20 juil 2022

Rencontre avec Lala &ce : « J’avais envie de montrer une partie de moi que beaucoup de gens ignorent »

Rappeuse charismatique au charme vénéneux et icône LGBT ultra badass, la Lyonnaise Lala &ce revient avec le vivifiant SunSystem, un EP gorgé de soleil et de hits dancehall-reggaeton charnels. Un bel hommage aux racines ivoiriennes d’une artiste qui n’oublie pas qui elle est même quand elle lorgne vers les étoiles du succès mainstream.

La pochette du nouvel EP de Lala &ce, « SunSystem » @ Emma Panchot

Avec son flow planant et son charisme androgyne à la sensualité affolante, la Franco-ivoirienne Lala &ce est devenue l’une des figures les plus respectées du rap français. Un parcours d’autant plus inspirant que le rap francophone ne laisse toujours pas beaucoup de place aux femmes, si talentueuses soient-elles. Mais il faut avouer que sous ses airs nonchalants, la Lyonnaise de 27 ans possède de sacrés arguments. En deux mixtapes (dont Le Son d’après, en 2019) et un premier album hypnotique (Everything Tasteful en 2021), l’artiste désormais installée à Paris a imposé un son lancinant, comme ralenti et codéiné, inspiré à la fois par le cloud rap, l’électro et la trap. Il faut ajouter à ses productions éthérées la langueur, voire la torpeur, d’une voix gorgée d’auto-tune, des visuels léchés et des paroles cryptiques (qu’on peine parfois à élucider) pour comprendre pourquoi Lala &ce fait l’objet d’un culte dans l’underground musical hexagonal.

 

Lala &ce est aussi une véritable icône de mode, courtisée par les plus grandes marques (elle a défilé pour Mugler et chanté pour Louis Vuitton) et la première icône LGBT du rap français, affichant son homosexualité et mettant en valeur les femmes noires dans des clips qui laissent la part belles aux sessions de twerk langoureuses. Mais aussi séduisant que soit son univers vénéneux, Lala &ce n’a pas l’intention d’y rester nichée. En septembre 2021, la rappeuse imaginait une comédie musicale, Baiser Mortel, à la Bourse du Commerce de Paris, bien accompagnée (Low Jack, Jäde, Rad Cartier, Le Diouck). Cette production de la Pinault Collection mettait en scène une histoire d’amour inspirée du film La mort prend des vacances (1934). Le nouveau projet ambitieux de la rappeuse romantique ? Un EP solaire et vivifiant, SunSystem, centré sur des sonorités africaines et rendant hommage à ses racines ivoiriennes. Rencontre avec une artiste qui lorgne vers les étoiles sans jamais se cramer les ailes.

@ Lewis Khan

Numéro : Comment est né ce nouvel EP, SunSystem ?
Lala &ce : Le point de départ, c’est l’été, la chaleur, la joie, le sourire, les « good vibes ». C’est parti d’une fois où je me trouvais dans un café et qu’un serveur est venu me voir. Il m’a dit qu’il connaissait et aimait ma musique et que mon morceau Wet (Drippin’) sorti en 2019 lui évoquait une période heureuse de sa vie, liée à l’été et à la chaleur. Ça m’a touché parce que pour moi, une bonne chanson te rappelle un bon moment de ta vie et te plonge dans une certaine nostalgie. Je me suis alors dit que j’avais envie de retranscrire ce sentiment encore un peu plus en allant chercher dans mon adolescence.

 

Pour accoucher de SunSystem, vous avez puisé dans les étés passés, enfant et adolescente, aux côtés de votre famille en Côte d’Ivoire. Vous avez fait les 400 coups avec vos amis dans le quartier de Yopougon à Abidjan…
Ma mère est née en Côte d’Ivoire et a rencontré mon père à l’âge de 30 ans, en France.  Elle a passé une bonne partie de sa vie là-bas et y a eu des enfants qui nous ont rejoint ici quand ils ont eu une dizaine d’années. J’ai gardé beaucoup d’attachement pour ce pays, notamment grâce à mes frères et mes sœurs qui sont nées là-bas et qui m’ont appris plein de choses sur la Côte d’Ivoire comme des façons de parler typiques. J’allais aussi tous les étés dans ce pays. J’ai une double culture que je voulais célébrer en réalisant un retour aux sources avec ce projet.

 

Pouvez-vous nous parler du clip de Fallait Dire Non, le premier single issu de votre EP ?
Il a été tourné à Abidjan, en juin dernier. On y voit à la fois des amis et des acteurs ainsi que des gens qu’on a découvert sur place. À la fin du clip, quand on est dans le maquis (restaurant situé en Afrique qui joue le rôle de véritable lieu de rencontre, ndr), de nombreuses personnes qu’on découvre sont celles qui s’y trouvaient au moment où on a tourné cette scène. En fait, on est allé dans le maquis, on a mis du son, on a été super bien accueilli et on s’est amusé.

