14 mar 2025

DJ Koze, producteur perché de Róisín Murphy : “J’ai toujours aimé les choses radicales et perturbantes”

Proche collaborateur de la chanteuse irlandaise Róisín Murphy, le musicien allemand DJ Koze dévoile son quatrième album, Music Can Hear Us, délire électronique psyché qui a séduit Damon Albarn et la productrice Sofia Kourtesis. Rencontre.

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Les productions minutieuses et psychédéliques de DJ Koze

En 2018, Stefan Kozalla imagine le titre Pick Up en trois heures à peine, après avoir bu une demi-bouteille de vin rouge. Idée simple composée de trois éléments. Parfois, cela arrive comme ça, rapidement, alors que d’autres morceaux prennent des semaines, voire des mois.

Le musicien allemand, que l’on nomme DJ Koze, défend pourtant des productions électroniques minutieuses depuis Kosi Comes Around, son premier disque sorti en 2005. House minimaliste, chuchotements de synthétiseurs psychédéliques et une approche résolument contemplative, marquée par une spatialisation sonore particulièrement travaillée. Music Can Hear Us, son quatrième album studio disponible le 4 avril, ne déroge pas à la règle. Mais cette fois, il s’est essayé aux “rythmes cassés”, pour reprendre sa propre expression. 

Proche collaborateur de la star irlandaise Róisín Murphy, ce sont désormais les artistes Sofia Kourtesis, Ada et Damon Albarn qui le rejoignent sur ce nouvel opus électronique pensé à la fois comme “un rodéo cosmique” et “la drogue légale la plus puissante du marché”. Rencontre.

Pick up (2018) de DJ Joze.

L’interview de DK Koze pour la sortie de son album Music Can Hear Us

Numéro: Je vous imaginais très excentrique alors que, finalement, vous ne l’êtes pas tant…

DJ Koze: En réalité, je suis assez introverti. Les photos promotionnelles ont du vous mener sur une fausse piste. Pour moi, être excentrique implique une démarche vers l’extérieur, ce que je ne ressens pas vraiment.

C’est peut-être parce que vous qualifiez votre musique de “drogue légale la plus puissante du marché.” Il s’agit même selon vous d’un “rodéo cosmique de synapses dont on ne soupçonne même pas l’existence.

Avec ce nouvel album, j’ai essayé de créer une sorte de planète autonome qui n’existait pas encore telle quelle. Nous connaissons déjà les petites îles comme la house, l’ambient, le krautrock, la drum and bass, le chant guttural japonais ou l’electronica folk… Disons que j’ai rassemblé tout cela pour créer exactement ce que j’avais envie d’entendre. Alors que j’essaie toujours de me réinventer, je réalise parfois que je fais encore la même chose. Et mes propres idées finissent par m’ennuyer. Je cherche donc de nouvelles directions dans le processus de production, sur ordinateur, mais aussi mentalement. Souvent, je m’allonge simplement sur mon canapé avec des écouteurs, en essayant de ne pas trop penser, pour tenter d’extraire quelque chose d’intéressant. C’est vraiment difficile…

Votre musique est-elle inspirée par votre enfance ?

Oui, je pense. J’ai grandi à Flensbourg, au nord de l’Allemagne, la dernière ville avant la frontière danoise. C’était aussi monotone que déprimant. D’un certain point de vue, je crois que cet ennui me manque un peu… J’étais seul, sans frère ni sœur, je devais trouver un moyen de m’occuper. Et la musique représentait bien sûr une fenêtre vers quelque chose de bien plus passionnant. J’ai donc commencé à écouter la radio et les disques de mes parents et j’enregistrais tout ce que j’aimais avec un magnétophone à cassette. Mais la collection de disques de mes parents était toute aussi ennuyeuse que la ville, il n’y avait pas un seul disque cool dedans, à part peut-être les Beatles

Aucun artiste ne trouvait donc grâce à vos yeux ?

Si, cela a fini par arriver ! J’étais fasciné par Depeche Mode ou Orchestral Manoeuvres In The Dark (OMD), de la musique synthétique. En vieillissant, j’ai découvert le concept d’amitié : je buvais avec mes potes en écoutant de la musique. Nous cherchions toujours des propositions radicales comme du rock très dur ou des choses vraiment perturbantes. En fait, nous étions intéressés par tout ce qui était susceptible de nous impressionner.

