Rencontre avec Dove Cameron : “On reproche sans cesse aux femmes d’être too much”
L’autrice-compositrice-interprète américaine Dove Cameron, 29 ans, fait partie de ces rares artistes à s’être autant imposés dans la musique que dans le cinéma. Alors qu’elle vient de sortir un nouveau single dance-pop vivifiant, Too Much, elle se confie à Numéro sur son passé de star Disney et sur les attentes, irréalistes, qui pèsent sur les femmes.
propos recueillis par Violaine Schütz.
L’interview de l’actrice et chanteuse Dove Cameron
Numéro : Vous venez de sortir un single intitulé Too Much qui semble exhorter les femmes à oser être elles-mêmes et à ne pas excuser d’en faire trop. Est-ce qu’on peut le voir comme un hymne féministe ?
Dove Cameron : Je pense que oui. Il m’a fallu beaucoup de temps pour réaliser que j’étais coincée dans cette croyance partagée, il me semble, par beaucoup de femmes, selon laquelle on est toujours à la limite d’être dans l’excès et d’être inacceptable. Cette chanson parle d’un certain nombre d’expériences personnelles que j’ai vécues, mais, plus généralement, c’est une expérience féminine. On nous dit toujours que l’on est trop ceci ou trop cela. On nous reproche de parler trop fort, d’être trop grosse, trop petite, trop intelligente, trop franche, trop drôle, bref, d’en faire trop et d’être too much. C’est comme si on vous disait sans cesse que la meilleure version de vous-même était une version légèrement réduite de ce que vous êtes. Je n’entends jamais ça, autour de moi, à propos des hommes. Cela ne veut pas dire que les hommes ne vivent pas ce genre de jugements. Ce n’est pas parce que c’est un problème pour les femmes, que cela n’existe pas pour les hommes. Je pense juste que cela existe dans une bien plus large mesure pour les femmes.
On reproche en effet moins aux hommes d’en faire trop…
J’ai lu l’autre jour un article qui parlait de la colère féminine et de la façon dont la colère masculine fonctionnait différemment. L’article évoquait une étude qui montrait que lorsque les hommes se mettent en colère, ils se sentent puissants. C’est quelque chose qui leur donne la force de passer à l’étape suivante et de reprendre le contrôle. Tandis que lorsque les femmes ressentent de la colère, elles se sentent hors de contrôle, en danger, et prises dans une spirale infernale. Je pense vraiment que c’est parce que, historiquement, les femmes ont reçu des réactions négatives chaque fois qu’elles s’exprimaient plus que ce que le public jugeait acceptable. C’est quelque chose dont j’ai été complice pendant longtemps, et mes relations amoureuses ont encouragé ça de manière importante. Je n’ai pas remarqué que cela se produisait jusqu’à ce que je sois célibataire assez longtemps pour réaliser tout le chemin que je devais parcourir par moi-même à ce sujet. Puis, lorsque j’ai rencontré mon partenaire actuel (Damiano David, le chanteur du groupe Måneskin, ndlr) ainsi que mes amis et que ma communauté s’est étoffée, j’ai réalisé que, comme une éponge, je suis devenue plus grande.
“Je n’ai jamais subi de restrictions de la part de Disney.” Dove Cameron
Que voulez-vous dire par là ?
Cela m’a fait réaliser que lorsque vous êtes dans un environnement sain et que les gens veulent que vous soyez grand et que vous vous exprimiez, et qu’ils vous aiment pour tout ce que vous êtes, et pas pour de petits morceaux de vous, vous prenez naturellement plus de place. J’ai alors repensé à toutes mes relations précédentes et je me suis dit : « Non, ce n’était pas moi. » Lorsqu’on me disait tout le temps d’être petite, ce n’était pas parce que j’étais trop large. C’était parce qu’on s’attendait à ce que je sois quelque chose d’anormal, d’injuste et de dénué d’amour.
Vous avez commencé votre carrière en étant une star Disney, jouant dans des programmes diffusé sur Disney Channel (Liv et Maddie, Descendants). Est-ce que vous aviez l’impression qu’on voulait vous faire entrer dans un moule ?
