Makoto San, le mystérieux groupe de techno qui a trahi son maître japonais
Passés par la techno mélodique, brute puis cinématographique, le groupe Makoto San délivre les bandes originales modernes de conte ancestraux. Purs produits du Conservatoire, ces quatre hommes masqués dissimulent leur identité et imaginent une techno ultra moderne à base de bambous asiatiques. Initialement formés aux rudiments de la musique traditionnelle par un maître japonais, ils l’ont finalement quitté pour emprunter une autre voie. Ils racontent leur mystérieuse histoire à Numéro.
Par Alexis Thibault.
Ils insistent pour conserver leur anonymat et entretiennent le mystère en dissimulant leur visage derrière des masques d’escrimeurs. Basés à Marseille, les quatre membres de Makoto San défendent une “électro envoûtante” et hybride façonnée à coup de percussions… en bambous japonais. Passés par la techno mélodique, brute puis cinématographique, le groupe délivre les bandes originales modernes de conte ancestraux, à l’instar des titres Chikurin et Kyoto. Dans leur quête perpétuelle de la transe, extase mystique aussi étrange que leur histoire, ces quatre produits du Conservatoire érigent des ponts entre les œuvres traditionnelles japonaises et la musique électronique répétitive, spirituelle et hypnotique. Dans la lignée d’un Steve Reich, pionnier de la musique minimaliste des années 60, leur projet initialement pensé pour le live se décline désormais en morceaux enregistrés et diffusés sur Internet. Une expérience aussi intrigante que la légende qu’ils se sont forgés.
Pour comprendre Makoto San, il faut d’abord revenir quelques siècles en arrière et se plonger dans le Japon médiéval, à l’époque du Sengoku – les “royaumes combattants” du milieu du XVe siècle. C’est alors l’apogée des samouraïs, des membres de la classe guerrière qui ont dirigé le Japon féodal durant près de 700 ans. Des hommes fidèles, respectueux d’un code de conduite dont la loyauté sans faille s’illustre par le seppuku – ou harakiri –, ce fameux suicide rituel par éventration, apparu au Japon vers le XIIe siècle. Pour autant, de nombreux samouraïs seront exclus de la société japonaise après avoir été vaincus sur le champ de bataille ou vu leur seigneur défait. Face à ce déshonneur irrémédiable, ils deviennent alors des “hommes errants” : les rōnins. Ces combattants parias, dont la lame ne défend plus que leurs propres idéaux, subiront alors leur propre image : des chevaliers glorieux balafrés par la honte, des figures héroïques couvertes d’opprobre…
L’histoire de nos quatre musiciens masqués débute par la rencontre d’un homme : Makoto san – littéralement “Monsieur Makoto”, san étant un suffixe personnel basique au Japon. Ce vieux sage d’origine japonaise est un condensé de tous les sensei nippons, ces maîtres charismatiques qui abondent les récits. Talentueux musicien, Makoto san leur enseigne les rudiments des percussions nippones et l’art de la musique traditionnelle : “Au Japon, jouer du tambour c’est accepter des codes et des rituels, confie l’un des membres du groupe. Là-bas, les membres de la troupe Ondekoza, par exemple, sont considérés comme des demi-dieux…” Mais une fois leur formation achevée, les disciples de Makoto san empruntent une autre voie et décident de mêler l’héritage ancestral des percussions japonaises aux musiques électroniques contemporaines. Ils quittent leur maître. Et ces rōnins d’un nouveau genre dissimulent alors leur visage derrière des masques d’escrimeurs, malgré le déshonneur : “Nous voulions créer quelque chose de nouveau mais il fallait forcément désacraliser la musique et la faire muter. Le sacrilège était nécessaire.” Tel un ultime coup d’estoc, ils dérobent son nom à leur mentor et créent un projet… Makoto San.
Forts de cette rencontre artistique avec leur aîné, les quatre hommes décident de dépoussiérer l’instrumentarium de la musique traditionnelle japonaise, c’est à dire l’ensemble des instruments utilisés pour ses œuvres. Dans leur immense espace de création à Marseille, dont ils ont accepté d’ouvrir les portes à Numéro, on trouve ainsi des percussions à base d’éléments de récupération, des marimbas – xylophones africains –, des angklungs – instruments à vent indonésiens –, des tambours et, bien évidemment, des lames de bambou, point de départ de chaque nouveau morceau. Un instrument fragile et très sensible aux changements de température. “Lorsque l’on frappe dessus, le timbre du bambou nous apparait chaud, souple, pur et précis, expliquent-ils. Aujourd’hui, il n’existe plus de contraintes dans la musique assistée par ordinateur [MAO], vous pouvez produire n’importe quel son, à n’importe quelle hauteur sur n’importe quel synthétiseur. Le son n’a plus aucune limite. Nous, nous partons systématiquement du son pur du bambou, que nous tentons de magnifier”. En résulte cette électro minimaliste fortement inspirée par la French Touch, les boucles ténébreuses de Nicolas Jaar, des groupes tels que Bonobo ou Moderat mais aussi le rock des années 70, la techno sud-américaine et la musique tribale. Makoto San conclut comme suit : “Nous nous sommes créés notre propre culture de club pour propulser la musique électronique vers le “jeu” au sens littéral : jouer les notes à la place des ordinateurs. Des patterns qui tournent, s’accumulent et se transforment. Et c’est ainsi que surgit la transe…”