22 nov 2019

Interview: Sudan Archives, la plus moderne des geishas

La chanteuse et violoniste américaine Sudan Archives transcende les genres musicaux. Numéro a rencontré cette geisha des temps modernes lors de sa performance exceptionnelle au Badaboum, elle y présentait son nouvel album “Athena”.

Dans la pénombre du Badaboum, le public s’impatiente, compacté comme dans la ligne 13. Soudain, deux jets de fumée assourdissants plongent la scène dans le brouillard. C’est alors qu’une déesse d’un nouveau genre s’immisce lascivement dans la brume : talons de 20 cm aux pieds, Sudan Archives arbore une tenue déstructurée couleur feu. Ses longues nattes réunies en deux couettes sont entortillées dans des rubans de latex. Et l’une de ses jambes est enserrée par une corde orange qui serpente jusqu’à son genou. Avec grâce, la jeune femme s’approche de son sampler — un instrument qui lui permet de diffuser des sons enregistrés — et déclenche un puissant kick de batterie digitale qui fait trembler toute la salle. Sans un mot, elle saisit son violon électrique avec fermeté et en caresse les cordes pendant 10 minutes. L’Afro-Américaine de 25 ans présente son nouvel album: Athena.

 

Intense et anxiogène, son introduction distille des larsens volontaires et donne le ton à ce concert expérimental qui fascinera la salle pendant plus de deux heures. Du rap au solo classique de violon, en passant par des vocalises R’n’B, Sudan Archives maîtrise, sans défauts, tous les genres. Chef d’un orchestre qui ne compte qu’elle, la jeune virtuose interprète ses morceaux en live et se charge de toutes les sonorités : avec la pointe de son pied, elle active une pédale à effet accordant alors une réelle profondeur aux embardées de son violon ou au grain suave de sa voix. Du haut de ses échasses, elle se balance, violon sur l’épaule, vers sa loop station— générateur de boucles musicales— et ses longs doigts font résonner des séquences enregistrées quelques secondes auparavant. La mélodie orientale de Non’t For Sale inonde le public instantanément, la jeune mélomane se met alors à rapper en susurrant dans son micro.

À mi-chemin entre le show de diva et la performance artistique, Sudan Archives professe de mystérieuses confessions puis fait soudain bondir la foule. D’autant que la violoniste ne manque pas d’humour: elle joue un extrait Des Quatre Saisons de Vivaldi en ondulant de manière sensuelle, tandis qu’un sourire lui fend alors les lèvres. 

 

Numéro : Le violon n’est pas forcément l’instrument le plus facile d’approche, d’où vous vient donc cette passion ?

 

Sudan Archives : Quand j'étais petite, un groupe de violonistes est venu dans mon école, à Cincinnati (Ohio, États-Unis). Ils étaient totalement déjantés et la musique traditionnelle irlandaise qu’ils ont joué avec entrain m’a poussée à me mettre au violon. Je n’avais jamais vu des gens jouer comme ça. Tous étaient debout, jouaient et dansaient en même temps.

 

Vous souvenez-vous de votre premier violon ?

 

C’est mon oncle qui me l’a offert. Il a finalement acheté celui que nous louions tous les mois à un petit luthier de Cincinnati. Je l’apportais vraiment partout. Mais un jour, alors que je l’avais laissé dans la voiture d’une amie, mon violon a tout simplement disparu… comme par magie. J’ai été obligé d’en racheter un autre très peu de temps après. C’est drôle que vous me parliez de cela, car cette même amie est venue me rendre visite il y a un peu moins de deux mois, elle avait dans les mains le vieux violon de mon enfance. Elle l’avait retrouvé à l’arrière de sa vieille voiture, tout poussiéreux. Il était resté des années dans le froid de l’hiver.

 

En novembre vous avez sorti un nouvel album, Athena, pourquoi ce nom emprunté à la mythologie ?

 

J’ai pensé que ça serait intéressant de poser un autre visage sur cette déesse de la Grèce antique. C’est une sorte de créature magique que je voulais absolument incarner. Le contraste entre elle et moi est assez étonnant je trouve. [Rires]

 

Dans le clip de Glorious, vous en jouez carrément…

 

Ce clip est directement inspiré des geishas, un mot qui signifie “femme artiste” en japonais. Je m’y suis fortement intéressée et j’ai compris que devenir une geisha demandait beaucoup de temps et d’entraînement. En tant que musicienne autodidacte, je me suis vraiment retrouvée dans cette définition. Ces femmes magnifiques font l’objet de nombreuses convoitises mais elles s’en foutent car elles ont mis tellement de temps à devenir ce qu’elles sont. Le clip est comme les geishas, il n’est pas simplement sexy, il est très travaillé.

 

Comment vous est venue l’envie de collaborer avec le rappeur D-Eight, présent dans le titre Glorious ?

 

Je le connais depuis très longtemps. À Cincinnati je traînais pas mal avec des rappeurs, lui faisait partie de mon cercle d’amis quand j’ai commencé à composer de la musique moi-même. J’y ai repensé et je me suis dit que ça serait vraiment cool de faire une sorte de retour aux sources, de travailler avec quelqu’un, qui comme moi vient de l’Ohio. Je voulais leur rendre hommage en quelque sorte.

 

Envisagez-vous de nouvelles collaborations avec des rappeurs ? 

 

J’ai plutôt pensé à produire de la musique pour d’autres rappeurs, comme Timbaland, une de mes plus grandes inspirations. Travailler avec lui serait définitivement mon plus grand rêve.

 

Pouvez-vous nous en dire davantage sur vos futurs projets ? 

 

En ce moment avec ma tournée européenne, je n’ai vraiment pas une minute à moi. Mais je sais que j’ai envie de quelque chose de plus rapide… que ma musique soit plus rapide. Je suis très inspirée par la techno, le disco et la house en ce moment. J’y intégrerai certainement des éléments dans mes prochaines compositions.