Je trouve toujours les conversations sur Disney vraiment intéressantes. Mais je n’ai jamais subi de restrictions de la part de l’entreprise elle-même. Ils ne veulent pas que vous vous comportiez d’une manière qui dénature l’entreprise, mais je ne voulais pas non plus faire ça. Je n’avais aucune envie de me rebeller contre mon image Disney, car je travaillais pour cette entreprise. Mais ça aurait été le cas pour n’importe quelle autre boîte. Lorsqu’on travaille dans une entreprise, quel que soit le poste que l’on occupe, on reflète son univers. J’avais 15 ou 16 ans quand j’ai débarqué chez Disney et cette époque est un peu floue car on tournait beaucoup. Mais je ne me sentais pas déprimée par le studio.
“Quand j’ai fait mon coming out en tant que femme bisexuelle, c’est simplement parce que c’est ce que je suis.” Dove Cameron
Et qu’en est-il de vos fans qui vous suivent depuis vos aventures Disney (puis Marvel) ?
J’avais le sentiment qu’il y avait des attentes du public à mon égard après mon départ de Disney, ce qui, même si cela peut paraître idiot à dire aujourd’hui, a été une véritable surprise pour moi. J’avais l’impression d’être en phase avec ce que l’entreprise et le public attendaient de moi durant mon travail chez Disney. Et j’étais très mature pour mon âge. J’ai travaillé avec eux pendant très longtemps et j’avais le sentiment d’honorer cette relation. J’ai vraiment donné au public ce qu’il attend d’une star Disney. Ça ne me posait aucun problème. C’était naturel pour moi. Je me disais simplement : “Si je travaille ici, tant mieux.”
En quittant Disney, les choses n’ont-elles pas changé ?
Quand je suis partie, j’étais encore dans ce milieu pendant un moment car la série Liv et Maddie était encore diffusée sur Disney Channel. J’étais en quête de mon identité et j’avais une vingtaine d’années. C’est vraiment fou de dire ça, mais ça fait neuf ans que je ne suis plus chez Disney et j’ai presque 30 ans mais on me parle toujours de mon image Disney. Il y a des choses que font les gens normaux dans leur vingtaine ou dans leur trentaine comme porter des bikinis, boire un verre de vin, aller à Las Vegas ou porter des jupes plus courtes qu’on ne veut pas voir chez une star échappée de Disney. Je suis toujours choquée de ce que je peux lire sur moi car je suis la fille plus ennuyeuse et la plus stable qui soit.
Pourtant, dans vos clips et sur les tapis rouges, vous renvoyez une image assez wild et rock…
Je ne sors pas, reste souvent chez moi, ne me drogue pas, suis très straight edge et discrète. Je ne fais pas grand-chose. Pour résumer, je travaille et je sors avec les quelques amis que j’ai. Pourtant, il y a toujours ces énormes histoires dans les magazines avec pour titres : “Dove Cameron essaie de casser son image de star Disney.” J’ai envie de leur répondre : “Les gars, je ne suis pas allée sur un tournage Disney depuis neuf ans. Je vis ma vie, tout simplement. Et je la vis pleinement.” Je peux dire avec assurance que rien de ce que j’ai fait jusqu’ici n’a été imaginé dans le but de sortir de mon image Disney. Quand j’ai fait mon coming out en tant que femme bisexuelle, c’est simplement parce que c’est ce que je suis. Quand j’ai teint mes cheveux en noir et que j’ai mis plus d’eye-liner, je n’ai pas vraiment vu ça comme une tentative de rébellion. Ce sont des choses très légères et spontanées pour moi.
“Il y a eu des pays et des cultures où les femmes étaient dirigeantes et la nudité n’était jamais bizarre.” Dove Cameron
Pensez-vous que cela est dû à votre genre ?
Oui, je pense qu’il y a une limitation imposée aux femmes, en général, par le public. Ce complexe de pureté que les gens ont concernant les femmes, l’idée qu’on ne peut pas se faire tatouer, fumer une cigarette, boire un verre de vin ou aller topless sur une plage où tout le monde est torse nu… C’est quelque chose qui s’applique strictement aux femmes et qui est en fait très puritain et dépassé.