Est-ce la pandémie qui vous a donné envie de sonorités (dancehall, afrobeat, reggaeton) plus chaleureuses et optimistes comme celles du morceau Bon Temps ?
Ce n’était pas le déclencheur de l’EP mais disons qu’après les confinements et avec le COVID, ça tombe bien. Tout le monde respire enfin un peu. Il y a de nouveau des concerts, des festivals. Et cet EP va bien avec l’euphorie de l’été. C’est pour ça que j’ai voulu une pochette très solaire qui donne le sourire. Certaines personnes ont une image plus « dark » de moi. Mais ceux qui me connaissent bien savent que je me marre tout le temps et que cette pochette me ressemble. J’avais envie de montrer une partie de moi que beaucoup de gens ignorent. Ce n’est cependant qu’un emballage. J’ai changé de couleur d’emballage mais ma façon d’écrire et les thèmes que j’aborde sont les mêmes. Simplement, c’est fini la « darkance » pour l’instant.

 

La référence au soleil dans le titre de l’EP évoque les épisodes de chaleur écrasante que l’on vit en ce moment. Peut-on y voir une réflexion sur l’écologie ?
Ça pourrait, en tout cas, ça tombe bien, mais le titre SunSystem vient plutôt du mot « sound system » ainsi que de ma fascination pour l’astronomie. J’ai même mis huit titres sur l’EP car il y a huit planètes dans le système solaire (en plus d’une étoile, le Soleil).

 

Si votre musique est solaire, les paroles sont souvent plus mélancoliques, et invitent à réfléchir. Quels sont les thèmes de cet EP ?
Sur le titre Control, je parle de mon père, de sa mort (le père de Lala &ce est décédé brutalement d’une crise cardiaque quand la rappeuse avait 19 ans, ce qui a provoqué son départ à Londres pour étudier la finance, ndr) et de lâcher prise, des thèmes que je n’avais pas encore abordés. C’est vrai que même quand les sons sont chaleureux, les paroles résonnent souvent de façon plus triste. Je ne peux pas m’en empêcher. Je trouve ça trop beau la mélancolie. En fait, il y a des chansons solaires à la manière d’un coucher de soleil aux teintes violacées. Cet EP peut s’écouter comme une journée au soleil, avec le zénith sur certains morceaux comme Faster, et d’autres qui évoquent le moment où la nuit est tombée comme Mise à Mort. Tous les états du soleil y sont représentés.

@ Lewis Khan

On sent aussi une volonté, dans les paroles, de retourner à l’essentiel, de signaler que le plus important dans la vie, c’est la famille et profiter des bons moments…
C’est tout à fait ça. Je me suis recentrée sur la positivité et le fait de revenir à un état naturel, de se montrer tel que l’on est. Il n’y pas trop de paillettes, ni de poudre aux yeux. Je viens de Lyon et j’ai vécu à Londres jusqu’en 2020 avant de déménager à Paris il y a deux ans. La vie parisienne, c’est génial : j’ai fréquenté différents milieux, de bonnes personnes et d’autres, moins bonnes. Et sans vouloir pointer du doigt qui que ce soit, je pense que ça peut vite monter à la tête. Il y a des gens qui viennent et qui partent, sans que l’on y soit préparé. Il faut être fort pour ne pas se « faire flasher les yeux ». On peut vriller facilement. Je me sens bénie d’avoir, jusqu’ici, garder les pieds sur terre même si j’essaie de monter toujours un peu plus haut.  Je vais souvent voir ma mère et mes amis d’enfance à Lyon, ça aide à ne pas se déconnecter de l’essentiel. Les gens reconnaissent les choses authentiques quand ils les entendent et c’est vers ça qu’il faut aller en tant qu’artiste.

 

Il y a quand même toujours un peu de paillettes dans vos morceaux. Vous chantez à un moment donné par exemple que vous êtes en « full Moncler »...
Cette flexibilité fait partie du truc. Pour moi, je suis la meilleure rappeuse. Le fait de pouvoir switcher dans les paroles à tout moment n’empêche pas de garder les pieds sur terre.

@ Lewis Khan

Dans vos nouvelles paroles, vous parlez moins, semble-t-il, de votre vie amoureuse et sexuelle qu’avant…
C’est peut-être parce que vous vous y êtes habitué car c’est toujours là. C’est vrai que j’ai quand même la volonté de calmer un peu ce côté-là, histoire de ne pas être « la lesbienne de service » (rires). C’est trop facile de mettre les gens dans une case sans jamais les en sortir. Mais j’adore parler de ça. Ça reste mon thème préféré. J’aime aussi suggérer des choses sans les dire vraiment, laisser la place à l’interprétation. Dans les œuvres qui me touchent le plus comme Les Illuminations de Rimbaud, ce que je trouve beau, c’est qu’il nous laisse nous faire notre propre histoire.

 

Certains de vos nouveaux morceaux sont de vrais tubes (à l’image de Control). Ressentez-vous l’envie de séduire un plus large public ?
Je sais qu’il y a des artistes qui aiment rester dans leur niche. Mais mon but c’est toujours de toucher le maximum de gens possible. Sauf que l’enjeu c’est d’arriver à toucher plus de gens en gardant sa touche personnelle. Avec le temps, l’expérience, ça devient plus facile, mais ce n’est pas évident. Il faut le faire intelligemment. Le risque, c’est de faire de la drill en se disant que ça marchera et de perdre le public qui te suit depuis tes débuts.

 

SunSystem (2022) de Lala &ce, disponible sur toutes les plateformes.

@ Lewis Khan