Lean Chihiro, la manga girl du rap français
Mêlant avec aisance codes urbains agressifs et touches girly, la jeune rappeuse française de 20 ans incarne, dans sa musique comme dans son style, une féminité 3.0 affirmée et inventive. Révélée en 2017, elle s’apprête à dévoiler “Teenage Humanoid”, son nouvel EP.
Par Delphine Roche.
On a tendance à croire que se teindre les cheveux en rose relève d’un caprice adolescent. À 20 ans, pourtant, Lean Chihiro assume ce geste transgressif comme un double manifeste : celui d’une jeune femme en pleine construction personnelle, qui apprend à assumer ses désirs… et celui d’une artiste qui crée son propre univers. Apparue sur les radars en 2017, la rappeuse française peaufine depuis son flow mélodique, qu’elle pose sur des productions aériennes agrémentées de sonorités évoquant la pop asiatique ou les jeux vidéo. Dans ses clips et sur ses vêtements, la couleur rose revient comme un leitmotiv. C’est, par exemple, avec une batte de base-ball rose que la demoiselle explose un poney rose dans le clip de HardWork, pour en faire sortir une pluie de billets de banque.
Avec son cocktail unique de touches girly et de codes urbains agressifs, Lean Chihiro semble tout droit sortie du film Spring Breakers. À ceci près qu’à l’inverse des antihéroïnes autodestructrices d’Harmony Korine, la rappeuse respire le calme et la maturité précoce. D’un père musicien et d’une mère mannequin, elle a appris tôt qu’on pouvait s’inventer soi-même, en sons et en images, comme un remède au conformisme des enfants. “Depuis toute petite, je suis dans mon monde, explique-t-elle. Je voulais être artiste, je n’avais pas les mêmes priorités que les jeunes de mon âge. Mais jusqu’au lycée, j’avais peur du regard des autres. Donc j’ai attendu d’avoir 15 ans pour me teindre les cheveux en rose. Depuis l’enfance aussi, je suis passionnée par la culture japonaise. Le soir, ma mère me lisait des histoires asiatiques traditionnelles. Puis elle m’a montré Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro. J’ai commencé à apprendre le japonais par moi- même et, parallèlement, dès mes 14 ans, j’essayais aussi de composer mes propres sons, je chantais et je rappais.” Ses modèles se nomment alors Missy Elliott, Lauryn Hill, Erykah Badu. Aux antipodes des rappeuses hypersexualisées comme Nicki Minaj et Cardi B, Lean Chihiro assume une sorte de féminisme 3.0 aussi cash que kawaï, joyeux et inventif : “Je ne me reconnais pas dans les rôles de femme- objet, poursuit-elle. Je ne suis pas prête à tout pour attirer le regard masculin. Je veux montrer une image de la femme qui est réelle et qui n’est pas un fantasme des hommes.”
Naturellement, Lean Chihiro a aimanté des âmes sœurs qui, au fil du temps, sont devenues des amies, telles que la rappeuse new-yorkaise Princess Nokia (qui proclamait dans un de ses titres phares être un tomboy, un “garçon manqué”) ou encore la Canadienne Tommy Genesis (qui réalise elle-même ses clips afin d’être son propre objet de désir). Son inventivité, son aisance avec l’image et son univers très personnel la rapprochent du monde musical anglo-saxon, où les rappeurs décollent du bitume et rivalisent sur le terrain du style, tant musical que vestimentaire. En 2018, elle se produisait d’ailleurs en première partie du concert parisien de Smooky Margielaa, membre de la A$AP Mob. Il faut dire que pour toucher un plus large public, Lean Chihiro rappe en anglais. Mais elle le jure, elle dira quelques mots en français sur son nouvel EP Teenage Humanoid, dont la sortie ce mois de février risque de faire du bruit.