J’ai l’impression, qu’en tant que journaliste, nous jouons un grand rôle dans tout ça…
Les racines du concept selon lequel les femmes sont des possessions sont très profondes. Si l’on remonte au moment où ces choses ont été mises en place, avant que l’on commence à penser les femmes comme une propriété, ces idées n’existaient pas. Il y a eu des pays et des cultures où les femmes étaient dirigeantes (selon un système matriarcal) et la nudité n’était jamais jugée comme bizarre. Il y avait beaucoup plus de respect pour les femmes dans de nombreuses cultures anciennes, dans certaines parties du monde. Puis, on a tous progressivement adopté cette idée qu’il fallait qu’elles appartiennent à quelqu’un. Beaucoup de gens pensent encore ainsi…
Il suffit de regarder les commentaires faits, en ligne, sur les pop stars féminines…
Car je vois tellement d’hommes en ligne demander à des femmes : “Quelles sont vos limites ?” Et beaucoup d’hommes ne voient pas ce qui est simplement la réalité quotidienne des femmes soumises à des attentes tacites continuelles. Il y a non seulement des limitations très réelles imposées aux femmes, qui sont mondiales, légales, et qui se produisent actuellement, mais aussi des droits qui sont remis en question. Le quotidien des femmes est tellement oppressant, répressif. Et il en va de même pour les personnes queer.
“C’est lugubre pour tout le monde aux États-Unis, en ce moment, pour être honnête.” Dove Cameron
Et avec Donald Trump au pouvoir, le tableau se noircit un peu plus concernant ces droits…
C’est vraiment sombre en ce moment pour les femmes, et les minorités. En fait, c’est lugubre pour tout le monde aux États-Unis, en ce moment, pour être honnête.
Est-ce que ce sera le sujet de votre prochain album ?
En partie. Par ces temps sombres, ça peut paraître idiot, mais la joie est la rébellion. L’expression de soi, le sens de la communauté, la musique et les arts en général, rassemblent les gens, leur donnent quelque chose à quoi se connecter émotionnellement. Cela peut sembler être une toute petite fléchette sur une carte de la taille d’un terrain de football, mais c’est vraiment le cas. Ça compte vraiment. J’ai vraiment recherché la joie en cette période difficile. C’est en partie pour ça que je suis en train d’écrire un album si pop et dance.
Après votre premier album Alchemical: Volume 1, sorti en 2023, à quoi ressemblera votre nouvel opus ?
Je travaille sur un tout nouvel album qui ne sera pas un volume 2 d’Alchemical.… La joie sera au cœur de ce projet tout comme l’expression personnelle, l’évolution, l’irrévérence, le camp, la légèreté et le fun. Le disque est composé à 50% de chansons dance-pop, tandis que l’autre moitié est constituée de ballades. Il y a beaucoup de variations sur cet album.
“J’avais envie d’un style un peu plus osé, parce que j’ai tendance à être très raffinée.” Dove Cameron
Pourriez-vous nous parler de l’esthétique qui accompagne ce nouvel album, notamment de vos nouvelles photos et la vidéo de Too Much réalisée par la mannequin Richie Shazam ?
Richie est entrée dans ma vie il y a quelques années, quand elle m’a photographiée pour le magazine Interview. Elle est tellement talentueuse et intelligente. Elle déborde toujours d’idées et on a eu un coup de foudre immédiat. Je voulais qu’elle se penche sur ce projet parce qu’il est très pop. J’avais envie qu’elle me crée un style un peu plus osé, parce que j’ai tendance à être très raffinée. C’est comme une zone de sécurité pour moi. Richie est très brute, animale et créative, ce qui me fait sortir de moi-même. Le jour où on a photographié tous ces visuels, on parlait juste de notre envie d’être dans la nature. On était dans la boue, le foin et la terre (avec une tortue), et c’était vraiment amusant. Cela lié à l’importance pour nous, de se sentir connectés à l’humanité et de ne pas faire des choses trop policés, ce qui nous épuise tous. C’est une façon de rendre la musique pop un peu plus humaine pour lui donner une couleur différente.
