7 avr 2022

Fallon Mayanja, Blackhaine : que réserve le festival Closer Music à Lafayette Anticipations ?

Créé en 2018 à Lafayette Anticipations, le festival Closer Music met chaque année le temps d’un week-end présente les propositions de musiciens, performeurs et danseurs de la scène émergente et exéprimentale. Cette année, l’événement revient les 9 et 10 avril avec, au programme, une performance hors les murs du chorégraphe et musicien Blackhaine ou encore une session d’écriture poétique avec l’artiste sonore et interprète Fallon Mayanja.

Depuis 2018, le festival Closer Music s’empare du bâtiment polymorphe et modulable conçu par l’architecte Rem Koolhaas pour Lafayette Anticipations, pour proposer pendant plusieurs jours au public, une autre vision de la musique. Au-delà des genres, et des frontières qui séparent les expressions populaires des recherches savantes, cet art y est présenté comme une matière vivante, toujours en mutation, en dialogue permanent avec d’autres champs culturels, dont les diverses facettes permettent des expériences multiples, avec une grande attention portée au live et aux dispositifs d’écoute. Toujours à la pointe, Closer Music revient ce week-end, les 9 et 10 avril, avec un focus sur la scène d’outre-manche, et une ouverture sur la danse avec une warm-up session de Fallon Mayanja curatée par Madeleine Planeix-Crocker, explorant la physicalité de la musique et de la poésie. Ainsi qu’une performance de Blackhaine, MC et chorégraphe originaire d’une banlieue de Manchester, ayant notamment collaboré avec Mykki Blanco et Kanye West, qui investit samedi soir la Station Nord pour une performance exclusive. Le programmateur de Closer Music, Etienne Blanchot, nous en dit plus.

 

 

Numéro : La musique, très commerciale et balisée d’un côté, est-elle parallèlement un territoire de décloisonnements de plus en plus importants ?

Étienne Blanchot : La culture numérique a permis à toute une nouvelle génération de musicien.ne.s d’accéder et d’hybrider de nombreuses esthétiques. Les artistes aujourd’hui s’affranchissent des genres musicaux et des diktats du marketing et de l’industrie. Depuis 2018, Closer Music se présente comme un état de lieux de cette cartographie stylistique décomplexée, ouverte sur les mondes musicaux mais aussi sur les autres champs artistiques. Le festival fait ainsi écho à la démarche de programmation généreuse de Lafayette Anticipations en s’inspirant de la liberté créative des autres disciplines croisées dans ses murs (danse, arts visuels notamment). Le nom même du festival cache une véritable profession de foi : faire tomber les barrières et remettre en question notre expérience de la musique.

 

On peut d’abord parler de décloisonnement au niveau des pratiques « post-genre » des artistes. La musique électronique permet-elle particulièrement ce type de création qui rejoue, réinvente, les héritages de genres musicaux tels que le rock, le jazz ?

Plus que la musique électronique à proprement parler, ce sont les machines qui ont été le vrai vecteur de décloisonnement entre les genres. Elles sont plus que jamais omniprésentes dans la création contemporaine d’aujourd’hui pour bouleverser et enrichir une matière de base jazz, pop ou rap. Closer Music se fait tous les ans l’écho de ces croisements contemporains inclassables et indispensables. C’est le cas cette année avec Blackhaine qui conjugue un flow hérité du rap avec une radicalité bruitiste industrielle ou encore la musique si précieuse de Tara Clerkin Trio qui, sous des apparences jazz ou trip hop, convie avec élégance mille trouvailles harmoniques et psychédéliques.

 

L’approche collaborative participe-t-elle à créer des territoires réellement nouveaux et singuliers ?

La notion de collaboration et le rapport au collectif sont omniprésents dans la musique aujourd’hui. Ils participent autant d’une émulation créatrice que d’une dynamique économique ou politique. On se rassemble pour se compléter, s’inspirer et répondre ensemble de la manière la plus totale à la façon dont se vit la musique en 2022 : sonore, visuelle, conceptuelle ou charnelle (et chorégraphiée). Closer Music s’attache à souligner cette porosité entre les disciplines. Les musicien.ne.s programmé.e.s chaque année collaborent d’une manière quotidienne avec le monde des arts plastiques ou de la performance. On peut citer Pan Daijing en 2019, Lyra Pramuk en 2020 et pour cette année Mica Levi ou encore Blackhaine.

Space Afrika

L’accent du festival Closer music sur le live et ses possibilités propose une vision de la musique en tant qu’art performatif (John Cage disait que la musique relevait du théâtre). Comment cette vision se manifeste-t-elle ?

Pendant le temps de deux jours de concerts et de performances, le principe est de brouiller les frontières entre expériences sonores et visuelles, grâce à une réflexion accrue sur le rapport aux lieux de représentation. Les formidables espaces modulables de la Fondation imaginés par Rem Koolhaas et cette année ceux de la toute nouvelle Station Nord sont des écrins formidables à ces égards. Closer Music porte donc son nom comme une forme de profession de foi ou de cahier des charges utopique. On y encourage les rapprochements (physiques et spirituels) dans un bouillonnement créatif vital porté par le live.

 

L’Angleterre a été le berceau de nombreux mouvements musicaux, et continue d’en créer à l’heure actuelle (je pense au UK drill par exemple). Est-elle aujourd’hui à la pointe, en termes d’inventivité post-genre et interdisciplinaire ?

Cette année la programmation de Closer Music est en très grande majorité composée d’artistes anglais. Brexit ou pas, on ne peut pas se passer d’eux ! C’est encore le pays où la création de pointe est en ébullition permanente, où les croisements entre musiques populaires et musiques savantes se conjuguent naturellement et où tous les héritages culturels sont pris en compte comme des richesses pour nourrir un perpétuel renouvellement artistique. En écho au bouillonnement créatif actuel des scènes d’outre Manche, nous avons ainsi convié le collectif londonien CURL, noué solidement depuis quelques années autour de Mica Levi, Space Afrika et Blackhaine de Manchester et le trio Tara Clerkin Trio, originaire de Bristol, cité musicale culte.

Tara Clerkin Trio

Blackhaine exprime dans sa musique comme dans son style de danse, une énergie primale et viscérale. Il a fait référence par le passé aux sous-cultures de groupe, d’aspect presque tribal, comme celle des skinheads. Peut-on lire dans son expressivité un héritage des mouvements punk, post-punk, et rave ?

Blakhaine est un condensé de 30 ans de contre-culture radicale anglaise et prolétaire. Il puise ses racines dans les slogans punk/oï de Shame 69, la puissance électronique, industriel, viscérale et trouble de Whitehouse ou dans les danses désaxées et hors-la-loi de la early culture rave des Spiral Tribe. Si son travail est imprégné de ses racines ouvrières et d’une rage intacte inhérente à celle-ci, il n’en fait jamais mention littéralement dans son travail d’écriture, préférant composer sa propre narration faite d’instincts, d’émotions et de gestuelles syncopées éloquentes.

 

Quelle sera la teneur de sa performance avec Space Afrika ?

Sans trop la dévoiler, et avec pas mal de surprises à venir encore, la performance commune avec Space Afrika fera écho aux moments suspendus qu’ils partageaient il y a quelques années dans cet appartement de Salford où ils zonaient ensemble, avant de contribuer tous ensemble à mettre cette banlieue de Manchester sur la carte des scène artistiques les plus excitantes du moment.

 

 

Le festival Closer Music aura lieu les 9 et 10 avril prochain à Lafayette Anticipations.