Hommage à Q Lazzarus, la mystérieuse chanteuse rendue culte grâce au thriller « Le Silence des agneaux »
Ce jeudi 18 août, le média musical anglais Stereogum nous apprenait la disparition de Q Lazzarus, chanteuse et musicienne américaine mystérieuse qui a fasciné l’industrie de la musique pendant des décennies. Retour sur un mythe qui continue d’hanter les mélomanes qui l’ont découverte grâce à la bande-son du thriller culte Le Silence des agneaux, en 1991. Ou bien plus tard, dans un beau film de la maison Gucci.
Par Violaine Schütz.
L’information apparaît nimbée de mystère, à l’image de celui qui entoure le nom de Q Lazzarus. Ce jeudi 18 août, le média musical anglais Stereogum nous apprenait la disparition de la chanteuse américaine à la voix de contralto poignante du groupe Q Lazzarus and the Resurrection, qui était aussi pianiste et guitariste, en juillet dernier. Une courte nécrologie de Diane Luckey (de son vrai nom), est en effet apparue discrètement sur la toile quelques semaines plus tôt, sans stipuler de cause de décès. Une autre nécrologie indique simplement une maladie. L’artiste avait 59 ans (contrairement à ce qui est écrit sur sa page Wikipédia américaine), mais elle n’a pas délivré tous ses secrets.
Q Lazzarus reste l’une des énigmes les plus fascinantes de l’industrie musicale. Un mythe qui a fait couleur beaucoup d’encre. On connaît surtout de ce groupe un morceau,Goodbye Horses, sorti en 1988 et dont le clip (datant de 1987) est apparu sur YouTube en 2017. Ce titre synthpop est devenu un tube underground en 1991 (qui a depuis été écouté 50 millions de fois sur YouTube) grâce à sa présence dans le terrifiant thriller Le Silence des agneaux de Jonathan Demme mettant en scène Jodie Foster. Pendant une séquence phare, le serial killer Buffalo Bill se maquille et danse nu devant une caméra vidéo, tandis que retentissent les notes synthétiques hypnotiques du morceau.
Beaucoup ont cru pendant longtemps que la voix de Q Lazzarus était celle d’un homme blanc appartenant au mouvement new wave. Même si sur la pochette du single, on voyait une femme arborant un grand chapeau. C’est bien plus tard, dans les années 2000 et 2010, quand des journalistes (notamment du magazine Dazed and Confused) et des fans discutant sur des forums ont commencé à enquêter à son sujet, que le mystère commença à être déchiffré.
Peu à peu, on apprit que la voix envoûtante appartenait en fait à Diane Luckey, une chanteuse et musicienne noire à la voix androgyne arborant des dreadlocks qui lui auraient fermé bien des portes de maisons de disques. Jamais signée sur un label, l’Américaine a été choriste, compositrice de jingles de publicités, elle a produit des morceaux house et écrit des chansons rock en Angleterre. Parmi ses petits boulots, elle a aussi été femme de ménage, fille au pair et a travaillé sur un bateau de pêche en Alaska avant de devenir conductrice de taxi. C’est par cette dernière activité qu’elle rencontra le réalisateur Jonathan Demme, le faisant monter dans son véhicule alors que grondait une impressionnante tempête de neige. Nous sommes alors dans les années 80, à New York et on imagine une scène digne du long-métrage Night on Earth (1991) de Jim Jarmusch dans lequel Winona Ryder conduit une voiture de taxi en dégageant une aura cool très séduisante.
Quand Q Lazzarus joue l’une de ses démos sur une cassette, dans l’autoradio, le cinéaste est bluffé. “C’est vous qui chantez comme ça ?” lui demande-t-il, médusé. Il décide par la suite d’utiliser sa chanson Goodbye Horses, en 1988 dans son film Veuve mais pas trop avec Michelle Pfeiffer puis en 1991 dans Le Silence des agneaux. Fidèle, Jonathan Demme fera entendre d’autres titres de Q Lazzarus dans ses autres films. On peut écouter Candle Goes Away dans Dangereuse sous tous rapports (1986) avec Melanie Griffith ainsi qu’une reprise de la chanson Heaven des Talking Heads dans Philadelphia (1993). Dans ce long-métrage culte et bouleversant, la charismatique Diane Luckey apparaît même à l’écran, en concert, lors d’une scène de fête mettant en scène Antonio Banderas, Tom Hanks et Denzel Washington.