Vous allez jouer dans une série Prime Video intitulée Obsession qui parle d’une histoire d’amour qui vire au drame criminel…
Oui, on a tourné la série de juin à octobre 2024. C’était une expérience vraiment très amusante, intense et pleine de rebondissements pour moi. J’étais vraiment attirée par le scénario, qui est l’adaptation d’un livre. Le personnage de Ciara est l’un des plus fascinants que j’aie jamais lus. Il y a tellement de bons scénarios qui arrivent, mais ils ne sont pas assez différents pour que je fasse une pause dans ma carrière musicale. C’est d’ailleurs ce qui a retardé mon nouvel album. Il serait sans doute sorti un peu plus tôt, mais je ne pouvais pas refuser ce projet de série. Ça a vraiment été difficile de tenter de faire les deux en même temps.
“C’était ma première expérience de nudité à l’écran, ce que j’avais toujours voulu faire, mais cela me faisait tellement peur.” Dove Cameron
Que pouvez-vous nous révéler au sujet de la série ?
C’était ma première expérience de nudité, ce que j’avais toujours voulu faire, mais cela me faisait tellement peur, en même temps. Je me disais : “Je peux probablement tout faire pour un rôle, mais pas ça.” Ça a toujours été mon angoisse pour plein de raisons, dont certaines étaient purement misogynes. Je me disais : “Je vais me faire guillotiner. Tout le monde va me détester.” Et puis, il y avait aussi les autres qui me disaient : “Elle fait ça juste pour sortir de l’univers Disney.” Mais avant de travailler chez Disney, j’ai grandi en regardant des films d’auteur. Des films où il y avait de la nudité. Je me disais alors : “Waouh, ces actrices sont tellement courageuses et belles. Quelle force ! C’est si cool qu’elles puissent faire ça !” Quand j’étais plus jeune, je me disais que si je devenais actrice un jour, je ne devrais avoir aucune limite.
Et Obsession représentait le bon projet pour vous mettre à nu…
J’ai toujours dit que je voulais réaliser ce qui me faisait peur, et je ne pouvais pas vraiment dire non à ce scénario qui était vraiment bon. Ça m’est tombé dessus comme ça. Je suis revenue vers l’équipe créative de la série et j’ai précisé ce que je voulais faire du rôle, et ils m’ont répondu : “C’est exactement ce à quoi on pensait.” Puis, je me suis dit que ce serait plus fou de dire non que de dire oui. Au final, c’était une expérience tellement belle. Je suis impatiente de voir le résultat.
Aujourd’hui, vous considérez-vous plus comme une chanteuse ou une actrice ?
C’est drôle parce que je crois que j’ai toujours eu les deux. C’est comme si on avait un travail principal qu’on aimait ainsi qu’un hobby qu’on aimait aussi. Si on a un travail qu’on aime, on n’essaie pas de s’enfuir pour pratiquer son hobby. On aime vraiment les deux. J’ai juste la chance d’avoir pu pratiquer les deux activités professionnellement. Mais avec la sortie de mon prochain album et l’année qui s’annonce, ça va être une année musicale très chargée pour moi. Je vais faire des choses que je n’avais jamais tentées auparavant. Le morceau Boyfriend a changé ma vie à ce niveau-là. C’était la première chanson que j’ai vraiment écrite moi-même et elle a rencontré un succès phénoménal. Ensuite, j’ai arrêté durant un petit moment, car je voulais savoir où j’avais envie d’aller. Puis Alchemical: Volume 1 est arrivé et c’était une belle expérience. Mais je n’étais pas vraiment sûre que c’était la direction que je voulais prendre.
Votre prochain album sera-t-il plus personnel ?
Franchement, c’est la première fois que j’enregistre un album entier, que je choisis mon premier single, que je donne une direction visuelle à l’ensemble et que j’ai une année entière de prévue pour le promouvoir. Je sais ce qui m’attend, même je ne peux encore rien dire. Sauf que ça va être excitant. Donc cette année, je serais plutôt musicienne. Et quand la série Obsession sortira, je redeviendrai actrice (rires).
Too Much de Dove Cameron, disponible.