On était au concert d’Eddy de Pretto et de Juliette Armanet à la Villa Médicis
Le samedi 15 février 2025, la superbe Villa Médicis, à Rome, proposait une soirée onirique intitulée Zeste d’amour, Zeste d’amitié avec des concerts de Juliette Armanet et Eddy de Pretto. Numéro y était et a rencontré le chanteur français.
par Violaine Schütz.
Publié le 24 février 2025. Modifié le 26 février 2025.
L’Académie de France à Rome, plus communément appelée la Villa Médicis, est connue pour favoriser la création artistique, notamment grâce à ses résidences. Mais elle organise aussi des expositions et des soirées croisant les arts.
Une soirée célébrant l’amour et l’amitié à la Villa Médicis avec Annette Messager
Le samedi 15 février 2025, la Villa Médicis proposait une soirée onirique intitulée Zeste d’amour, Zeste d’amitié. Dès l’après-midi, cette carte blanche au chef étoilé français Alexandre Gauthier (La Grenouillère, près de Montreuil-sur-Mer) invitait à déguster des agrumes, des crêpes Suzette et des gaufres.
Puis, l’artiste plasticienne hexagonale Annette Messager a offert au public (dense) une “parole d’amitié”, soit un “moment d’échange autour des liens profonds qui unissent les êtres”, suivi d’un chœur baroque.
Des performances émouvantes d’Eddy de Pretto et Juliette Armanet
Mais ce sont surtout les performances musicales émouvantes et intimistes des talentueux Eddy de Pretto et de Juliette Armanet qui ont provoqué le plus d’effusion. L’auteur-compositeur-interprète et acteur français a chanté, en piano-voix, trois de ses titres les plus poétiques, Love’n’Tendresse, Kid et Parfaitement. Puis, il a entonné le morceau sensuel Eau de vie avec Juliette Armanet.
L’auteure-compositrice-interprète, pianiste et actrice française a ensuite dévoilé des versions dénudées (centrées sur le piano) des superbes Boum Boum Baby, Qu’importe, Alexandre et À la folie. Elle a aussi repris avec grâce La Dolce Vita de Christophe, dont les paroles collaient parfaitement à l’atmosphère raffinée du cadre romain. Suite à ces moments suspendus, on a rencontré, au milieu du décor sublime de la Villa Médicis, Eddy de Pretto, qui a évoqué avec nous ses projets et ses inspirations.
L’interview d’Eddy de Pretto à la Villa Médicis
Numéro : En quoi jouer à la Villa Médicis diffère-t-il d’un concert dans une salle plus conventionnelle ?
Eddy de Pretto : C’est un pas supplémentaire pour moi parce que c’est un lieu assez chargé en émotions, en histoire, comme la Villa Noailles à Hyères ou L’Olympia. Il y a des salles comme ça qui sont chargées d’une certaine histoire que tu as entendue, qu’on t’a racontée. Il y a une espèce de pression quand on y joue, qui constitue la petite musique de la soirée. C’est quand même un petit peu plus stressant que dans une salle plus conventionnelle.
Vous avez chanté un titre, Eau de vie, avec Juliette Armanet, à la Villa Médicis. Quels sont vos points communs ?
Nous avons une sensibilité commune : l’amour de la chanson française, du texte, du poids du mot, du verbe. Ce sont des choses qui, pour moi, sont très ancrées et Juliette, dans le choix du vocabulaire, des consonances et des sonorités, accorde beaucoup d’importance à la langue. On aime aussi faire rebondir le français et on se retrouve sur le fait de travailler en piano-voix. Aussi, on croit tous les deux en la chanson. Une bonne chanson, c’est d’abord un bon piano-voix : c’est la base de tout. J’ai toujours travaillé comme ça. Le point de départ d’une bonne chanson, c’est une connexion avec le piano, avec l’instrument, avec des mots. Si une chanson marche ainsi, alors elle peut se développer dans tous les sens et se faire arranger dans énormément de directions. Quand j’ai écrit le morceau Eau de vie, j’ai tout de suite pensé à Juliette, pour sa raconter si spéciale de raconter des histoires communes.