Après de nombreuses rumeurs circulant sur le forum Reddit à son sujet, prétendant que l’artiste était devenue accro à la drogue et qu’elle était piégée dans une relation toxique avec un homme, Q Lazzarus finit par sortir de son silence en 2018. Sur un compte Twitter rapidement supprimé, elle répondait ainsi à l’une de ses fans qui voulait faire une reprise de sa chanson phare : “ Bonjour, désolée de vous déranger. Je voulais juste que les gens sachent que je suis encore en vie, je n’ai plus aucun intérêt à chanter. Je suis conductrice de bus à Staten Island (depuis des années), je vois des centaines de passagers tous les jours, alors je me cache difficilement. Je suis ‘réelle’, pardon si c’est une fin ennuyeuse à l’histoire, je vais sortir de Twitter bientôt car je trouve ça étrange (…). Je vous remercie. »
Celle qui avait suscité l’engouement avec un film contenant dans son titre le mot « silence » semblait donc préférer le silence d’une vie tranquille, loin des lumières du show business. Avant d’apprendre sa disparition, on avait chercher son nom sur Google et découvert que Diane Luckey avait poursuivi une compagnie de bus de Staten Island pour ne pas vouloir embaucher de femme conductrice, en 2015. Il fallait bien que la chanteuse de Q Lazzarus soit une héroïne du quotidien pour avoir enfanté une mélodie aussi fascinante, continuant d’hanter ses auditeurs des décennies après.
Mais l’émouvante histoire de cette artiste dont les démos disponibles sur YouTube témoignent d’un talent monstre n’est peut-être pas tout à fait terminée. Un documentaire (Goodbye Horses: The Many Lives of Q Lazzarus) réalisé par une amie cinéaste de l’artiste appelée Eva Aridjis serait en en effet en préparation et devrait sortir en 2023. Au même moment, un album compilant tous les morceaux de Diane Luckey, confiés à la réalisatrice, pourrait aussi voir le jour. On peut alors imaginer l’aura de Q Lazzarus renaître à la façon du talentueux musicien folk Sixto Rodriguez, ressuscité de l’oubli grâce à un sublime documentaire, Sugar Man, paru en 2012.
Après la sortie du long-métrage, la chanson devient un objet de culte, utilisée dans d’autres films ainsi que dans des séries (Nip/Tuck) et des jeux vidéo (Grand Theft Auto IV). Encore aujourd’hui, les mélomanes et les DJ parlent d’elle comme d’un trésor caché à réserver aux initiés. Des artistes comme Jon Hopkins, Crosses (un projet du leader du groupe de nu metal Deftones) Kele Okereke de Bloc Party, MGMT, la formation française Grand Blanc ou le groupe de rock indépendant anglais Wild Beasts l’ont reprise. La maison Gucci a même illustré un film mettant en lumière sa collection printemps-été 2016 avec ce morceau. À la fois langoureux, dansant et mélancolique, Goodbye Horses possède un pouvoir d’envoûtement rare.
La ritournelle synthétique obsède par son tempo lancinant et ses paroles semblant recéler un sens caché. Où vont ces chevaux dont parle la chanson ? Que symbolisent-ils ? Des décennies après son apparition dans le film culte des années 90, on apprendra, au détour d’une interview, que ces animaux représentaient les cinq sens de la philosophie hindoue d’après le musicien William Garvey (disparu en 2009) qui a écrit le morceau. La chanson parlerait de ceux qui parviennent à élever leur perception au-delà des limites physiques terrestres.