Emir Taha, the Turkish singer giving R’n’B a melting-pot make-over
Inspiré par The Weeknd et Kid Cudi, ce jeune Turc de 24 ans revisite le R’n’B de manière très personnelle, en l’enrichissant de sa culture et de sa langue, et le propulse ainsi vers de nouveaux métissages.
Par Thibaut Wychowanok.
Sa voix jeune, légère et claire évoque The Weeknd. Emir Taha partage surtout avec la star canadienne cette fascinante faculté à monter dans les aigus pour métamorphoser ses compositions R’n’B en cascades de verre cristallines. Fragiles. Intenses. Si la production est plus minimaliste que chez son aîné, préférant quelques beats et une guitare acoustique aux grosses machines de la pop, c’est que l’influence est aussi à chercher du côté de Kid Cudi, légende du rap mélodique et introspectif. D’autres s’en sont inspirés : Kanye West, Kendrick Lamar ou Q. Tous sont américains. Emir Taha, lui, est turc. Son spleen et ses failles, il les chante en anglais et dans sa langue natale. Loin d’être un gadget, cette dualité enrichit la palette d’émotions, explorant un même sentiment, soufflant le chaud et le froid, au moyen d’outils différents : harmonies turques, entre voyelles et consonnes, dures ou douces, placement du souffle et musicalité singulière de chacune des deux langues. Le jeune homme de 24 ans a la délicatesse d’éviter les effets pittoresques – instruments “traditionnels” ou vocalises caricaturales. L’influence de la Turquie est subtile. “Elle colore ma musique d’une chaleur méditerranéenne et d’une forme de bienveillance”, concède l’artiste, tout en se refusant à verser dans les fantasmes orientalistes d’un Occident qui a encore du mal à admettre qu’il n’est pas le seul à être entré dans le xxie siècle. D’autres lui ont ouvert la voie. Au cœur même de l’Europe, l’Espagnole Rosalía a démontré que le flamenco était loin d’être un exotisme passéiste, mais une puissante source de réinvention du hip- hop international. Elle lui sert aujourd’hui de modèle.
Emir Taha est né dans la station balnéaire d’Antalya, port antique peuplé de yachts et d’hôtels de luxe au cœur de cette Turquie ouverte sur la Méditerranée. À la maison, la musique est internationale : Deep Purple, Sting, Dire Straits… Emir Taha se passionne pour l’icône turque Baris Manço (douze disques d’or et un de platine). Dans les années 60, ce dernier fut membre de quelques groupes de rock et de twist avant de partir pour la Belgique. Il rencontra Henri Salvador et chanta en français, avant de rentrer dans son pays où il produisit de grands classiques de la musique turque inspirés par le rock psychédélique, avant de poursuivre finalement une carrière d’animateur télé. Ses vidéos sont toujours visibles sur YouTube : le grand moustachu aux cheveux longs évoquant autant les yé-yé qu’un rocker californien chante au milieu d’un marché aux épices. Emir Taha, lui, préfère, pour son second EP, poser au milieu de tapis orientaux tout en gardant sa tenue de jeune musicien de Londres. Il s’y est installé après y avoir fait ses études et séjourné un temps au Canada et à Los Angeles. Lui aussi a connu des débuts au sein d’un groupe, et des passages à la télé. Ses reprises de titres connus attirent l’attention de Kenan Dogulu, star de la pop qui représente la Turquie à l’Eurovision en 2007. “Mon mentor et mon grand frère”, confie le musicien. Mais qui connaît Kenan Dogulu hors de son pays ? Emir Taha, lui, vise la scène internationale. Sa reprise d’Ultralight Beam de Kanye West lui offre un premier succès mondial. Et son EP Hoppa pt. 1 est salué par la critique en 2020, au point de lui faire intégrer la très prescriptrice playlist du vendredi de Spotify. Le second opus, Hoppa pt. 2, sortira le 19 mars
Hoppa pt. 2 (Hoppa Records) de Emir Taha, sortie le 26 mars.