2 déc 2019

Dinos, de La Courneuve à l’Olympia

De retour avec un deuxième album studio, “Taciturne”, sorti fin novembre, le rappeur Dinos s’apprête à fouler la scène mythique de l'Olympia. Un nouveau poids lourd du rap français ? Rencontre.

Jeudi 21 novembre, le monde du rap est en deuil. La nouvelle est tombée sur Instagram : Népal, 24 ans, a disparu. Dinos ne le connaissait pas mais il “aimait beaucoup sa musique”. Très croyant et hanté par l’idée de quitter ce monde plus tôt que prévu, celui qui compose tous ses textes a même ouvert son dernier album, Taciturne, sur un sample de Booba plus qu’équivoque : “Les jaloux disent qu’on meurt bientôt”. Alors, quand il s'agit d'évoquer la mémoire d'un homologue parti prématurément, Jules Jomby – de son vrai nom – ne contient pas son émotion.

1. L’époque Rap Contenders

 

Beaucoup doivent envier Dinos, mais peu connaissent sa recette : à 25 ans, il cumule deux EP, deux albums sortis à un an d'intervalle (Imany et Taciturne), des collaborations avec les rappeurs les plus reconnus (Alkpote, Sofiane ou Disiz) et vient d'être programmé à l'Olympia pour avril prochain. Chez les Jomby, la musique est une affaire de famille. Né au Cameroun en 1993, Dinos commence le rap à 10 ans, c’est “la musique de ses grands-parents, de ses frères, de ses cousins“ : tout le monde écoute du rap au quartier. Son oncle est alors producteur et travaille sur un album aujourd'hui considéré comme un classique : Première Classe. Nous sommes en 1999. Rohff, Rim K, Kery James et même le poète Oxmo Puccino collaborent sur cet opus d’anthologie. Quand Dinos l’écoute, il a des étoiles dans les yeux : ce sera “le rap ou rien”.

 

 

Taciturne est un opus qui s’écoute les soirs de pluie, quand il fait froid et humide, que la nuit tombe à 18 heures et qu’on étouffe en doudoune dans le métro.​

 

 

Les années passent, les freestyles dans les halls d’immeuble de La Courneuve aussi, Internet pointe le bout de son nez et Dinos découvre Rap Contenders, une chaîne Youtube où des rappeurs se défient en face-à-face à coup de couplets toujours plus incisifs. Alors qu’il se fait appeler Dinos Punchlinovic (“un surnom naze” désormais désuet), le petit de La Courneuve “envoie des sons” : il est tout de suite sélectionné et met ses homologues à l’amende. Il n’a que 17 ans.

2. Le spleen comme recette

 

Mélancolie, spleen, tristesse, poésie et chagrin d’amour… Si le temps du rap conscient semble révolu en France, Dinos est de ces rappeurs d’un nouveau genre : ceux qui n’hésitent pas à dévoiler leurs sentiments. Et même à en faire un fond de commerce. Il y a quelques années, le légendaire Booba scandait  “nique le strass et les paillettes” sur son premier album, Temps Mort (2002). Aujourd’hui, le “Duc de Boulogne“, roule en Porsche sur les artères ensoleillées de Miami. Et nombreux sont les rappeurs qui rêvent de collaborer avec Booba. Dinos en fait partie et le sample sur le tout premier morceau de Taciturne, On Meurt bientôt : “Les jaloux disent qu'on meurt bientôt, à c'qui paraît”.

 

Élevé à La Courneuve, Jules Jomby ne conduit pas encore de voiture de sport à Venice Beach mais, depuis le succès de son premier album Imany, a quitté le 93 pour un appartement sur les hauteurs du XXe arrondissement. Car ce premier opus l’a “changé”. Son portefeuille s’est rempli, les featurings pleuvent, il continue de tourner ses clips dans la banlieue où il a grandi mais son écriture est “différente, moins enfantine et puérile” : elle a “maturé”. Et Dinos avec.

 

 

Dinos, rappeur sensible et censé, écoute Lana Del Rey “tous les matins et tous les soirs” .

 

 

Sorti la vielle de ses 26 ans, Taciturne – du nom “d’un de ces traits de personnalité” – est un “album d’hiver”. Le genre d’opus qui s’écoute les soirs de pluie, quand il fait froid et humide, que la nuit tombe à 18 heures et qu’on étouffe en doudoune dans le métro. Tacitune est un album de “questionnements” : amour, mort, chagrin revienne comme des leitmotivs sur les dix-neuf morceaux.

3. L'empire du 93

 

Alors qu’il fait parler sa grand-mère sur le morceau Au revoir et qu'il s'autoproclame “le nouveau [MC] Solaar”, Dinos, rappeur sensible et censé, écoute Lana Del Rey “tous les matins et tous les soirs” et comme tout enfant des années 2000, pleure le décès d’Aaliyah – la princesse du R’n’B américain disparue dans un crash d’avion. S’il excelle en solo avec des textes mélancoliques, le rappeur camerounais sait aussi donner en featuring avec des rimes incisives : en 2018, alors que son premier opus Imany vient de sortir, Sofiane, le papa du rap du 93, l’appelle pour collaborer à son projet : 93 Empire. L’idée ? Réunir tous les rappeurs de Seine-Saint-Denis sur un seul et même album, un vrai travail d’orfèvre. On le sait, le rap français est fait d’égos. Alors, quand Sofiane décide de tous les faire collaborer, il faut “faire la paix avec ceux avec qui on ne s’entend pas, juste pour le bien du rap”. Dinos en est. En résultent deux morceaux qui dénotent dans la discographie de l’auteur d’Imany : Drive By et Viens dans mon 93, une réussite, sur un abum qui marque l’histoire du rap français des années 2010.

 

Passionné par la mode et égérie Adidas depuis cette année, Dinos ne se contente pas de rapper – même s’il le fait bien. Lancée en 2017 et laissée en jachère depuis, sa marque de streetwear Namaste Club va être reprise cette année : “Je dessine tous les vêtements avec mon manager et, comme je composais Taciturne, j’ai un peu arrêté. Mais l’objectif est de reprendre cette année.” Sur tous les fronts, Dinos ? Avec une tournée qui débute en février à Bordeaux, la France n'a pas fini d'entendre parler du rappeur de La Courneuve.

 

Taciturne (2019) de Dinos, disponible partout.