Rencontre avec Clara Luciani : “Ça a été un vrai bras de fer d’apprendre à être plus douce envers moi-même”
Après deux albums très réussis au succès tonitruant, la charismatique et talentueuse auteure-compositrice-interprète française Clara Luciani publie un nouvel album touchant, rock et très intime, Mon sang, ce vendredi 15 novembre 2024. Elle y parle, avec joie et mélancolie, de son enfant, d’amour, de transmission et de ses débuts dans la musique. L’occasion d’une rencontre passionnée avec l’une des artistes les plus palpitantes de la chanson hexagonale.
propos recueillis par Violaine Schütz.
L’interview de la chanteuse Clara Luciani, qui sort l’album Mon sang
Numéro : Pourquoi avoir choisi d’appeler cet album Mon sang qui fait à la fois référence aux liens familiaux mais aussi à l’hémoglobine, une substance qui peut faire peur…
Clara Luciani : Je me rends compte que c’est un mot qui met beaucoup de gens mal à l’aise. La vision du sang effraie et peut dégouter. Mais le sang, c’est la vie. Pour moi, c’est un mot assez positif, qui symbolise la transmission. Je trouve ça fascinant toutes les histoires d’ADN. Quand j’ai su que j’attendais un enfant, ça a beaucoup remué chez moi des questions identitaires. J’allais regarder de vieilles photos chez mes parents et j’ai découvert des tantes siciliennes de ma maman qui me ressemblent comme deux gouttes d’eau. C’est quand même dingue de porter un héritage en permanence. Je suis même partie dans des délires un peu plus mystiques en me demandant si on ne portait pas une espèce de mémoire commune, qu’on n’arrive pas encore trop à expliquer, comme en psycho-généalogie. J’assume mon côté « sorcière ».
On parle souvent de la pression qui pèse sur les artistes au moment du deuxième album. Mais qu’en est-il pour le troisième ?
Si vous saviez à quel point c’est compliqué de revenir. Je trouve que c’est surtout le troisième album qui est problématique. Alex Kapranos (chanteur du groupe Franz Ferdinand et compagnon de Clara Luciani, ndlr) m’a dit un truc que j’ai trouvé à la fois très drôle et déprimant. Il m’a expliqué : “Le premier album, tout le monde te dit : “C’est nouveau, j’en veux”. Le deuxième album, on te dit : “Give me more”. Et le troisième album, on te demande : “Qu’est-ce que tu fais encore là ?”.” Ça m’a fait beaucoup rire et de toute façon, je me rends compte, en vieillissant, que prendre les choses avec un peu d’humour, ça règle pas mal de problèmes. Je garde donc cette phrase d’Alex bien en tête.
“Je crois que j’ai un peu fait une overdose de paillettes.” Clara Luciani
Votre sœur, la chanteuse Ehla, dit que Mon sang est l’album qui vous ressemble le plus. Et elle a enregistré des chœurs sur ce disque…
Oui ma sœur a fait plein de chœurs à plein d’endroits sur ce disque, notamment au début de la chanson Mon sang avec mon père et ma mère qui n’avaient jamais chanté dans un studio. Ils étaient stressés et ma mère était très excitée par le fait d’être au studio Ferber avec un casque audio. Elle m’a même demandé des photos pour créer des contents vidéos pour montrer à ses copines sur les réseaux sociaux. C’était trop mignon. Et pour moi, c’était super important pour moi de capturer cet instant-là.
On n’entend pas votre enfant, par contre, sur Mon sang ?
Non. Il n’était pas né au même de l’enregistrement du disque. Et je crois que c’est un peu là que s’arrête mon exhibitionnisme. J’ai envie de le protéger quand même. Finalement, je ne dis rien sur cet enfant dans cet album alors que je ressentais déjà une immense vague d’amour pour lui sans l’avoir rencontré. Si aujourd’hui, je devais écrire sur lui, je trouverais ça extrêmement impudique et j’aurais beaucoup de mal.
Est-ce qu’en devenant mère, vous réfléchissez à ce que vous laissez comme héritage ? Est-ce que cela vous pousse à essayer d’écrire des chansons très intemporelles ?
Je ne sais pas si c’était conscient mais en termes de son, je suis allée vraiment à l’essentiel et je crois que c’est un peu ça le secret de l’intemporel : créer des basiques. Et c’est la même chose dans la mode. Le look de James Dean sera toujours moderne. Même sur la pochette, j’ai cherché à renouer avec la simplicité. Peut-être que c’est ce qui vieillit le mieux.
