31 jan 2024

Kay The Prodigy : l’égotrip ravageur d’une rappeuse en pleine ascension

Aux côtés du jeune beatmaker Mezzo Millo, la rappeuse française Kay The Prodigy défend Eastern Wind 2, un EP vrombissant dans lequel elle déploie son flow nonchalant aux placements faussement hasardeux. Sur les traces d’Ateyaba et des stars du rap US, la rappeuse de 23 ans se fraie un chemin dans une industrie en mal d’expérimentation.

Kay The Prodigy, l’ascension d’une rappeuse flegmatique

 

Encore une artiste qu’il va falloir défendre sans utiliser de superlatifs à tort et à travers… Après tout, Kay n’a guère besoin de cela du haut de ses 23 printemps. D’abord parce qu’elle a choisi elle-même son alias laudatif, The Prodigy, sans même penser à Albert Johnson du duo Mobb Deep. Ensuite parce qu’en bonne élève de la scène rap contemporaine, elle se démarque sans peine au sein d’une industrie que les alarmistes estiment sclérosée. Il faut croire que la nonchalance de Kay The Prodigy reste son atout le plus précieux. Une indolence qui se manifeste sur la plupart de ses photos promotionnelles – option grand sourire et doigt d’honneur –, en interview mais aussi en studio. La jeune femme s’adonne à des séances d’enregistrement quasi improvisées, à grand renfort de textes parfois interchangeables, précisons-le. 

 

Kay a grandi avec Louis Armstrong, Nicki Minaj, Young Thug, Lil Wayne, Juicy J, Migos, Chief Keef, ou A$AP Mob… Mais son prodige à elle demeure Ateyaba (autrefois Joke), un outsider du rap français avide d’expériences qui rêvait de changer les flows, les productions et les placements de rimes. Car bon nombre de rappeurs émergents se contentent de plagier les artistes US sans vergogne. Et puisque Kay a grandi avec Ateyaba, elle a compris son langage et respecté sa vision. Quant aux termes crus qu’elle utilise, ils proviennent uniquement d’elle. Un rap vrai, réel, authentique, sans bobards ni fantaisies.

 

– Vous êtes-vous, comme la plupart des artistes, forgée un alter ego pour vous protéger ?

 

– J’ai même trois identités différentes. On pourrait presque parler de personnages. Kay est un alter ego que je n’ai même pas encore découvert complètement. J’ai l’impression de faire de la musique de façon différente chaque jour : une facette en colère, une facette omnisciente et une facette plus… raisonnée.

 

– D’où cette colère provient-elle ?

 

– Ça y est, vous commencez la séance de psy ?
 

– Non, je suis curieux, c’est tout.

 

– Ce que je présente aujourd’hui au public, c’est ce que j’ai fait dans ma chambre pendant des années. Je me posais beaucoup de questions, notamment au sujet de la place de la femme dans le rap. Je me sentais capable d’intégrer ce milieu mais allait-on me permettre d’y pénétrer ? Adopter une “attitude”, c’est quelque chose d’indissociable du rap. Pour honorer le mouvement hip-hop, il fallait que j’en adopte les codes.

 

– Que se serait-il passé dans le cas contraire ?

 

– …

 

Kay s’est autorisée quelques secondes de répit avant de répondre à cette question. Puis dans un éclat de rire elle a glissé : “L’effondrement de la culture.

“Eastern Wind 2”, un EP aux accents soul composé avec le beatmaker Mezzo Millo

 

La jeune femme d’origine malgache a débuté le rap assez tôt, vers l’âge de quinze ans pour être précis. À l’époque, elle officie sans véritable pseudonyme au sein du collectif LDE (Le Dernier étage). Telle une prisonnière de Soundcloud, la rappeuse devra attendre 2021 pour passer un cap. Avec le titre Sentiments, elle opte pour un égotrip licencieux de miss infréquentable. Comme la plupart de ses homologues, Kay a succombé au rythme irrégulier de la drill du sud de Chicago. Fin décembre 2022, elle défend alors un premier EP, Eastern Wind, aux côtés de Mezzo Millo, beatmaker nostalgique d’à peu près tout, “même de la semaine passée” pour reprendre ses propres termes. Le morceau Crime Parfait fait parler d’eux, et les fans rêvent alors d’associer Kay à La Fève ou H JeuneCrack, deux nouveaux venus sur le point d’abandonner leur étiquette de rookie tant le mot “prodige” est balancé à tout va.

 

– Ça y est, c’est terminé le rap lugubre ?

 

– Il est vrai qu’en temps normal, je préfère rapper sur des productions plus sombres, mais je suis passée à autre chose. C’est ça la trap… C’est lugubre, c’est méchant. Vous croyez vraiment qu’on va rapper sur du Chantal Goya ? Quoique, un sample de Bécassine ce serait un banger ! Mais Eastern Wind 2, notre dernier projet n’est pas du tout comme ça. Je crois que j’ai envie de tester une autre couleur de ma palette. C’est une belle évolution vous ne trouvez pas ?

 

Les cinq titres de cet EP renouent quelque peu avec un esprit soul, à grand renfort de placements toujours aussi flegmatiques et des textes toujours aussi crus. Le flow de Kay est désormais aiguisé et perpétue de façon plus habile la tendance longtemps décriée du mumble rap (pour “marmonner”) une technique vocale façonnée par un défaut de prononciation des consonnes. Alors que la fin de l’entretien approche, elle le confesse : cette diction n’est absolument pas volontaire.

 

Eastern Wind 2 de Kay The Prodigy et Mezzo Millo, disponible.