façon Musset. Exit l’exotisme lyrique de l’amour, la Française dessine la cartographie des relations d’aujourd’hui : un asphalte des sentiments. “Je ne cherche pas à être transgressive. Je n’essaie pas d’incarner un personnage. Je retranscris mes états d’âme. Et je parle de cul. On peut être une femme et prendre cette liberté : oser mettre les mots sans tourner autour.”
“Je n’essaie pas d’incarner un personnage. Je retranscris mes états d’âme. Et je parle de cul. On peut être une femme et prendre cette liberté : oser mettre les mots sans tourner autour.”
Chacun des douze titres de l’album Braquage forme une carte postale envoyée des trottoirs des villes, plutôt que de Capri. Cette brutalité sincère et incisive fait mouche comme les coups de tête portés au cœur par sa voix : un chant dense, au phrasé assuré, flirtant de loin avec les rivages du rap, ou s’envolant à l’occasion vers des contrées plus douces. Couleur dominante de l’album, l’électro-pop urbaine n’empêche pas les touches de piano, violon et guitare – jusqu’aux intonations folk du titre final, Bleu Velours. C’est que Marie-Flore a collaboré avec ses amis du groupe pop indé d’Omoh et avec le beatmaker Pierre-Laurent Faure biberonné aux grosses productions américaines : “Je voulais briser un plafond de verre en termes de son”, assure la musicienne. Les nappes de synthé, puissantes et enveloppantes, sont raccord avec le monde artificiel des amours Kleenex. Elles teintent le texte – point fort évident de Marie- Flore – d’une aura synthétique plus proche du béton et du Plexiglas que des fleurs et de la plage. Les sentiments y détonnent d’autant plus. Leurs couleurs deviennent plus éclatantes, par contraste.
Braquage est produit par Antoine Gaillet, aux manettes des épopées électro-synthétiques de M83 et des envolées sentimentales grand public de Julien Doré. Marie-Flore a réalisé un duo avec le musicien sur un ancien titre, Palmiers en hiver. Mais à l’exception du titre Derrick, très Doré, on pense plus volontiers sur ce nouvel album à Christophe, PNL et Sébastien Tellier (L’Amour et la Violence), dans un grand écart de références qui fait que Marie-Flore ne ressemble jamais totalement à autre chose qu’à elle-même. Le titre Presqu’île déploie ainsi une étonnante nuit urbaine. Ses sonorités obsessionnelles de film d’horreur pourraient tout aussi bien être un remake de la BO d’Halloween, le film culte de John Carpenter.
Marie-Flore n’a pas toujours fait de la pop urbaine en français. On l’a connue les cheveux plus longs, chantant en anglais des mélodies folk, sur un premier album. “Des morceaux qui ont pu paraître un peu nostalgiques, admet la musicienne, avec de vraies batteries et des basses à la Gainsbourg. Aujourd’hui, j’ai envie de me confronter à des codes qui n’étaient pas les miens. J’ai été bercée par Joan Baez et le Velvet Underground… mais j’écoute jusqu’à l’overdose PNL et Damso. Les voix d’homme me font pleurer.” Entre 2014 et 2017, elle effectue sa mue. Le virage est d’abord linguistique : “L’écriture m’a amenée à la musique. J’ai jeté sur le papier mes premiers textes en anglais au tout début de mon adolescence, après avoir échoué à un examen au Conservatoire. J’étais vexée. Je n’avais pas assez bossé. J’ai pris une guitare qui traînait. J’avais 12 ans. Le français n’est venu que récemment.”
Braquage, qui constitue donc, en quelque sorte, son deuxième “premier album”a pour ambition d’affirmer une artiste autant qu’un caractère. “Je n’ai pas choisi mon prénom comme nom d’artiste pour rien, s’amuse-t-elle.J’ai toujours détesté qu’on me dise ce que je devais être ou ce à quoi je devais m’intéresser. Je préfère passer à côté d’une bonne série que de suivre un conseil.” Et force est de constater qu’après ce premier round, Marie-Flore n’a pas eu tort de passer à côté des modes les plus évidentes. Sur le ring, elle tient encore fièrement debout.