“Je me suis rendue compte que savoir être heureuse, c’est savoir être heureuse seule.” Clara Luciani
Les visuels de ce disque sont plus épurés et vous avez laissé au placard vos vestes à paillettes, qui étaient devenues votre armure sur scène…
Je crois que j’ai un peu fait une overdose de paillettes. J’ai adoré mettre mes vestes à paillettes et défendre cet album clairement disco (Cœur, sorti en 2021). Le niveau de fête sur scène était complètement dingue. Mais j’ai envie de faire autre chose. Je crois que ce qui me définit, ce ne sont pas mes accoutrements. Et ce qui fait vraiment qui je suis se trouve ailleurs. Je l’espère, en tout cas. C’est pour ça que je me permets autre chose (notamment plus de simplicité) sur ce disque. Et j’ai l’impression que ceux qui aiment vraiment ce que je fais peuvent m’y retrouver. Avec ou sans paillettes et peu importe aussi les arrangements des chansons, parce que ce qui me définit, ce ne sont pas une batterie disco ou des violons, mais plutôt ma voix et mes textes.
Est-ce que mettre au monde un album, c’est comme enfanter un enfant ?
Oui, c’était quand même vraiment hyper métaphorique. J’allais tous les jours au studio et je me mettais 40 minutes à la fin, pour faire le trajet qui durait normalement 20 minutes. J’avais l’impression que ce trajet me rapprochait toujours plus de mon enfant et de mon album à la fois. Et je sentais les deux grandir en moi. C’était assez fort émotionnellement.
“Concernant la génération de nos mères, il y avait quelque chose de presque mystique autour de la grossesse. On n’en parlait pas trop.” Clara Luciani
J’ai été très émue par votre chanson Seule, présente sur votre nouvel album…
La notion de solitude et le goût pour la solitude reviennent beaucoup sur ce disque-là. Je me suis demandé pourquoi et je pense qu’inconsciemment, j’ai fait cette ode à la solitude parce que je savais que j’allais la perdre. Je m’étais préparée à ne plus jamais être seule en me disant : “Il va y avoir en permanence une petite créature qui va te suivre partout.” Quand on est artiste, on a un rapport complexe à la solitude : on la redoute parce qu’elle nous met en face de nos démons, mais on ne peut pas écrire sans elle. Et puis, je me suis rendue compte que savoir être heureuse, c’est savoir être heureuse seule, aussi. C’est super important pour moi d’arrêter de vouloir constamment être entourée. J’ai compris tout ça au moment où j’allais perdre cette possibilité d’être seule. Donc, peut-être que cette chanson trahit la volonté de garder un peu cette solitude.
Vos chansons consolent beaucoup d’âmes solitaires. Est-ce que la maternité vous a éloigné de vos états d’âme et complexes ?
Je me sens plus sûre de moi. Mais si la maternité guérissait de tout, on ferait tous des enfants très vite… J’adorerais pouvoir dire que je ne suis plus mélancolique parce que j’ai un enfant, mais c’est faux. Je reste celle que je suis. La grossesse, c’est aussi un moment mélancolique et introspectif. Même si Instagram veut nous faire croire que c’est un moment où on plie de toutes petites chaussettes en se touchant le ventre, en portant des robes à fleurs. C’est un roller coaster émotionnel qui peut être éprouvant et ça peut être très dur d’être enceinte. Je trouve ça génial qu’on fasse aussi partie d’une génération où c’est ok de dire ça. J’ai beaucoup écouté le podcast Bliss Stories qui désacralise la grossesse et dans lequel on entend plein de femmes expliquer qu’elles n’ont pas aimé être enceinte et qu’elles ont trouvé ça long, vers la fin. Concernant la génération de nos mères, il y avait quelque chose de presque mystique autour de la grossesse. On n’en parlait pas trop, surtout de l’accouchement. Et il ne fallait surtout pas dire que c’était compliqué.
