Les confessions du rappeur Prince Waly : “Est-ce que je mérite vraiment ce qui m’arrive ?”
Après deux EP salués par la critique, le rappeur Prince Waly présente Moussa, premier album introspectif de 14 titres décrit par les spécialistes comme “un futur classique du rap français”. Échecs, victoires, rapport au sexe et combat acharné contre le cancer… Le rappeur se livre sans tabou pour Numéro.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Dans une industrie musicale trop souvent générique, c’est un homme en noir – grillz et lunettes sur le nez – qui offre une bouffée d’oxygène. Prince Waly, 31 ans, présente Moussa, premier album introspectif de 14 titres décrit par les spécialistes comme “un futur classique du rap français”. Juché sur un toit pour l’EP Junior [2016], affalé devant une Mercedes flambant neuve dans Boyz [2019], il résume trois années de mutisme triste sur la pochette écarlate de ce nouvel opus : on l’y voit de profil, le visage enfoncé dans l’airbag d’une voiture en plein crash… Au cours de la discussion, Prince Waly citera tour à tour Beyoncé, Dave Brubeck et Serena Williams, Booba, Marvin Gaye et The Notorious B.I.G. Et c’est en esquissant un sourire nostalgique qu’il raconte d’une voix suave son enfance à Montreuil, en banlieue parisienne, une ville à laquelle il est “encore très attaché.” Il évoque alors le parc des Beaumonts, l’odeur des barbecues et l’habitude favorite de Monsieur le Maire : distribuer des tickets de cinéma aux gosses qu’il croisait par hasard lors de ses balades en ville. Échecs, victoires, rapport au sexe et combat acharné contre le cancer… Le rappeur se livre sans tabou pour Numéro.
Numéro: Vous enchaînez les interviews à un rythme effréné. N’en avez-vous pas assez de répondre cinquante fois à la même question ?
Prince Waly: Je n’ai jamais vu les interviews comme un exercice pénible. J’en suis même très friand ! C’est le meilleur moyen d’expliquer sa musique dans les moindres détails et cela me permet de la comprendre moi-même. Tant pis si les mêmes questions reviennent souvent : ce n’est jamais le même journaliste, donc ce n’est jamais vraiment la même réponse non plus. Nous abordons parfois des sujets de ma vie qui me semblaient pourtant totalement inintéressants…
Quels conseils donneriez-vous à un adolescent de 14 ans qui souhaite “se lancer dans le rap pour faire de la thune” ?
Que ce n’est pas la bonne façon d’aborder la chose. Gagner de l’argent grâce à la musique c’est possible, mais cela risque de ne pas durer… J’ai commencé le rap par passion et il a fallu attendre des années pour que je commence enfin à en vivre. À l’époque, j’y investissais toutes mes économies et je perdais plus d’argent que je n’en gagnais. Entre les échecs commerciaux et un entourage malveillant j’ai eu une vingtaine de raisons de tout arrêter définitivement. Mais c’était ma passion. Et une carrière, ça se construit. Aujourd’hui, il faut produire des morceaux qui dureront dans le temps pour éviter de se noyer dans la masse et de n’être qu’un petit rappeur parmi les autres.
Avez-vous encore peur de l’échec ?
J’ai appris à ne plus en avoir peur et j’ai très vite réussi à me dire : “Si ça ne marche pas ce n’est pas grave, tu recommenceras.” Je suis un homme timide et très pudique et j’ai parfois ressenti ce syndrome de l’imposteur. Est-ce que je mérite vraiment ce qui m’arrive ou est-ce un simple coup de chance ? Finalement, la vie m’a prouvée que j’étais capable de surmonter beaucoup de choses.
Vous faites référence au cancer que vous avez combattu ces dernières années…
J’ai appris que j’étais atteint d’un cancer du thymus en 2019. Lorsque le médecin m’a annoncé que l’on pouvait en guérir, c’est devenu une simple grippe dans mon esprit… mais la tumeur mesurait une dizaine de centimètres. Elle a atteint le sytème nerveux de mes cordes vocales et j’ai perdu ma voix. Un jour, j’ai regardé mon reflet dans le miroir et je n’y ai vu qu’un homme amaigri, sans cheveux ni sourcils… un parfait inconnu en somme. J’avais honte de me présenter comme ça devant les autres. Je me sentais faible, dans l’incapacité de me défendre ou de défendre qui que ce soit d’ailleurs. J’ai vécu cela comme une véritable humiliation. Malgré tout, je n’ai jamais pensé une seule fois à la mort… Désormais j’arrête de me prendre la tête pour des conneries. [Rires]
Le photographe Fifou signe la pochette de votre album Moussa : on vous y voit de profil, le visage enfoncé dans l’airbag d’une voiture. Pourquoi diable les rappeurs sont-ils tant fascinés par les accidents de la route ?
