Le duo Shabazz Palaces et son hip-hop de science-fiction débarquent à Paris
Depuis 2011, le groupe de Seattle Shabazz Palaces défend un hip hop sci-fi, héritier de ce grand courant afro-américain des années 70. Avec succès : les compositions d’Ishmael Butler et Tendai Maraire ont séduit jusqu’à Lauryn Hill qui les a invités en première partie de sa tournée américaine il y a quelques années. Il seront en concert à Paris, au Petit Bain, le 27 avril 2024.
Par Alexis Thibault.
Shabazz Palaces : un hip-hop expérimental de science-fiction
Sur leurs curriculum vitae, Ishmael Butler et Tendai Maraire (les deux membres de Shabazz Palaces) ont inscrit en lettres d’or les dates de leurs concerts avec Lauryn Hill. Fin 2018, ils se produisaient à sept reprises avec l’ex-leadeuse des Fugees lors de sa tournée, de Dallas à Seattle, la ville pluvieuse où ils ont grandi. Une consécration. L’un est issu d’une famille de Black Panther – illustre mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine fondé dans les années 1960 – l’autre, fils du compositeur zimbabwéen Dumisani Maraire, est issu d’une famille de réfugiés. Ensemble, ils ont fondé Shabazz Palaces, duo de hip-hop expérimental dont le premier album, Black Up est sorti en 2011.
À l’image de leurs titres Dawn in Luxor (2014) et Forerunner Foray (2014) dont le clip imaginé par l’illustrateur Chad Vangaalen est semblable à un délire de Mœbius sous LSD, Shabazz Palaces fuit les symboles du hip-hop, de l’exacerbation de la virilité aux valeurs ultralibérales du capitalisme. Lors d’une interview accordée à Drone, Tendai Maraire expliquait justement sa conception du hip-hop : “Je voudrais que les gens n’aient pas peur de dire ‘écoute, on va faire exactement ce qu’on veut faire, et ce ne sera pas nécessairement commercial, il n’y aura pas de diamants ni de femmes sublimes. Sauf si on veut en mettre.’”
“Depuis quinze ans, un engouement de plus en plus populaire s’est créé autour de ce genre. L’afrofuturisme est devenu un mot marketing grâce au succès de Black Panther.” Nnedi Okorafor
Quazarz, un émissaire extraterrestre hypersensible devenu chroniqueur de notre monde contemporain.
Les compositions de Shabazz Palaces se réfèrent surtout au sci-fi rap, courant musical qui multiplie les références à la science-fiction. Et si la réverbération de certains accords propulse l’auditeur en apesanteur, Ishmael Butler s’est quant à lui constitué un alter ego pour construire ses récits sonores opiacés : Quazarz, émissaire extraterrestre hypersensible devenu chroniqueur de notre monde contemporain.
Signé sur le label résolument grunge Sub Pop, le duo excentrique a fortement puisé dans cette sous-culture du début des années 90. Et sa musique est avant tout estampillée “Seattle”, fief de Pearl Jam et de Kurt Cobain. Pourtant, avec ces diverses influences et quatre albums à son actif – dont Lese Majesty (2014) et les deux opus Quazarz (2017) – Shabazz Palaces est confortablement installé sur la planète hip-hop underground. Son lyrisme permanent, son statut de groupe lunaire et ses compositions exigeantes ont notamment convaincu le rappeur et DJ Flying Lotus, le producteur de drone music Oneohtrix Point Never et toute la clique de Thom Yorke, leadeur de Radiohead.
Dans la lignée de l’écrivaine Octavia E. Butler et de l’extravagant pianiste de jazz américain Sun Ra (1914-1993), fervent défenseur de la communauté afro-américaine qui a construit une véritable mythologie autour de son personnage, Shabazz Palaces revendique son appartenance à l’afrofuturisme. Ce courant littéraire et artistique né dans les années 70 met en relation les cultures africaines et afro-américaines en utilisant des éléments de science-fiction. Le terme a ressurgit récemment avec l’adaptation cinématographique du comic book Black Panther dont le héros originaire du Wakanda – état fictif et invisible à la technologie bien plus avancée que tous les autres – est devenu pendant quelques mois le symbole d’une communauté trop peu représentée dans les blockbusters.
Mais ce courant cher au duo de Seattle est aussi l’objet de controverses. L’écrivaine américaine Nnedi Okorafor, figure montante de la science-fiction, aborde par exemple le sujet comme suit dans les colonnes du Point : “Je dirais que l’afrofuturisme est la définition d’un homme blanc qui décrit les visions futuristes d’auteurs afro-américains. Depuis quinze ans, un engouement de plus en plus populaire s’est créé autour de ce genre. L’afrofuturisme est devenu un mot marketing grâce au succès de Black Panther.” Le 29 mars 2024, Shabazz Palaces livre Exotic Birds of Prey, un neuvième album relativement court (23 minutes) et assimilable à un EP.
Tout juste un an après le disque Robed in Rareness, ce nouvel opus combine des éléments de funk et une électro tortueuse. Un nouveau voyage interstellaire entre hip-hop et distorsion sonore. En filigrane, des compositions directement inspirées par le mouvement shoegazing, sous-genre du rock alternatif britannique de la fin des années 1980 caractérisée par un usage significatif d’effets de guitare, et de mélodies vocales indiscernables telle la retransmission d’une émission de radio depuis l’espace…
Shabazz Palaces sera en concert le 27 avril au Petit Bain (Paris 13e).