Le rap suave et ardent de Mikano
Après « Blind Man Dreams » (2018) et « Melting Balloons » (2020), le rappeur franco-camerounais de 25 ans a dévoilé vendredi son EP « Akwa », dont les cinq titres mettent en lumière l’impeccable flow du rappeur.
Par Alice Pouhier.
Même s’il a grandi aux quatre coins du monde, Mikano est un vrai Parisien. Avec une élégance sereine, des cheveux blonds tressés et vêtu de couleurs sobres, le rappeur déambule dans les allées du parc du Luxembourg, où nous lui avons donné rendez-vous. “Je suis déjà venu ici avec une ex”, commente-t-il en sortant son téléphone, “c’est très joli.” Il prend même quelques photos : il faut dire que Mikano se surprend parfois à redevenir un touriste dans sa propre ville. S’il y a passé les premiers mois de sa vie, il n’y est revenu qu’à l’adolescence, après avoir suivi son père ingénieur au Cameroun – son pays d’origine –, puis en Egypte et aux Emirats Arabes Unis. Cet itinéraire a forgé son rapport à la musique : “À Abu Dhabi, on pouvait écouter des styles de musique très différents et appartenir au même groupe de potes. Il n’y avait pas de division entre les métalleux d’un côté et les amateurs de rap ou de techno de l’autre. Je pense que cet aspect-là a renforcé mon rapport décomplexé à la musique, mon envie de tout faire.”
Enfant, Mikano découvre le rap américain grâce à ses cousins à peine plus âgés, et passe des après-midis entiers hypnotisé devant la télévision, alors qu’MTV fait défiler les clips de Snoop Dog, Lil Wayne et 50 Cent. Plus tard, c’est Kid Cudi et Kanye West qui font office de déclic dans la construction de son identité musicale. Chez le premier, c’est le verbe qu’il admire, la philosophie : “C’était une période où le rap était très misogyne, très gangster. Cudi est arrivé dans ce milieu en disant qu’il ne faisait rien de tout ça, qu’il voulait juste faire de la musique. C’était une nouvelle génération qui arrivait, et on ne se sentait pas forcément représentés par les artistes à l’époque. Et Kid Cudi est arrivé, et a parlé à cette génération.” Chez le second, c’est le melting-pot qu’il représente. “Quand on écoute Kanye, on comprend qu’il a une vision globale de la musique. C’est un peu comme si tu écoutais de la musique du monde.” Bercé par le rap anglophone, Mikano décide d’écrire en anglais, une langue de cœur qu’il ne quittera plus. D’abord parce qu’elle lui est toute naturelle, lui qui devient bilingue avant ses huit ans, et qu’elle se prête bien à sa vocation universelle : “J’écris pour tout le monde. Je veux toucher aussi bien le mec qui a du mal à se lever le matin que celui qui veut tout casser.”
C’est à 17 ans, alors qu’il revient dans la Ville Lumière pour y passer le bac, qu’il débute dans la musique. “Ado, j’écrivais d’abord des textes, puis je les récitais, et je les posais sur des intrus que j’aimais bien.” Jusqu’au jour où son meilleur ami, qui l’avait entendu freestyler lors d’une soirée, organise une virée surprise dans un studio pour que Mikano enregistre ses tout premiers morceaux. Puis, un peu plus tard, le musicien rencontre Sutus, le producteur prodige – qui a collaboré avec Lord Esperanza, Tsew the Kid et Joanna –, réputé pour ses instrus planantes et oniriques. “On a tout de suite accroché, se souvient-il. Pour créer mon premier EP, Blind Man Dreams, on s’est enfermé chez lui tout un été. Notre relation s’est muée en une amitié, et on a pris confiance en nous mutuellement, on se découvrait encore musicalement à l’époque.”
Ce mélange des genres, Mikano le revendique depuis ses débuts. Si ce premier EP, Blind Man Dreams (2018) lui permet de prendre conscience de son talent et de “trouver sa couleur”, avec Melting Ballons (2020), il livre un album plus léger et suave, aux refrains “catchy” et entraînants… tandis que le dernier en date, son EP Akwa, relève du rap pur et dur, parce qu’il “n’en avait pas fait depuis longtemps.” Difficile alors de cerner Mikano, tant ses productions diffèrent les unes des autres. Au-delà qu’une volonté artistique, Mikano ne compte en fait que sur son instinct pour faire de la musique. “Je me vois alterner les projets. Si je me chauffe, je pourrais même faire un album complètement two step ou complètement afro. Cela dépend de mon humeur, précise-t-il. Pour Akwa, j’ai eu envie que les gens découvrent m’accompagnent dans ce processus. Qu’ils se disent : on va écouter Mikano, il fait du rap pour l’instant, mais on ne sait pas ce qu’il va faire après.” Une raison de plus pour suivre cet artiste prometteur, dont l’imprévisibilité nous offrira sans doute de nouveaux ravissements.
“Akwa” (2021) de Mikano, disponible sur toutes les plateformes.