Kurt Cobain, martyr du rock et icône d’une jeunesse désenchantée
Enregistré au Pier 48 (Seattle) le 13 décembre 1993, le Live and Loud de Nirvana est l’une des dernières performances du groupe avant la disparition de son leader, Kurt Cobain. Alors qu’une version vinyle de l’album live vient de sortir, les membres ont publié l’intégralité du concert sur YouTube. Le journaliste anglais Nick Kent revient sur la descente aux enfers du poète blond.
Par Nick Kent.
Les années 90 laisseront à la posterité leur lot d’images musicales légendaires – les Red Hot Chilli Peppers et leurs physiques d’éphèbes tatoués, les regards menaçants des rappeurs maudits Tupac Shakur et Biggie Smalls, les poses de diva nordique déglinguée de Björk, pour ne citer qu’eux –, mais l’icône la plus symbolique de la décennie restera ce petit désaxé à la tignasse blonde répondant au nom de Kurt Cobain. Originaire de Seattle, il aura tant souffert de la folie suscitée par le trio grunge Nirvana, dont il était le leader, qu’il a fini par mettre fin à ses jours le 5 avril 1994. Avant de décider d’en finir avec la vie, Cobain aura eu le temps d’enregistrer trois albums studio avec Nirvana. Après une jeunesse difficile – divorce de ses parents alors qu’il a sept ans, enfance avec une mère alcoolique, cible facile pour ses petits camarades, adolescent fugueur qui découvre la drogue à l’âge de douze ans et vit une première expérience sexuelle maladroite avec une fillette retardée mentale –, sa réussite tient du miracle. Malgré tout, il a trouvé la concentration et la discipline nécessaires pour apprendre à jouer d’un instrument (la guitare électrique) et écrire des chansons traduisant son expérience de la vie, véritable cauchemar sans fin. Avec l’aide d’un bassiste d’origine croate, Krist Novoselic, et d’une succession de batteurs du cru, Cobain se démène pour faire entendre sa musique à la fin des années 80: petits concerts, labels alternatifs, etc.
Cobain disparaît pendant une semaine. Il est finalement retrouvé seul dans sa grande maison : son attirail de junkie et une lettre d’adieux griffonnée à côté de lui.
Bleach, le premier album de Nirvana, sort sur le minuscule label Sub Pop en 1990, et un an plus tard, le trio – avec son nouveau batteur Dave Grohl – signe chez une major, Geffen. Le reste fait partie de l’histoire. A la fin 1991, le deuxième album de Nirvana, Nevermind, est numéro un des ventes dans le monde entier et Cobain est désigné comme le sauveur aux cheveux d’or du rock’n’roll en cette fin de millénaire. Pas une couverture de magazine ou une émission de télé sans croiser ce visage de Jésus-Christ et ces yeux au regard fixe cernés par les effets de la drogue. Impossible d’allumer la radio sans être confronté à cette voix cassée de douleur. Ce n’est pas un joli son, mais il capte l’attention. Il est même si puissant que le reste du rock contemporain paraît fade et surfait. Cobain devrait être excité par cette célébrité soudaine, mais ce n’est pas le cas.
Sa mort élève Cobain au rang de martyr du rock; d’une icône prête à l’emploi pour toute une jeunesse désenchantée.
D’un naturel introspectif, il est de plus en plus effrayé par son statut de superstar et réagit de la seule manière qu’il connaisse: se couper du monde pour devenir ensuite accro à l’héroïne. Il tombe alors amoureux de Courtney Love, starlette notoire ayant des velléités d’actrice, et musicienne en marge de la scène rock alternative américaine. Le couple se marie début 1992 et Love accouche le même été d’une petite Frances Bean. Cobain espère que ses nouvelles responsabilités vont le forcer à arrêter la drogue, mais en vain. 1993, Nirvana enregistre un nouvel album, In Utero, mais cette année est marquée par les nombreuses disputes entre Cobain et Love qui nécessiteront souvent l’intervention de la police. Début 1994, le leader de Nirvana fait une overdose de somnifères dans une chambre d’hôtel italienne tandis que Love dort à ses côtés. Il passera quarante-huit heures dans le coma. De retour à Seattle, Cobain disparaît pendant une semaine et Love fait appel à un détective privé pour le pister. Il est finalement retrouvé seul dans sa grande maison sur les hauteurs de Seattle: son attirail de junkie à côté de lui, une lettre d’adieux griffonnée, un pistolet entre les mains et des bouts de cervelle sur le mur.
“Je pensais que l’héroïne était cool car Keith Richards et Iggy Pop en avaient pris. Et puis je me suis rendu compte que ça devenait aussi ennuyeux que respirer.”
Sa mort élève Cobain au rang de martyr du rock; d’une icône prête à l’emploi pour toute une jeunesse désenchantée. Certes, il a appuyé sur la gâchette, mais ses fans préfèrent interpréter ce geste comme le dernier recours confus d’un jeune génie trop sensible pour supporter l’invasion constante des médias. Cobain ressemble à la victime parfaite, tel le Christ, ses yeux tristes et ses fripes symbolisant la pureté de son entreprise à ses fidèles dévoués. En réalité, il n’était qu’un individu parmi tant d’autres, absorbé par sa propre personne, persuadé que la célébrité viendrait comme par magie effacer un passé douloureux. Mais au bout du compte, celle-ci rendait les choses encore plus insupportables. De la même manière, sa dépendance à l’héroïne a été principalement motivée par son désir d’imiter ses idoles. “Je pensais que l’héroïne était cool car Keith Richards et Iggy Pop en avaient pris”, avouait-il en 1993, avant d’ajouter: “Et puis je me suis rendu compte que ça devenait aussi ennuyeux que respirer.”