25 mai 2020

Le jour où MC Solaar a été médaillé par l’Académie française

Aux côtés d’une centaine de personnalités dont Clara Luciani, Grand Corps Malade ou encore Laurent Voulzy, MC Solaar est le signataire d’une tribune visant à soutenir la scène musicale française. A 51 ans, le chanteur est considéré comme le “patron” du rap français, l’un des premiers à avoir popularisé le genre musical, pourtant longtemps mal-aimé et méconnu. Grâce à sa verve sensible, le hip-hop s’est forgé de véritables lettres de noblesse, frôlant l’éloquence, définitivement poétique. Retour sur le parcours honorable de l’artiste, depuis son enfance dans les quartiers de Villeneuve-Saint-Georges jusqu’à… l’Académie française. 

Nous sommes en 1998. MC Solaar est à l’apogée de sa carrière, avec quatre albums en poche et le double de singles. Pour la toute première fois dans l’histoire de la France, l’Académie française reçoit un rappeur entre ses murs. L’institution prestigieuse, gardienne de la langue et de la littérature, remet à l’artiste – Claude M’Barali de son vrai nom – la médaille de vermeil pour “l’ensemble de ses chants poétiques”. Une révolution.

 

Une ascension fulgurante en terrain vierge

 

Son premier titre, Bouge de là, sort huit ans auparavant. Instantanément, il devient un tube. La France hallucine, elle n’a jamais entendu ça. Car si jusque là personne n’écoute du rap dans le pays, c’est parce qu’il n’existe pas encore de rap français, ou seulement quelques imitations de ce qui se fait aux Etats-Unis. Nique Ta Mère, Assassin, Ministère Amer… ces noms font peur et ils ne se vendent pas encore bien. Dans la scène musicale de l’époque, les stars s’appellent plutôt Renaud, Jean-Jacques Goldman ou Johnny Hallyday. Autant dire que le hip-hop a un parfum inodore aux nez des non-initiés. Mais depuis les quartiers de Villeneuve-Saint-Georges, Mc Solaar réussit alors un exploit en sortant ce premier titre: il transpose un style inhérent à la culture noire-américaine dans la chanson française. Mieux, il impose la rhétorique dans ses vers slamés et y insuffle de la poésie avec une voix assurée. Invité sur Nova par Dee Nasty, pionnier majeur du hip-hop en France, le jeune rappeur est propulsé sur le devant de la scène. A 20 ans à peine, il devient la voix d’un nouveau style et tout le monde fredonne le refrain entêtant de Bouge de là. Ses deux albums Qui sème le vent récolte le tempo (1991) et Prose Combat (1994) sont de véritables succès et, aux côtés d’IAM – groupe devenu célèbre avec son titre Je danse le mia en 1993 – le jeune chanteur d’origine tchadienne et sénégalaise infuse le rap dans la culture française. 

Un flow éloquent et sensible

 

On me jette de la terre, on dépose quelques fleurs. Seul sous son saule pleureur : Solaar Pleure”. Le rappeur n’est pas seulement loquace, il est aussi poète. Dès ses premiers titres, son style est déjà singulier : un flow calme où les mots se découpent avec clarté et intelligence. En duo avec son ami et DJ Jimmy Jay, l’artiste se fait connaître essentiellement pour ses textes riches, aussi cocasses et séditieux que les mots de Gainsbourg, sa principale inspiration. Cet univers lettré et réfléchi détonne d’ailleurs parmi la scène internationale du rap et il vaudra au chanteur d’être raillé par ses confrères. En 1998, Libération lui consacre un article titré “Le frère rappe-doux”, un terme qui sonne comme une oxymore dans un milieu virile et passablement sexiste. L’ascension de l’homme prend en filigrane la forme d’une division : plus il séduit les sphères intellectuelles, plus il s’éloigne du hip-hop, d’où il vient pourtant.

 

En 2008, Booba, que certains considèrent comme l’un des meilleurs rappeurs français actuels, lâche dans un de ses morceaux que “NTM, Solaar, IAM, c’est de l’antiquité”. La provocation est de taille, car aujourd’hui encore, MC Solaar est cité comme la référence ultime, il est celui par qui tout a commencé. Absent pendant plusieurs années après avoir sorti Mach 6 en 2003, il revient quatre ans plus tard avec Chapitre 7, opus dans lequel il mélange des sonorités qu’on ne lui connaissait pas encore : il passe du reggae au punk, à la samba, à l'oriental… Une exploration qui, quoique fructueuse, précède à 10 années blanches, puisque l’artiste se retirera de la scène musicale, en-dehors de quelques timides participations annuelles au spectacle des enfoirés. De retour depuis 2018 avec Géopoétique, le rappeur semble être reparti pour de bon. Avec son introduction Intronisation, morceaux florilège de ses précédents succès, l’artiste rappelle son histoire autant que celle de la popularisation d'un rap qui lui doit tout. Toujours aussi véloce dans son phrasé habile, MC Solaar demeure le “père” du hip-hop français, celui qui aura réussi à toucher autant les bourgeois que les jeunes de son quartier.