La Villa Médicis est un lieu qui favorise la création artistique en organisant des résidences. Quels sont vos gouts en matière d’art ?
J’ai deux architectes parisiennes, Zoë Costes et Paola Sabourin, qui ont travaillé chez moi et qui sont en train de réimaginer une chambre à la Villa Médicis. Ce sont deux artistes merveilleuses qui font un travail d’architecte magnifique. Après, en art, je suis assez ouvert. Mais c’est le cinéma qui m’influence le plus et qui vient me poser le plus de questions. Un film développe une certaine idée de pensée que tu n’avais pas forcément et t’ouvre à un point de vue différent du tien, ce qui nous sort d’un cercle parfois un peu restreint. Récemment, j’ai adoré le film Close de Lukas Dhont.
“Ce n’est pas le vêtement qui vient me donner une personnalité, qui vient m’étoffer ou me sublimer, mais l’inverse. C’est mon message artistique qui va être aidé par le vêtement.” Eddy de Pretto
Lors du concert que vous venez de donner en Italie, vous portiez un costume Kenzo et des bijoux Bvlgari. Quelle importance accordez-vous à la mode?
J’essaie de parfaire une silhouette pour aller dans le sens de ce que j’ai envie de raconter. Pour moi, la mode, c’est quelque chose qui aide à incarner et à aiguiser la direction que j’ai envie de donner au récit que j’ai envie de dévoiler aux gens qui me suivent. Pour moi, ce n’est pas le vêtement qui vient me donner une personnalité, qui vient m’étoffer ou me sublimer, mais l’inverse. C’est mon message artistique qui va être aidé par le vêtement. Le débardeur et le jean tout simple définissent une silhouette que j’ai longtemps dessinée et travaillée et j’ai envie, aussi, de garder sur le long terme. Après, il y a tout un tas d’autres costumes qui viennent mettre un peu piment sur le fil rouge que j’ai envie de montrer au public en concert. J’enregistre des albums avec des eras qui ont un fil rouge d’album, une histoire, une direction artistique. C’est important de travailler l’habit qui va avec, ou en tout cas, la silhouette.
La soirée durant laquelle vous avez joué, à la Villa Médicis, célèbre l’amour et l’amitié. À quel point ces thèmes vous inspirent-ils ?
L’amour, c’est un un sujet qui touche beaucoup, on le sait et mon troisième album, Crash Cœur, était très ouvert à ce sujet. J’avais envie de me reconnecter à quelque chose d’assez basique, c’est-à-dire une certaine physicalité, une émotion un peu directe. Et l’amour et l’amitié, et même de la tendresse, y occupent une grande place. Donc ça tombe parfaitement bien que le chef Alexandre Gauthier (du restaurant La Grenouillère près de Montreuil-sur-Mer) m’ait invité ce soir pour ce dîner qui est dans ce thème-là. Juliette (Armanet) aussi, a beaucoup traité ces thèmes dans le dernier album.
Concernant votre dernier album, Crash Cœur, on y trouve à la fois l’idée de quelque chose de musclé et d’une certaine tendresse…
Dans Crash Cœur, il y a une volonté de rajouter un peu de violence, de brutalité, de frontalité à quelque chose qui est pour moi parfois un peu trop naïf ou un peu trop futile dans la vision de l’amour qui m’a été inculquée. Il fallait absolument que je puisse rééquilibrer ce côté romantique avec une sonorité qui soit beaucoup plus directe et brute. Le mot “Crash” vient ainsi un peu dynamiser le “Cœur”. Sur ce disque, je voulais parler d’un amour plutôt corrosif, parfois dur, toxique et torturé.