“Ça a été un vrai bras de fer d’apprendre à être plus douce envers moi-même.” Clara Luciani
Il y a d’ailleurs toujours un aspect mélancolique sur certains titres de cet album, à l’instar de Romance…
Quand j’ai commencé à écrire cet album, j’espérais que ça n’allait pas être quelque chose de mièvre. Parce que la grossesse est un événement qui te pousse dans tes retranchements, dans une quête identitaire et c’est beaucoup plus profond et complexe que ce que ça semble être. Et ce disque raconte ça : il y a plein des vagues d’amour immenses qui ont motivé l’écriture de Tout pour moi ou Cette vie, qui sont des chansons très positives. Mais il y a aussi des morceaux plus tristes…
Pourriez-vous me parler de la chanson Chagrin d’ami ?
C’est une chanson qui évoque un ami que j’ai perdu. Ça a été extrêmement pénible pour moi. Et je me suis rendue compte qu’il n’y a pas vraiment de chansons tristes qui parlent de l’amitié (à part Dear Friends de Paul McCartney, dont je suis ultra fan, ou L’Amitié de Françoise Hardy). Alors qu’il existe de nombreuses chansons parlant de chagrin d’amour. Quand on a le cœur brisé par un chagrin d’amour, on peut trouver une chanson de chagrin d’amour par album. Par contre, on ne parle pas beaucoup de l’amitié.
Vous dites que vous avez gagné en confiance depuis vos débuts. Est-ce qu’on peut parler de l’album de la maturité ?
Plutôt de l’album de la réconciliation ou de la résilience. Mais il y a toujours quelque chose de l’ordre du combat chez moi. Ça ne s’est pas fait avec douceur. Il a fallu que je me fasse violence. Ça a été un vrai bras de fer d’apprendre à être plus douce envers moi-même.
“Je pense souvent à la Clara qui n’aurait pas déménagé à Paris et serait restée à Aix.” Clara Luciani
Sur cet album, vous revenez à vos premières amours : le rock avec des allusions aux Wings et aux Pixies. Et vous partagez la vie du leader d’un groupe de rock, Alex Kapranos. Est-ce qu’il a pesé dans ce retour à ce genre musical ?
En fait, je ne connaissais pas Alex quand j’ai fait mon premier EP, qui était rock, donc j’ai l’impression de simplement avoir renoué avec un style musical qui me définissait déjà, avec mes premières amours. Après, je suis d’accord que quand on vit avec quelqu’un, on finit par lui emprunter des choses… On s’inspire des gens qu’on aime, famille comme amis. Il y a des moments où je parle comme mes amis et où je m’habille comme ma sœur et je ne m’en rends même pas compte. Et puis aussi, c’est un album qui va chercher dans mes racines, qui raconte des expériences de mon passé, comme mes débuts dans la musique (sur le titre Allez). Or la BO de mon passé, c’est le rock.
Vous avez invité un chanteur canado-américain très rock, Rufus Wainwright, sur l’un de vos nouveaux morceaux, Forget me not…
Je trouvais beau d’aller chercher un artiste qui est à l’autre bout de la planète et qui parle anglais pour cette chanson qui raconte mon histoire personnelle. On ne pouvait pas être physiquement plus loin au moment où il recevait cette demande de collaboration. Après, il est venu à Paris enregistrer puisqu’il devait travailler sur un opéra, mais j’aimais que ce duo, ce long distance call. Aux débuts de notre histoire d’amour avec Alex (Kapranos), c’était presque une relation épistolaire, parce qu’on est tous les deux beaucoup en tournée.
Est-ce vous vous demandez parfois qui vous seriez devenue si vous n’aviez pas réussi dans la musique ?
En fait, je pense souvent à la Clara qui n’aurait pas déménagé à Paris et serait restée à Aix. Je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je ne sais pas faire beaucoup de choses. J’adore écrire. Mais est-ce que j’aurais réussi à écrire un livre, un roman ? Mais peut-être que j’aurais voulu être pâtissière…
“La nouvelle génération prend beaucoup plus au sérieux la santé mentale… La parole s’est libérée, ce que je trouve génial.” Clara Luciani
Françoise Hardy, qui a été votre bonne fée, est partie cette année…
Ça m’a fait beaucoup de peine parce que je me suis dit que c’est triste un monde où l’on n’entendra plus jamais la voix de Françoise Hardy en live. Après, cela faisait quelques années, malheureusement, qu’elle était malade et qu’elle ne pouvait pas chanter. C’est la seule chose qui a rendu son départ un tout petit peu moins douloureux pour moi. Je me suis dit que ces dernières années étaient tellement faites de souffrance pour elle et que, quelque part, elle était enfin en paix. Je me répétais ça tous les jours pour essayer d’atténuer ma tristesse.