J’adore les caisses alors que je n’ai pas le permis de conduire. [Rires] J’ai une étrange fascination pour la puissance. Je trouve incroyable le fait de posséder un objet indomptable capable de vous mener à votre perte. Comme une voiture ou une arme à feu par exemple. L’accident de voiture représente ici tous les obstacles que j’ai surmonté, l’airbag ce qui ma sauvé la vie, de ma femme à la musique, et le fond rouge fait référence à une photographie du boxeur Mike Tyson [Michel Compte, 1990] sur laquelle il est agenouillé, le visage entre les mains, dans une posture de rédempteur. Voir l’un des boxeurs les plus puissants de l’histoire simplement agenouillé en dit long.
Quelle est votre définition d’un classique du rap ?
Un morceau sincère et intemporel à l’image du Sing About Me de Kendrick Lamar. Un morceau que je ferai écouter à mes enfants. Un morceau qui traversera le temps comme les tubes de Michael Jackson.
Le journaliste Mehdi Maïzi a qualifié votre nouvel album, Moussa, de “futur classique du rap”. Pensez-vous qu’il corresponde à la définition que vous venez de donner ?
J’ai tout fait pour livrer quelque chose qui pourra traverser le temps. Auparavant je faisais de la musique pour plaire à un plus large public. Je répondais à des codes, des schémas… comme si j’avais un cahier des charges. Par exemple, un morceau comme YZ [Boys, 2019] comporte des rimes que le public peut assimiler facilement, un refrain chantonné, simple et entêtant… C’est une manière de brider la musique pour qu’elle passe directement en radio et finisse par guider l’auditeur. Aujourd’hui, des morceaux comme Bleu ou Messe [Moussa, 2022] sont à l’opposé de tout cela. Ils ne comportent aucun refrain et les textes sont bien plus travaillés. Lorsque j’écoute mon album, je n’ai aucun regret. Avant j’intégrai des vers pour combler les trous… D’ailleurs lorsque j’écoute mes anciens morceaux il m’arrive de me dire : “Putain, mais comment j’ai pu écrire ça…” Des choses qui font rire les gens mais que l’on assume pourtant à moitié.
Si l’ensemble de votre discographie venait à disparaître définitivement, quels seraient les trois morceaux que vous sauveriez et pourquoi ?
Je sauverais Junior [Junior, 2016] car c’est le morceau qui m’a permis d’abandonner tous les codes un peu fake du rap et ce storytelling idiot qui vous force à toujours parler des mêmes choses en multipliant les références sans aucun objectif artistique. Avec Junior j’ai enfin pu parler de moi ! Ensuite je choisirais Walygator [Moussa, 2022] sur lequel je parle enfin de mes problèmes et qui a donc eu fonction d’exutoire. J’en suis également très satisfait musicalement. Puis j’aimerais sauver Soudoyer le maire [Junior, 2016]. Un titre qui résume une bonne période de ma carrière musicale, c’était le Prince Waly que je souhaitais mettre en avant. Finalement, ce sont les trois morceaux auxquels les gens m’identifient le plus.
Êtes-vous à l’aise avec les textes de rap à connotation sexuelle ?
Je fais un peu attention à ce que je raconte. Par respect pour ma famille notamment. Lorsque j’utilise des insultes ou que je parle de sexe, c’est parce que je sais précisément ce que je veux dire. Je pense par exemple au titre Rottweiler [Moussa, 2022] qui symbolise la vie de chien des mecs de quartiers prêts à tout pour l’argent. Dans le morceau je dis : “Jouer l’mari pour ta frangine comme Manny. Et rajouter du X avec Manix.” Une référence au personnage de Manny dans le film Scarface de Brian de Palma [1983] qui épouse la sœur de Tony Montana, au cinéma pornographique, le X, et à la célèbre marque de préservatifs Manix. La connotation sexuelle est présente mais n’est ni gratuite ni vulgaire. J’ai toujours parlé de sexe à la troisième personne.
Parler de drogue semble beaucoup moins vous déranger…
Parce que c’est mon histoire… J’ai vécu des moments difficile à cause de ça. Et l’album parle de ma vie. Donc il fallait que je parle aussi de ces moments là. Le sexe est quelque chose d’intime qui m’appartient. La drogue c’est un problème.
Moussa, de Prince Waly, disponible