Les secrets d’Alexandre Desplat, le compositeur deux fois oscarisé
Les Quatre Filles du docteur March, Harry Potter et Les Reliques de la mort, The Shape of Water, L’Île aux chiens, Le Discours d’un roi… En signant plus de 80 bandes originales tout au long de sa carrière, Alexandre Desplat a inventé un nouveau genre musical et conquis Hollywood autant que le cinéma d’auteur.
Par Camille Moulin.
Un homme embrasse la petite fille qu’il tient dans ses bras. Ce moment de complicité dresse le portrait d’une famille heureuse. Mais une musique anxiogène résonne, comme un paradoxe, et assombrit ce tableau. Le décalage entre ce baiser tendre et les quelques notes stridentes qui retentissent cristallise les thèmes du film : la passion d’un jeune homme pour la musique et la relation violente qu’il entretient avec son père brutal. Ces notes aigües et angoissantes interprétées par un orchestre à cordes sont signées Alexandre Desplat, le compositeur aux manettes de la bande originale du film de Jacques Audiard, De battre mon cœur s’est arrêté. Ce long-métrage n’est qu’un exemple parmi la longue liste de musiques de film imaginées par le Français, deux fois oscarisé, en 2015 pour The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson et trois ans plus tard pour The Shape of Water de Guillermo del Toro.
Alexandre Desplat n’a que cinq ans lorsqu’il découvre la musique de film, à travers les cuivres éclatants du Spartacus de Stanley Kubrick : “La mélodie d'Alex North et sa reprise par Bill Evans étaient quelque chose d'assez sidérant”, se souvient-il dans les colonnes du Monde. Alexandre Desplat n’a que 24 ans lorsqu’il compose, à son tour, sa première musique de film, pour Ki lo sa ? de Robert Guédignan puis Le Souffleur, de Franck le Witta. Nouvel exercice, deux ans plus tard, de 1987 à 1997, lorsqu’il compose le jingle des émissions de Karl Zéro sur Canal +, une série de sketchs caricaturant l’actualité politique. Ce talk-show mêlant information, musique et humour, est une aubaine pour lui, Alexandre Desplat devient un caméléon capable de tout composer. Sa carrière basculera véritablement avec La jeune fille à la perle, long-métrage de Peter Webbers, nommé en 2003 Golden Globes dans la catégorie “Meilleure musique de film”. Le prix marque le début de son ascension internationale.
Issu d’une famille de mélomanes, Alexandre Desplat est emporté très tôt par ce qu’il appelle un “tourbillon musical”. La richesse de ses compositions, tient beaucoup à la diversité des genres : il mêle le jazz au romantisme de la Nouvelle Vague, les tambours du Burundi à la musique grecque, dont il a hérité de sa mère. Mais une de ses plus grandes inspirations reste la violoniste Solrey, sa femme, qu’il rencontre à 24 ans lors de la séance d’enregistrement de sa première musique de film. De cette relation amoureuse naît l’esthétique d’Alexandre Desplat, intimement liée à son obsession pour l’orchestre à cordes : il modernise son intervention, en la débarrassant des vibratos, trop romantiques et datés à son goût.
Si Alexandre Desplat est acclamé, ce n’est pas un hasard. Pionnier d’une nouvelle écriture musicale, il introduit et démocratise le symphonisme intimiste. Ce genre novateur fusionne le cinéma américain, proche de l’opéra et du music-hall, et l’humilité des musiques de la Nouvelle Vague, typiques de Georges Delerue ou Maurice Jarre. L’orchestre symphonique grandiloquent, apanage du cinéma hollywoodien, est tempéré par des interventions ponctuelles minimalistes, qui accompagnent les états d’âme des personnages.
Bourreau de travail, le compositeur travaille seul, “enfermé dans son studio, avec un piano, deux ordinateurs, trois écrans, un clavier, du papier et un grand écran pour regarder l’image,” déclare-t-il encore au Monde. Mais son talent réside aussi dans la relation privilégiée qu’il entretient avec les réalisateurs tels que Wes Anderson, avec lequel il tisse un véritable travail de collaboration, inspiré par le script, les images du tournage et les envies du réalisateur. À deux, ils choisissent l’orchestration, comme cet ensemble d’instruments d’Europe de l’Est pour The Grand Budapest Hotel. Chacune de ses compositions devient alors une œuvre collective, entre sa propre esthétique et celle du film.
Véritable caméra musicale, la musique d’Alexandre Desplat suit les personnages grâce à une partition psychologique. Elle accompagne le récit pour lui donner corps et profondeur. En 2005, le compositeur signe le thème du film De battre mon cœur s’est arrêté créant un thème qui colle à la chair du personnage principal, Tom. Dans ce film, Romain Duris incarne un jeune homme torturé par l’ambition de devenir pianiste concertiste. Alexandre Desplat pense alors une mélodie qui ne souligne pas cette urgence mais devient littéralement l’urgence qui accompagne sa passion dévorante. Cette bande originale est d’abord construite de façon lente et très fragmentée, inquiétante. Puis la mélodie s’unifie de plus en plus dans un crescendo où les différents instruments se superposent et se répondent, accompagnant la trajectoire de Tom qui parvient, au fil du film, à enfin exister pleinement. La composition du Français enrichit chaque film en accompagnant les états d’âme des personnages, pour plonger les spectateurs dans un univers parachevé. Elle nous donne à voir ce qui n’est pas à l’écran, créant des intuitions, suggérant le passé d’un personnage ou la fin d’un film…
Récemment, Alexandre Desplat a co-écrit En Silence, avec sa femme, un opéra symphonique inspiré d’une nouvelle du Japonais Yasunari Kawabata, prix Nobel de littérature.
Alexandre Desplat est nommé aux Oscars en 2020 dans la catégorie “Meilleure musique de film” pour Les Quatre Filles du Docteur March.