7 mar 2024

Lucie Antunes, l’étoile montante de l’électro française qui s’inspire de Marina Abramović

Avec la réédition de son album Carnaval, sortie le 1er mars dernier, la percussionniste et compositrice française Lucie Antunes ne cesse de faire – littéralement mais pas seulement – bouger le milieu de la musique électronique, entre compositions innovantes et collaborations excitantes (Anna Mouglalis, Baby Volcano). Rencontre, dans son studio, avec une artiste fascinante.

Sous les toits du Centquatre à Paris, un petit studio de musique déborde d’énergie. Sur des brouillons de compositions trônent l’autobiographie de la performeuse Marina Abramović, un modulaire, un piano, des percussions… Un café à la main, Lucie Antunes nous accueille à l’occasion de la sortie de la réédition de son album Carnaval, paru le 1er mars dernier. “Je n’ai pas de journée type. C’est un concept impossible pour moi.” Préparant à la fois ses concerts et son nouvel opus, la musicienne d’une trentaine d’années originaire de Perpignan, qui a fait ses armes au CNSMD de Lyon puis au sein du groupe de rock psychédélique français Moodoïd avant de se lancer en solo, vit sa musique avec passion.

 

Interview de la compositrice électronique Lucie Antunes, ex-membre de Moodoïd

 

J’ai toujours besoin d’être stimulée, je déteste tourner en rond ou me perdre dans une routine. Mes journées sont parfois difficiles, voire éprouvantes, mais je ne sais pas faire autrement. C’est comme ça que je compose ma musique.” Lucie Antunes vole de son ordinateur à ses percussions, de son piano à son enregistreur de voix. Et elle assemble le tout comme elle l’entend. Un mix de sons éclectiques, qui façonnent in fine sa musique électronique envoûtante.

Récemment, je suis allée voir un hypnotiseur qui m’a demandé quels centres d’intérêts j’avais à part la musique. Et je me suis dit ‘merde, j’en ai pas d’autres en fait. » – Lucie Antunes

 

 

Explorant de nouvelles contrées sonores, l’artiste imagine ses morceaux à partir de sons divers, qui ne sont pas souvent associés. “Je décrirais ma musique comme vivante, électronique et incarnée par des instruments acoustiques parmi lesquels le tambour tient une place centrale. C’est une musique dansante et pleine de vibrations.” Un éclectisme qui tranche avec sa formation initiale qui s’avère, elle, des plus classiques. “J’ai passé le concours du CNSMD de Lyon pour prouver à ma mère que je pouvais le faire. Mais jamais je n’avais vraiment envisagé d’y aller. Je me suis retrouvée à faire dix heures de musique par jour, avec des deadlines de plus en plus serrées et des camarades tous plus brillants les uns que les autres. Ces années étaient à la fois tristes et formatrices car j’y ai tout appris, en particulier la rigueur et la technique. Maintenant, je peux jouer même avec 40 de fièvre !

 

Surtout, cette formation a guidé Lucie Antunes sur le chemin des percussions, après s’être essayée au piano puis à la flûte traversière. “C’était une erreur de parcours, un choix par rapport à mon genre” estime-t-elle à propos de ce dernier instrument. “J’ai toujours été animée par la batterie, mais je n’osais pas en jouer car je n’avais pas de modèle féminin. Donc, quand j’ai commencé à toucher aux percussions, je l’ai fait pour moi-même, de manière cathartique. La passion, c’est un truc de malade”.

 

Car la musique, Lucie Antunes l’envisage comme une thérapie, une performance capable de transcender tous les maux, qui l’a conduite petit à petit, expérimentation après expérimentation, vers la composition électronique. Une place prépondérante qu’elle décide, il y a peu, d’analyser. “Récemment, je suis allée voir un hypnotiseur qui m’a demandé quels centres d’intérêts j’avais à part la musique. Et je me suis dit ‘merde, j’en ai pas d’autres en fait’ !”. Sa première piste d’interprétation passe, selon elle, par le corps. “Les percussions, ça fait vibrer toute la terre. Il y a un rapport presque chamanique. Ça me soigne. Je ne me sens à ma place nulle part, sauf quand je suis sur scène et que je joue” explique-telle ainsi. Une vision thérapeutique de la performance, qui se ressent particulièrement lors de ses concerts. Plongée sous un déluge de lumières presque épileptiques, Lucie Antunes se donne toute entière à sa batterie, à son équipe, à son public, oscillant de morceaux en morceaux avec une énergie qui transcende l’assemblée.