Vous êtes marraine de la nouvelle édition de la Star Academy. Que représente ce rôle pour vous ?
Mon nouvel album est traversé par l’idée de la transmission et je trouvais que ce rôle de marraine de la Star Academy faisait écho à ça. Cela me permet de raconter mes expériences, mes débuts dans la musique, les erreurs que j’ai faites, etc. La médiatisation soudaine peut être assez dure et violent comme expérience pour ces jeunes de 18 à 22 ans, qui vivent pourtant quelque chose de magnifique. Tout à coup, des gens crient leur noms à la sortie des primes. C’est fou. Quand je vais au château, ce qui m’intéresse le plus, c’est de leur parler de ça et d’essayer de comprendre leur mentalité.
On fait beaucoup plus attention à ça aujourd’hui…
Oui, les anciennes générations prenaient ça beaucoup trop à la légère alors que la nouvelle génération prend plus au sérieux la santé mentale… La parole s’est libérée, ce que je trouve génial. Et puis, j’aime bien aussi l’idée d’être un peu la bonne fée, tu sais, la marraine, un peu comme dans Peau d’Âne. J’adorais pouvoir arriver sur les primes dans les robes incroyables du film de Jacques Demy. Avec une petite baguette magique. Malheureusement, ça n’a pas été accepté (rires).
“J’ai du mal à trouver un sens à la vie sans prendre soin des autres parce que c’est comme ça que j’ai été élevée.” Clara Luciani
Quels conseils leur donnez-vous ?
Au-delà des conseils sur la présence scénique et sur la manière dont on peut gérer son trac, ce qui m’intéresse vraiment, c’est de leur donner des clés pour se protéger. Parce que j’estime avoir atteint un certain savoir-faire en la matière. Déjà, je leur dis de ne pas s’habituer à la célébrité et d’accueillir le succès tout en gardant en tête que c’est un petit papillon qui peut s’envoler aussi vite qu’il est arrivé. Mais ça ne doit pas gâcher non plus le plaisir de l’instant. C’est très compliqué et c’est quelque chose que j’ai réussi à comprendre récemment. Et puis aussi, je leur dis qu’il faut vraiment continuer à être fidèles à eux-mêmes et rester honnêtes dans leur création. Il ne doivent pas se laisser influencer par une certaine idée du succès ou par des modes. Cela donne lieu à des conversations vraiment intéressantes.
Vous êtes marraine de la Maison des femmes à Marseille et vous collaborez avec l’UNICEF. Est-ce que cet engagement vous vient de votre mère, qui est aide-soignante ?
Oui, je pense. Ma mère, c’est la caretaker par excellence. Elle a toujours pris énormément soin des gens et elle a toujours été dans le soin, l’accompagnement. Et je crois qu’elle m’a vraiment transmis ça. J’ai du mal à trouver un sens à la vie sans prendre soin des autres parce que c’est comme ça que j’ai été élevée. Ma mère m’a sans cesse répété que c’était un peu le sens de la vie et que c’était comme ça qu’on était heureux. En dézoomant et en étant altruiste.
Vous allez faire vos débuts au cinéma dans le film Joli Joli, qui sortira au cinéma le 25 décembre 2024…
C’est une comédie musicale qui se passe en 1977. Je joue une comédienne qui croise le chemin d’un écrivain fauché (entre Rome et Paris) et je chante dedans. J’ai beaucoup travaillé, avec un coach, car j’avais peur de sonner faux. J’appréhendais un peu l’exercice car c’est ma première fois au cinéma. Pour moi, sonner faux au cinéma, c’est comme chanter faux. C’est un peu la honte. J’ai adoré l’expérience, l’équipe, les acteurs… J’aime bien l’idée d’arriver dans ma trentaine et de me dire qu’il y a encore plein de trucs que je n’ai pas fait, que je peux me surprendre. Et puis, ça m’a rendu fière de moi. Et rien que pour cette raison-là, ça valait le coup de le faire. C’est un un ego boost d’être capable de faire ça et je crois que j’en avais besoin à un moment où je m’apprêtais à revenir avec mon nouveau disque.
Mon sang (2024) de Clara Luciani, disponible le 15 novembre 2024. Joli Joli (2024) de Diastème, avec Clara Luciani, William Lebghil, José Garcia et Laura Felpin, au cinéma le 25 décembre 2024.