Pure Love (2025) de DJ Koze et Damon Albarn

Débutez-vous toujours vos compositions de la même façon ?

Oui. D’abord un peu de vin rouge, puis ensuite la batterie arrive…

J’aime la façon dont votre album évoque le cosmos. Comment façonnez-vous techniquement ces hallucinations sonores ?

Je travaille toujours avec un casque sans fil, parce que bizarrement, j’aime l’effet du retard du son. Quand j’utilise un câble, je bouge, je danse sur mon lit ou ailleurs, et il finit toujours par se débrancher du PC. Ce problème est très commun. Avec le casque sans fil, je suis libre. Quand j’écoute ainsi, c’est comme si j’étais totalement immergé dans l’espace sonore. J’ai du mal à recréer cette sensation avec des enceintes classiques… Cet album s’intitule Music Can Hear Us car c’est une déclaration politique et spirituelle. Le titre reflète la période très sombre que nous traversons actuellement, probablement la plus sombre depuis ma naissance. La pochette du disque, réalisée par ma compagne, en peinture à l’huile, représente une figure ambiguë, en jupe, une sorte de graffiti punk. Je voulais que ma musique face échos à nos émotions actuelles.

Parlons-en justement de cette pochette.

Ma compagne a réalisé toutes les œuvres de la pochette. Ce sont des animaux étranges, ni totalement concrets, ni totalement abstraits. On distingue même différentes couches un peu sales. J’ai toujours été fasciné par les peintures dont je ne saisis par le processus de réalisation. Avec la musique, c’est un peu pareil. Qu’est-ce qui est venu en premier ? Quand avez-vous déterminé que le morceau était terminé. Parfois, vous décidez volontairement que c’est inachevé. C’est aussi une déclaration. Assembler cet album était très difficile pour moi. J’ai dû organiser les morceaux de façon cohérente, dans un ordre précis, presque comme un DJ ou comme le monteur d’un film. C’est justement ce qui m’a donné l’impression d’un voyage cosmique. Dans le désordre, ça aurait pu ressembler à une playlist Spotify aléatoire, sans cohérence. Maintenant, c’est comme une odyssée qui débute doucement, à la maison ou au parc entre amis, et s’achève en club avec beaucoup plus d’énergie.

Buschtaxi (2025) de DJ Koze.

Ce nouveau disque est-il intégralement expérimental ?

Avant j’expérimentais avec une naïveté charmante. Aujourd’hui, je suis content de ne plus être ce producteur-là, même si cette naïveté me manque parfois. Maintenant je m’intéresse à d’autres choses. Ce qui m’intéresse, c’est la chaleur, la mélancolie, probablement une certaine profondeur. C’est ce que je recherche dans la musique des autres aussi. Même un morceau de club ou de drum’n’bass peut être profond. Je m’intéresse toujours à ce que je ne comprends pas totalement. Lorsque l’on compose, les premières décisions sont toujours magiques. Ensuite, vous changez un élément, comme une caisse claire par exemple, et tout s’écroule. Comme une tenue. Au départ, vous étiez bien habillé. Puis quelqu’un vous a dit de changer de lunettes ou de chapeau, et tout s’est effondré. Vous étiez le mélange parfait entre un mannequin Gucci et un ancien drogué en réhabilitation mais vous avez eu la bonne idée de vous foutre un chapeau rose sur la tête… Souvent, la première idée est irremplaçable. C’est comme ça.

À quoi votre plus mauvais set ressemblait-il ?

Je me souviens d’un événement, au moment de la sortie de mon album Knock Knock en 2018. J’avais donné plein d’interviews, j’étais dans tous les journaux, j’avais l’impression que le monde tournait autour de moi. La nuit de la sortie de l’album, j’étais à Genève, en Suisse, persuadé que ce serait une grande soirée. Mais il n’y avait en tout et pour tout 40 personnes dans le club. Ce décalage entre mes attentes et la réalité était profondément déprimant. Mais finalement, le set en lui-même était intéressant. Parfois, il suffit de lacher prise en se disant : “Hé puis merde ! De toute façon je joue bien mieux quand je n’ai rien à perdre.

Music Can Hear Us [Pampa Records] de DJ Koze, disponible le 4 avril. DJ Koze se produira en concert au festival We Love Green le 8 juin.