 

Des concerts-performances inspirés par Marina Abramović

 

C’est avec la même fougue que la musicienne s’est lancée en solo au milieu des années 2010, en parallèle de son groupe Moodoïd (aux côtés de Pablo Padovani, Clémence Lasme, Lucie Droga et Maud Nadal). “Je crois que je ne me sentais pas légitime en tant que compositrice” avoue-t-elle. “Quand tu te lances en solo, il y a un truc d’instinct. Et il se trouve qu’au moment où je me suis décidée, le label Cry Baby [ndlr, qui représente l’artiste aujourd’hui] venait de se lancer. C’était presque maintenant ou jamais.” Alors elle a fait écouter ses morceaux à ses amis musiciens, tels que Yuksek, qui lui ont conseillé d’enlever sa voix, d’aller vers quelque chose de plus électronique. “Il m’en fallait peu en fait”. Une chose en entraînant une autre, elle dévoile en 2019 son excellent album Sergeï, composé de morceaux éthérés et ensorcelants, qu’elle joue en live partout en France pendant près de quatre ans, sans sortir de nouvel opus.  

 

Pour le composer, Lucie Antunes a décidé de s’isoler. Seule pendant plusieurs semaines dans une maison face à l’océan, à la Rochelle, la musicienne se libère de toute contrainte. “J’ai fait la méthode Marina Abramović : une pièce, une fonction.” Du rez-de-chaussée au dernier étage, elle compartimente ses activités et s’adonne à une musique plus minimale, façonnée à partir d’une dizaine de pistes seulement – contre plus 120 dans chaque titre de Sergeï – et travaille un instrument qu’elle avait, auparavant, délaissé : sa voix. “Je me suis fait des gros trips à la Mérédith Monk [compositrice américaine]. Je commençais à enregistrer ma voix avec mon portable, puis j’ai utilisé des voix Google et j’ai tout mélangé !” Et Carnaval, son nouvel album, (paru en avril 2023) est né.

 

Peut-être que je vais me brûler les ailes un jour, mais j’adore l’idée.” – Lucie Antunes

 

À la célèbre performeuse serbe, Lucie Antunes n’emprunte pas seulement sa méthode. “Je suis fascinée par cette artiste et par le fait qu’elle ait mis son corps, sa vie, au service de l’art” avoue la musicienne, qui aspire à un tel dévouement. “La performance est ma forme d’expression préférée, justement pour toute la liberté qu’elle permet, et tout l’inconnu qu’elle engendre. Tu ne sais jamais ce qu’il va se passer. Et c’est ce que je propose dans mes concerts.” Des aléas météorologiques aux bugs informatiques des modulaires : rien ne peut être anticipé, et tout participe au moment, l’artiste adaptant souvent ses morceaux à l’euphorie du moment. “Un jour, en plein live, notre ordinateur s’est éteint. Léonie Pernet (artiste multi-instrumentiste français) était dans le public et est monté sur scène. On s’est mis à joué ensemble. C’était dingue !” se rappelle-t-elle.

 

Lorsqu’elle prépare ces performances, Lucie Antunes décrit ses répétitions comme “éprouvantes” pour les équipes qui l’accompagnent tant son perfectionnisme n’a, dit-elle, pas de limite. “Ma musique est exigeante, elle se joue avec machines auxquelles tu donnes une mission. Elles tracent, et tu dois les suivre. Ce que j’aime chez Marina Abramović, c’est qu’elle va toujours au-delà de sa limite. Moi ça m’excite beaucoup. Peut-être que je vais me brûler les ailes un jour, mais j’adore l’idée.” 

 

Une excitation qui se ressent à l’écoute de la réédition Amazing Carnaval (publiée en mars 2024), au sein de laquelle elle dévoile des collaborations avec Baby Volcano, Anna Mouglalis, Frànçois Atlas et Supérette. “Pour tous, j’ai construit un squelette musical inspiré par leurs univers. Ensuite, ils ont posé leur voix, leur touche.” Un assemblage de styles qui s’avère surtout, à l’image de Lucie Antunes, galvanisant.

 

Amazing Carnaval (2024) de Lucie Antunes, disponible.