“J’ai grandi dans un monde où des histoires entre hommes et femmes étaient racontées au plus grand nombre. Et ça ne m’a pas empêché de découvrir mon orientation sexuelle.” Eddy de Pretto
Vous y parlez d’amour avec un regard queer, ce qui n’est pas commun dans la chanson française…
J’ai toujours naturellement assumé mon homosexualité depuis le premier album, Cure, sorti en 2018. Ce disque est né en partie de la volonté de raconter mes histoires d’homme à homme. Le deuxième, À tous les bâtards (2021), aussi, parle d’histoires réelles qui sont les miennes. J’ai grandi dans un monde où des histoires entre hommes et femmes étaient racontées au plus grand nombre. Et ça ne m’a pas empêché de croire à ces histoires, ni de découvrir mon orientation sexuelle. Donc, j’imagine qu’à l’inverse, ça peut aussi marcher. On parle d’amour peu importe que ce soit de l’amour entre un homme et une femme, entre une femme et femme ou un homme et un homme. Moi, j’avais envie de rester dans la réalité de ma vie et de rester concret vis-à-vis de ce que je vis au quotidien.
En 2023, lors de l’Hyper Weekend Festival, à Paris, vous présentiez une création originale, Love Factory, mettant en scène la capitale en 2036, sur fond de 3e guerre mondiale. Des travailleurs travaillent à la chaîne en tentant de façonner l’amour…
Je savais que j’adorais mettre en scène les spectacles parce que j’ai toujours monté les shows que je présentais dans les Zénith ou dans les Arena depuis le premier album. Donc, pour moi, c’était ultra important d’avoir cette casquette-là et de la développer. Love Factory a vraiment été un déclic supplémentaire. Créer une carte blanche en répondant à l’invitation de la Maison de la Radio et du journaliste Didier Varrod, m’a permis de pouvoir aiguiser ma façon de créer des spectacles et de les mettre en scène de A à Z. J’ai adoré cette expérience. La tournée Crash Cœur (qui a lieu en ce moment) est elle aussi très narrative, avec un énorme panneau publicitaire au centre de la scène. Elle raconte beaucoup les chansons en suivant un fil rouge.
“La musique a été plus rapide à m’offrir ce que j’attendais que le cinéma. Mais au fond, j’ai toujours eu l’envie de me diversifier totalement.” Eddy de Pretto
Vous êtes aussi acteur et vous tournez en ce moment plusieurs films dont Peau d’homme avec Catherine Deneuve et Pomme et Vigilante avec Roxane Mesquida…
Oui, je fais l’acteur (rires). Disons que j’ai des opportunités cette année en tant qu’acteur dans plusieurs films. C’était aussi un rêve d’enfant que j’avais depuis tout petit. Il y avait la musique, mais aussi le théâtre et le cinéma. Je passais des castings et je rencontrais beaucoup de gens quand j’étais plus jeune. La musique a été plus rapide à m’offrir ce que j’attendais. Mais au fond, j’ai toujours eu l’envie de me diversifier totalement.
Spotify, l’IA et TikTok bouleversent beaucoup l’industrie de la musique. Est-ce que ça crée des angoisses chez toi ?
Non, je n’ai pas du tout peur de ça. Je crois que les gens auront toujours envie d’écouter de l’authenticité et qu’ils auront toujours envie d’aller voir de vraies histoires racontées par de vraies personnes avec de vrais récits, au cinéma, en musique ou dans les musées. Je pense qu’on a besoin de cette authenticité et qu’aujourd’hui, les robots ne sont pas capables de nous l’offrir. Peut-être qu’un jour, ils sauront le faire. On commence à rendre de plus en plus à rendre de plus en plus humaines les IA, mais il y a quand même quelque chose qu’on n’a pas réussi à faire, c’est le véridique, le palpable, l’épaisseur de l’histoire. Un robot n’aura jamais l’expérience et les failles nécessaires pour venir nous concurrencer là-dedans.
Eddy de Pretto est actuellement en tournée en France.