Greentea Peng, the unmistakable face of the English music scene
En braquant un regard blasé sur ses interlocuteurs, Greentea Peng se détache inévitablement des divas artificielles fabriquées par le star system. Le visage parsemé de tatouages, à l’abri derrière son look excentrique très British, la jeune chanteuse trace son chemin entre une soul décomplexée, un R’n’B ultra moderne et un ska jamaïcain inattendu… Portrait.
Par Alexis Thibault.
“Une chose est sûre, cette fille n’est pas reconnue à sa juste valeur…” Le fanclub de Greentea Peng s’agite sur les réseaux sociaux et manie l’hyperbole comme personne. Et à juste titre : tout le monde est sorti groggy du visionnage de Nah It Ain’t The Same, dernier clip de la chanteuse londonienne sorti fin février. À l’abri derrière un look extravagant – que seuls les Anglais savent composer –, elle braque son regard blasé en direction de la caméra, empoigne une théière en argent et laisse s’échapper un filet d’eau fumante. Pas le temps de la dévisager, on plonge immédiatement dans les braises du joint qu’elle glisse dans sa bouche, puis l’on passe d’un paysage à une carte postale, d’un bol de grenades écarlates à une rue déserte. Apothéose de ce portfolio musical: le club de jazz où la jeune femme nous achève, transformant sa soul décomplexée en ska jamaïcain inattendu. Son mantra nous parvient alors comme une ritournelle : “It’s so hard to be human.”
Aria Wells ne sait même pas combien de tatouages recouvrent son corps. Une cinquantaine ? Une centaine ? À l’autre bout du fil, la jeune femme répète parfois nos questions, comme pour se laisser le temps de réfléchir, ponctue ses réponses d’un rire grave ou d’un “You know what I mean ?” complètement rhétorique. On apprendra qu’elle est née à Bermondsey, dans le sud de Londres, où elle a ensuite grandi. Qu’elle a très vite adopté un train de vie de nomade, transitant entre les régions et les écoles, quittant parfois la ville-monde pour Hastings ou Mexico. Toute cette palette de lieux, de décors et d’individus forge son caractère. Peu à peu, l’adolescente fêtarde un brin loufoque s’apaise, comme si le groove qu’elle manie aujourd’hui à la perfection parachevait sa quête de la quiétude. Comme si les salutations mayas qu’elle égrène dans le morceau Hu Man (2020), lui permettait de combler son besoin vital d’exploration. À la vie comme en musique, Aria Wells fuit l’angoisse et la colère. Elle agit comme un physio de boîte de nuit auprès de tout ceux qu’elle rencontre. Entre deux éclats de rire au téléphone, son credo se transforme en conseil : “Maîtrisez les énergies que vous faites entrer dans votre vie”, lance-t-elle.
Aujourd’hui, Aria Wells a 25 ans. Et c’est donc sous l’alias Greentea Peng – comprenez “thé vert délicieux” – qu’elle s’exprime le mieux. C’est son père, acteur, qui lui transmet son goût pour la musique, des Fugees aux comédies musicales fabuleuses des théâtres londoniens. Désormais, la jeune femme ne vogue plus de ville en ville mais vagabonde sans quitter l’Angleterre sur les chemins du R’n’B, du ska, du reggae, du dub, de la neo soul, du jazz et de la bossa nova. “Je ne pense pas que ma musique soit unique, glisse-t-elle, mais je refuse qu’on m’enferme dans une boîte. Et pour échapper à ma zone de confort, je m’efforce d’être courageuse… et j’improvise.”
En 2018, sur son premier EP intitulé Sensi, un phrasé raggamuffin s’installe sur sa langue. Dans ses productions soul contemporaines, Greentea Peng entreprend d’éviter les harmonies trop évidentes et les schémas classiques qui monopolisent l’industrie musicale. Le succès est au rendez-vous, la jeune femme peut compter sur son talent, son look et la gueule la plus cool de la scène R’n’B… la sienne. Difficile de manquer cette femme désinvolte qui semble réussir tout ce qu’elle entreprend avec une aisance et une décontraction insolentes. Et tandis que ses chants s’évaporent dans les pads et les nappes de synthé – ces ambiances polyphoniques et imprécises de second plan –, elle apparait encore l’air blasé, mille bagues au bout des doigts, dans des clips léchés, rappelant au passage qu’elle maîtrise aussi bien son image que sa musique. Pour son premier album, composé en un an et disponible cet été, elle a encore collaboré avec Earbuds, son producteur fétiche, proche du rappeur Slowthai. Greentea Peng a pris des risques. Elle qualifie le projet “d’experimental”, à l’image du titre Nah It Ain’t The Same où elle mêle un riff de contrebasse à une batterie minimaliste old school.
Si la plupart de ses compositions évoquent une chaleur estivale, la jeune femme n’échappe pas à l’attrait de la mélancolie dans ses textes : “Evidemment qu’il est plus facile de parler de tristesse, lance-t-elle. Les vibrations du chagrin surviennent quand vous êtes au fond du trou, c’est terrible pour certains mais une aubaine pour les artistes.” Dans le titre Hu Man, Aria Wells confie qu’elle se cache tant derrière ses vêtements que personne ne sait de quoi elle est constituée. Et il est vrai qu’elle demeure un personnage aussi charismatique qu’insaisissable, déjà comparé aux plus grandes divas de la soul à l’instar d’Amy Winehouse et Erykah Badu. Les médias manient l’hyperbole comme personne. Greentea Peng, elle, poursuit librement son voyage.
Le premier album de Greentea Peng sera disponible cet été.